«Il se peut que vous détestiez une chose alors qu’elle est pour vous un bien. Et il se peut que vous aimiez une chose alors qu’elle est pour vous un mal. C’est Allah qui sait, alors que vous ne savez pas.» (Coran 2 : 216)
Monsieur Adama Gaye a publié le mardi 25 Décembre 2018 un article intitulé « A nos parents chrétiens… » A la première lecture, nous avons été saisi d’une grande tristesse tellement il s’en est pris de façon injuste et discourtoise aux musulmans sénégalais. Puis, nous avons prié Dieu comme doit le faire le musulman en cas de choc ou d’épreuve de nous aider à garder toute la lucidité requise pour adopter la bonne attitude face à ce tissu de calomnies que cet auteur a étalées ligne après ligne dans cet écrit. C’est alors que le verset cité en haut nous est venu à l’esprit et nous a apaisés en nous rappelant que de ce mal moral issu du très-fonds d’un cœur spirituellement pauvre et d’une plume maladroite, il peut sortir du bien.
Pour qui se prétend intellectuel, il y a des légèretés qui sont impardonnables. Dès la première ligne, cet article sonne tout faux. En effet, si on qualifie les chrétiens du Sénégal de « minorité silencieuse », on verse dans le ridicule car ils ne le sont point et dans ce cadre, un de leurs chefs a dit un jour : « Au Sénégal, les chrétiens ne sont pas une minorité. » Il ne faut pas être plus royaliste que le Roi. C’est évident que les chrétiens sont au Sénégal en minorité démographique, mais silencieuse non. Leurs chefs et les autres s’expriment quand ils veulent et sur ce qu’ils veulent. Maintenant, il y a des choses sur lesquelles il est plus difficile de s’exprimer que d’autres mais cela vaut pour tous les pays, toutes les communautés et toutes les familles dans le monde entier. Et comme tout le monde, les chrétiens ou ceux qui portent des noms chrétiens en font l’expérience tous les jours que Dieu fait. Ce n’est que pour l’auteur de cet article que cela semble ne pas sauter pas aux yeux.
Etre la conscience éthique du pays, le Sénégal s’entend, ne devrait pas se jouer sur le registre d’une opposition entre chefs chrétiens et chefs musulmans comme le fait l’auteur de cet article. C’est l’expression « conscience éthique du pays » qui ne fait pas sens et nous avons l’intime conviction que le chef chrétien cité par l’auteur ne réclame pas ce statut et a juste dit ce qu’il pensait devoir l’être dans le contexte électoral actuel du pays. A chacun sa « façon de parler », c’est cela qui fait que la forme de prise de parole n’est pas la même chez les chefs religieux et tant mieux pour cette diversité où les prises de paroles ont chacune leurs avantages et leurs limites. Toutefois, si l’auteur voulait être juste et honnête, il aurait dû noter que les chefs des musulmans ont tous appelé à des élections apaisées et les plus écoutés d’entre eux n’ont pas donné de « Ndiguel » en faveur d’un candidat même s’il existe bien entendu des voix discordantes d’autres marabouts affirmant leur préférence pour un candidat.
Dans une démocratie, nous ne voyons pas ce qui pourrait interdire à un marabout si tant est-il qu’il est citoyen, de dire sa préférence politique. On a vu le rôle joué par les évangélistes américains dans l’élection de Donald Trump, et comment le nouveau président Brésilien a reçu le soutien de ces compatriotes durant la campagne électorale. Il revient aux citoyens de faire leur choix en fin de compte au moment de glisser leur carte dans l’urne. La même question se pose avec des gens populaires pour une raison ou une autre et qui sont critiqués quand ils disent leur préférence politique. De notre point de vue, en tant que citoyens, ils sont libres de le faire et il revient au citoyen lambda de faire son choix sur la base de ce qu’il pense être bon pour le pays. La chute du président Wade qui avait tant misé sur un vote confessionnel a montré que la parole de ceux qui croient posséder la conscience de leurs talibés et qui ont appelé à le soutenir ne lui a pas évité ce que l’on sait.
Nombreux sont les chefs religieux musulmans qui ont appelé à la tenue normale des élections, c’est ce qui importe le plus à notre humble avis. Que le chef des chrétiens ait utilisé des termes plus précis, sans concession, etc., c’est peut-être vrai et à son honneur, mais répétons-le encore, que cela peut être beaucoup plus lié à la forme de prise de parole différente selon qu’on est chez les uns ou les autres. Nous ne pensons pas que ni l’auteur ni quelqu’un d’autre puisse comprendre des discours des leaders musulmans une « concession » à des élections non transparentes.
L’expression « patriotisme en perte de parrain confessionnel » nous pose problème. D’abord parce-qu’ il ne fait pas tellement sens d’un point de vue démocratique me semble-il. D’autre part, s’il s’agit d’un patriotisme en perte de parrain confessionnel, l’auteur aurait dû nous dire qui en était le garant avant. Ce sont des approfondissements de ce genre qu’on attend d’un analyste compétent et probe, qui plus est, nous explique les évolutions qui ont mené à cette situation.
L’auteur nous sert l’expression suivante « J’ai remarqué que ces dernières années, à mesure que montait le prosélytisme et l’intolérance musulmans ici… » Je fais la même remarque, à savoir, qu’un bon analyste doit être précis et nous expliquer en quoi il considère qu’il y a une montée du « prosélytisme et de l’intolérance musulmans » et comment il a établi une corrélation entre ceci et cela. A défaut, il est difficile d’en discuter. Passons à une autre longue expression comme les aime l’auteur : « une pratique religieuse qui se donne à voir par les longs chapelets, les bruyants Jummah Mubarak et les tenues démonstratives, ostentatoires, du vendredi, attributs d’un islam souvent dévoyé pour faire du show-off, le christianisme Sénégalais tranche par sa sobriété, sa sérénité, sa pratique religieuse toute de discrétion et dévotion »
Est-ce qu’on est pas là dans l’intolérance et l’alarmisme gratuit quand il s’agit de s’en prendre au chapelet des gens qu’il soit long ou court, à leurs expressions religieuses et leurs ports vestimentaires. Qui êtes-vous, cher auteur et sur quoi vous basez-vous pour proférer ce jugement de valeur et qualifier tout cela d’ostentatoire ? Peut-être que pour vous ce ne sont que les costumes cravate qui ne pas ostentatoires, ainsi que la pipe, certaines marques de voiture et de parfums, le parler français avec les « r » bien roulés, le maillot de bain à la piscine ou à la plage, les montres luxueuses et j’en passe ! Souhaiter « joyeux noël » comme vous l’avez peut-être fait pour vos amis est-il moins bruyant que dire ou écrire« jumaa mubaarak » entre musulmans ! Seul ce que disent et font les musulmans semblent gêner cet auteur.
Nombre de chrétiens, comme cela n’a sans doute pas échappé à cet auteur, portent la croix, récitent quelque chose, font le signe de la croix à certains moments et dans certains lieux et d’autres tiennent un chapelet. Cela, cet auteur ne veut pas le voir, mais un jour il nous expliquera pourquoi ce parti pris antimusulman. Par contre, nous serons d’accord pour dénoncer tout propos ou comportement qui remet en cause la liberté d’autrui à jouir de ses droits notamment religieux. Une autre expression caricaturale et sous le mode de la provocation antimusulmane et complexée de l’auteur : « Ce sont des gens sérieux. Ils sont pondérés. Ils sont mus par des comportements moraux qui tranchent d’autant plus avec l’hypocrisie de l’atmosphère ambiante qu’on ne les entend presque jamais se mêler de ce qui ne les regarde pas » Diantre ! En plein dans l’essentialisme primaire antimusulman.
Tant mieux pour les chrétiens qui sont comme le décrit l’auteur qui sous-tend que « les » musulmans ne le sont pas à travers ses mots « ce sont… » qui renvoient à l’ensemble des membres d’une communauté. C’est faux, gave et dangereux. Juste pour préciser que l’essentialisme dans ce contexte, c’est la posture adoptée consciemment ou non par l’auteur qui consiste à dire que c’est parce-qu’ ils sont chrétiens qu’ils ont telle ou telle vertu. J’espère que l’auteur lui-même qui porte un nom musulman sera l’exception et par son comportement sauvera l’honneur de ses frères musulmans même si, au regard de cet article, ça ne semble pas bien amorcé. Toutefois, il n’est jamais trop tard pour rectifier le tir. Revenons à la faute essentialiste de l’auteur.
Ahmadou Makhtar Kanté
Imam, écrivain et conférencier
Fait à Dakar, le 27/12/2018 – rabiuthani 1440