ACCORD GAZIER SENEGAL-MAURITANIE - Les dessous d’une entente politique

Jeudi 7 Juin 2018

Le souci des compagnies Kosmos Energy et British Petroleum de faire des économies d’échelle en ne construisant pas les mêmes infrastructures de part et d’autre de la frontière maritime a contraint le Sénégal et la Mauritanie à accepter de signer un accord politique pour le développement des gigantesques gisements gaziers de Grand Tortue/Ahmeyim. Ce que les autorités appellent «Accord de coopération intergouvernementale».


Le vote, jeudi 31 mai dernier, par l’assemblée nationale du Sénégal du projet de loi 16/2018  permet au président Macky Sall de ratifier in fine l’Accord de coopération intergouvernementale (ACI) signé le 9 février dernier à Nouakchott avec son homologue mauritanien, Mohamed Ould Abdel Aziz. L’entente entre les deux Etats porte sur l’exploitation commune des champs pétro-gaziers du bloc Grand Tortue/Ahmeyim dit GTA (ndlr : Grand Tortue côté sénégalais et Ahmeyim côté mauritanien) par l’entremise des sociétés Kosmos Energy et British Petroleum (BP).
 
Le schéma retenu par les autorités des deux pays attribue à chaque Etat une part de 50%, un système dit gagnant-gagnant, selon les termes du ministre sénégalais des Affaires étrangères qui défendait le texte devant les députés. Selon Sidiki Kaba, «c’est le choix du partage» qui a été fait, rejetant les accusations développées par des députés de l’opposition sur les critères «artificiels» retenus par la partie sénégalaise.
 
Mais en parlant «des économies d’échelles» que l’ACI va favoriser dans la mise en œuvre du projet, le chef de la diplomatie sénégalaise a quasiment défloré une partie du «mystère» qui entoure la signature du texte. Selon des informations dignes de foi, Sidiki Kaba a dit vrai mais il s’est bien gardé d’indiquer aux députés présents à l’hémicycle que ce sont en premier les compagnies Kosmos Energy et British Petroleum qui ont exigé que les deux Etats s’entendent pour que le développement et l’exploitation de Grand Tortue/Ahmeyim démarrent justement par des…«économies d’échelle».
 
En fait, il n’était pas question pour elles de construire des infrastructures «indépendantes» de part et d’autre de la frontière maritime. «Cela aurait coûté excessivement cher aux deux compagnies en dépit des belles promesses de production et d’exploitation des puits», indiquent des sources au fait du dossier. C’est pourquoi Kosmos Energy, dans un communiqué publié au lendemain de la visite du Président Sall à Nouakchott, n’a pas tardé à «saluer (…) un accord qui permet de développer (les) ressources gazières partagées rapidement et efficacement au bénéfice des deux pays».
 
Nos informations autour de l’intervention des deux compagnies semblent d’ailleurs en phase – ou à tout le moins non contradictoires – avec le communiqué de la société d’hydrocarbures américaine. Pour Kosmos, il y avait en effet un préalable à remplir pour Sall et Aziz afin «que le développement de Tortue (…) continue d’avancer.»
 
«Préalable»
 
La gestion politique de la crise bilatérale entre Dakar et Nouakchott a été flagrante du côté sénégalais car les Mauritaniens l’ont voulu ainsi. Cela explique que ce soit le ministre des Affaires étrangères du Sénégal qui ait défendu l’Accord de coopération intergouvernementale devant l’assemblée nationale, et non le ministre du Pétrole et des Energies. Cependant, nous signale un responsable pétrolier imprégné du dossier, «des réunions techniques se sont tenues sans interruption pendant deux ans entre Sénégalais et Mauritaniens, à Dakar et à Nouakchott, afin d’asseoir l’accord qui était recherché par les présidents Sall et Aziz.»
 
En session plénière, les députés de l’opposition, en particulier Ousmane Sonko, Mamadou Lamine Diallo et Cheikh Bamba Dièye ont bruyamment remis en question le caractère équitable du fifty-fifty «gagnant-gagnant» défendu par le gouvernement. Avant eux, Idrissa Sek avait malicieusement demandé au président de la République de publier le contenu de l’accord scellé avec la Mauritanie. Une interpellation qui avait eu le don d’énerver Macky Sall obligé alors d’apporter des précisions sur la démarche du Sénégal dans ce dossier. 
 
Selon nos informations, Nouakchott sait pertinemment que la plus grande partie des gisements découverts à la frontière maritime se trouve en territoire sénégalais. Elle sait également qu’une répartition équitable des ressources attendues de l’exploitation par les compagnies contractantes lui aurait alloué une part inférieure à celle que percevrait Dakar.
 
C’est pourquoi elle aurait multiplié les obstacles jusqu’à menacer de ne pas signer l’ACI sans une «négociation politique» qui, seule, pouvait aboutir à un «compromis» acceptable à ses yeux. Hasard des choses, la démarche mauritanienne était en phase avec les intérêts de Kosmos et BP soucieuses, elles aussi, de ne pas investir doublement, comme expliqué plus haut.
 
Une révision de l’accord dans le futur ?
 
L’accord est-il scellé dans du marbre ? Les dirigeants de Kosmos, détenteurs de masses d’informations importantes sur la géographie du bloc ainsi que sur les quantités de gaz potentielles, semblent conscients de l’iniquité de ce «partage gagnant-gagnant». En effet, écrivent-ils dans le communiqué susmentionné, si «l’accord entre la Mauritanie et le Sénégal prévoit le développement du gisement de Tortue par le biais d’une unitisation transfrontalière avec une répartition égale de départ (à 50/50) des ressources et des revenus», il est aussi prévu «un mécanisme pour futures re-déterminations des participations sur la base de la production effective et d’autres données techniques.»
 
Sur le bloc Grand Tortue Ahmeyim, les parts sont ainsi établies aujourd’hui: 5% pour Petrosen (Sénégal), 5% pour la Smhph (Société mauritanienne des hydrocarbures et du patrimoine minier), 29% pour Kosmos Energy et 61% pour British Petroleum (BP). Selon Kosmos, les réserves du site seraient aux alentours de 450 milliards de mètres cubes de gaz.
 
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