A l'Onu, la France vote contre un traité d’interdiction des armes nucléaires

Lundi 7 Novembre 2016

Les Nations unies ont récemment adopté à une forte majorité une résolution historique, décidant l’ouverture de négociations sur l’élimination des armes nucléaires. Paris s’y est opposé, invoquant, curieusement, le risque que ferait courir une telle décision en matière de lutte contre la prolifération… 
 
(Mediapart) - Dans une surprenante discrétion, l’assemblée générale des Nations unies a récemment adopté une résolution qui décide l’ouverture en mars 2017 d’une conférence « ayant pour objectif la négociation d’un instrument juridique contraignant visant à interdire les armes nucléaires en vue de leur élimination complète ». Cette résolution « L.41 » vise, en clair, à faire adopter par l’Onu un traité d’interdiction des armes nucléaires. Elle a été proposée par l’Afrique du Sud, l’Autriche, le Brésil, l’Irlande, le Mexique et le Nigeria, rejoints par 28 autres pays dont l’Indonésie, la Nouvelle-Zélande et la Thaïlande.
 
Sur les 193 États membres des Nations unies, 177 ont participé à ce vote et 123 – soit 69,4 % des votants – ont approuvé la résolution, 16 se sont abstenus et 38 ont voté contre. La France, comme quatre (États-Unis, Russie, Royaume-Uni, Israël) des neuf puissances nucléaires mondiales, déclarées ou non, a voté contre cette résolution.

La quasi-totalité des 28 pays de l’Otan (à l’exception des Pays-Bas qui se sont abstenus sous pression de leur parlement) et une dizaine d’autres pays bénéficiant du parapluie nucléaire américain ont également voté contre.
 
Parmi les autres puissances nucléaires déclarées, la Chine, qui a signé le traité de non-prolifération (TNP), le Pakistan et l’Inde, qui ne l’ont pas signé, ont choisi de s’abstenir, comme la Finlande, la Suisse ou le Maroc. Surprise : la Corée du Nord, neuvième puissance nucléaire, qui s’est retirée en 2003 du TNP, a voté en faveur de la résolution.
 
S’exprimant au nom des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France, la représentante permanente de Paris auprès de la Conférence du désarmement, Alice Guitton, qui occupait jusqu’en 2012 la même fonction auprès de l’Otan, a justifié le rejet du texte par Paris, Washington et Londres en affirmant, sans crainte du paradoxe, que « le fait de négocier une prohibition internationale des armes nucléaires ne nous rapprochera aucunement de l’objectif d’un monde exempt d’armes nucléaires ».
 
Alors que, selon le Quai d’Orsay, la France « entend œuvrer à un monde plus sûr » et « s’engage activement et de façon concrète conformément aux objectifs du TNP en matière de désarmement nucléaire », la diplomate a également avancé que « l’interdiction de l’arme nucléaire n’améliorera pas, en soi, la sécurité internationale et ne renforcera pas la confiance et la transparence entre les États possesseurs de l’arme nucléaire, pas plus qu’elle ne permettra de prendre en compte les enjeux techniques et procéduraux induits par la vérification du désarmement nucléaire ».
 
Les neuf puissances nucléaires disposent actuellement de plus de 15 000 armes – dont 300 pour la France, qui ne cesse de moderniser son arsenal. La négociation d’un traité d’interdiction serait donc, pour Paris, préjudiciable au maintien de la paix et de la sécurité internationales, notamment en fragilisant le TNP. Un autre diplomate français a même avancé qu’un traité d’interdiction pourrait « ouvrir une brèche en matière de non-prolifération ».
 
Sans réelle surprise, ce sont des arguments voisins qu’ont employés les 21 membres de l’Otan, rejoints par l’Australie, la Corée du Sud et le Monténégro, pour justifier leur rejet du texte. Quant au représentant russe Vladimir Yermakov, il est allé plus loin encore, arguant que l’adoption précipitée d’un traité d’interdiction serait « destructrice, catastrophique, perfide » et « précipiterait le monde dans le chaos et l’instabilité ».

L’opposition frontale de cinq puissances nucléaires et de leurs alliés et obligés, ainsi que l’abstention de trois autres puissances nucléaires, constituent un obstacle de taille pour les promoteurs de cette résolution, qui doit encore être confirmée par l’assemblée générale de l’ONU en décembre. Mais le soutien spectaculaire que le texte a obtenu lors du vote offre aux partisans du désarmement nucléaire, largement majoritaires, un levier précieux pour agir sur les détenteurs de l’arme atomique.
 
« Le climat international actuel doit susciter de toute urgence un surcroît d’intérêt de la part du monde politique sur les questions de désarmement et de non-prolifération, la promotion du désarmement multilatéral et l’instauration d’un monde sans armes nucléaires », écrivent dans leur préambule les rédacteurs de la résolution.
 
« Les puissances nucléaires vont sans doute boycotter ces négociations, admet Daryl Kimball, directeur de l’Arms Control Association, interrogé par l’AFP, mais ce nouveau processus inédit va aider à délégitimer davantage encore les armes nucléaires. »

« Une nouvelle fois, la France est allée à l’encontre de la volonté d’une majorité de pays qui entendent interdire les armes nucléaires, et cela en contradiction avec les beaux discours de ses représentants sur le renforcement de la sécurité internationale et la lutte contre la prolifération nucléaire, s’indigne Paul Quilès, ancien ministre de la défense du gouvernement Fabius, et président d’Initiatives pour le désarmement nucléaire (IDN). Faut-il rappeler que les armes nucléaires sont les dernières armes de destruction massive à ne pas être soumises à une interdiction, après celle des armes biologiques en 1972 et celle des armes chimiques en 1993 ? »
Organiser un référendum ?
 
Alors qu’un « cahier d’enseignement moral et civique » destiné aux classes de 3e, tombé entre les mains des animateurs d’IDN, explique aux élèves comment « l’arme nucléaire française permet de soutenir la liberté et la démocratie », il est clair qu’il n’y a rien à attendre du gouvernement en matière de pédagogie du désarmement nucléaire. Ni en matière de réflexion sur la pertinence et l’efficacité de ses options stratégiques. Paris, qui a dépensé depuis les années 1960 près de 300 milliards d’euros pour développer, construire et moderniser sa « force de frappe », reste aveuglément fidèle à sa doctrine de la dissuasion nucléaire. Elle a cependant montré ses limites avec la multiplication des conflits conventionnels et la prolifération du terrorisme.
 
Pourtant, les initiatives en faveur d’une interdiction des armes nucléaires se multiplient. Le 27 octobre, 101 députés et sénateurs ont appelé à un référendum demandant aux Français de se prononcer pour ou contre la ratification par la France d’un « traité d’interdiction et d’élimination complète des armes nucléaires sous contrôle international strict et efficace ». Il ne manque plus à cette initiative que 84 signatures (pour représenter 1/5e du Parlement) et le soutien de 10 % des électeurs inscrits pour qu’une proposition de loi organisant la consultation puisse être déposée.

Le même jour, le Parlement européen adoptait par 415 voix contre 124 et 74 abstentions une résolution soutenant le texte des Nations unies. Quelques jours plus tôt, six prix Nobel (dont José Ramos-Horta, Mohamed Yunus et Kailash Satyarthi, prix Nobel de la paix 1996, 2006 et 2014) avaient lancé un appel commun sous le titre « Finissons-en avec le nucléaire ».
 
François Hollande est-il de taille à affronter un tel défi ? Manifestement, non. Même en faisant abstraction du contexte pré-électoral actuel, le chef de l’État a manifesté un si faible intérêt pour les enjeux stratégiques et une telle révérence devant les choix des militaires qu’il serait illusoire d’attendre de lui une attitude ferme et courageuse sur ce point. Souvenons-nous : c’est bien ce président qui ignorait encore – ou qui avait déjà oublié – en juillet 2015, lorsqu’il répondait aux questions des journalistes à l’occasion de la fête nationale, qu’Israël détenait, depuis près d’un demi-siècle, grâce à l’aide française, l’arme nucléaire…
 
 
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