Abdou Latif Coulibaly : les premiers missiles d'opposant contre Macky Sall

Lundi 5 Février 2024

Dans un entretien avec RFI ce matin, Abdou Latif Coulibaly, fraichement démissionnaire de ses fonctions de ministre secrétaire général du Gouvernement, explique les raisons de son départ et marque sa déception face aux violations des engagements républicains naguère pris par le président sénégalais.


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« (…) Je me suis dit que le président de la République n’avait pas le pouvoir de le faire, l’Assemblée nationale encore moins, et la raison est très simple : en 2016, nous avons parcouru le Sénégal et le président Macky Sall avait raison de procéder à la réforme de la Constitution pour faire en sorte que le mandat du président de la République dans sa durée, comme dans le nombre de mandats, soit érigé en un principe intangible. La loi est sublimée pour faire en sorte que le mandat ait le même caractère et la même nature juridique que l’intangibilité du caractère républicain de l’État sénégalais. Et nous étions d’accord avec lui, et c’était bien de la faire. Et aujourd’hui lui-même décide de renoncer à tout ça.

 

Des engagements trahis ?

 

« Je constate simplement que nous avons rejeté tout ce que nous avons dit et tout ce dans quoi nous avions engagé les Sénégalais en 2016. Le président lui-même disait en 2012, quand le président Obasanjo [ex-chef d’État du Nigeria, NDLR] venu comme observateur avait suggéré l’idée de reporter l’élection de 2012, lui-même disait qu’il n’est pas envisageable ni même possible que le président de la République, lui-même, puisse augmenter d’une journée son mandat. »

 

La campagne d’Amadou Ba qui ne « décolle » pas ?

 

« C’est vous qui avez dit que la campagne semble avoir du mal à décoller. C’est un jugement que vous avez porté. Vous n’avez pas vu les sondages qui sont faits au Sénégal. Moi j’en ai vu, j’en ai vu de mes propres yeux. Croyez-moi quand je vous le dis. Ce jugement que vous avez porté n’est pas exact. Deuxièmement, ce n’est pas parce que la campagne d’Amadou Ba a du mal à décoller qu’il fallait en conclure qu’il faut annuler l’élection de février, ce n’est pas imaginable. Lui-même, Macky Sall en 2012, il avait moins de 27% des suffrages. On aurait pu dire que sa campagne décollait mal. Abdoulaye Wade en est sorti avec moins de 40 et quelques pourcents, sa campagne n’avançait pas. Pour autant, Abdoulaye Wade n’avait pas décidé de supprimer l’élection. Il a laissé les Sénégalais juger.

 

Dérive autoritaire ? Coup d’État constitutionnel ? 

 

« Je n’ai pas de mots pour qualifier ça, ça me dépasse totalement, c’est la raison pour laquelle je suis parti. Si j’avais des mots pour qualifier ce qui se passe… Et la chance, c’est qu’il (NDLR: Macky Sall) m’a fait l’amabilité de m’écouter, je lui ai expliqué mon point de vue. Je suis un citoyen sénégalais, j’ai toujours dit qu’il y avait deux choses qui étaient essentielles et sacrées pour moi : l’État et la République. C’est en la République que nous croyons, c’est avec elle que nous sommes forts, sans elle nous sommes affaiblis. Personne n’a le droit d’affaiblir la République. Ce qui se passe est qu’on affaiblit la République.

 

Que cherche Macky Sall ?

 

« Justement, je ne peux pas comprendre ses intentions. Parce que ce report n’est pas un avantage pour lui et ce en rien du tout… Peut-être satisfaire quelque part une demande que je ne réalise pas, dont je ne vois pas l’objectif final. Peut-être est-ce simplement que quand on exerce le pouvoir on croit que tout est possible. Et tout ce qu’on pense devoir faire, on le fait. Oui, mais dans la seule mesure où ça va dans un sens qui se déroule dans le sens de l’histoire que nous voulons pour notre pays. En 2023, le 3 juillet, avec une lucidité remarquable, le président se présente aux Sénégalais et leur dit : je ne serai pas candidat, même si la loi m’en donne le droit. À mon avis il aurait été préférable, s’il voulait rester au pouvoir, de s’engager comme Abdoulaye Wade l’avait fait, d’avoir à faire face à des contestations, ce qui aurait été normal. Il s’est présenté au suffrage des Sénégalais : s’il gagne, il est président de la République, s’il ne gagne pas, eh bien il fait comme Abdoulaye Wade avait fait.

 

Le Président qui réitère qu’il ne sera pas candidat ? 

 

« Mais c’est encore pire, le dire, le savoir, et de faire ce qu’il a fait. C’est encore pire ! Pourquoi ? Parce que s’il était candidat, il aurait lui-même participé au cours de l’histoire. Mais, cette fois-ci, il arrête l’histoire. Même momentanément, il l’arrête. Et tout le monde est concerné. S’il se présentait et assumait sa volonté de le faire, il aurait été contesté mais il se serait présenté au suffrage des Sénégalais, les Sénégalais auraient dit oui ou non. Et là, c’est lui-même qui décide du sort global du pays. »

 

Deal PDS-APR

 

« Un accord écrit ? Je ne sais pas. Mais un accord sur la démarche et la procédure, c’est évident. La majorité a voté, avec le PDS. Le PDS qui accuse d’ailleurs de façon très grave le Premier ministre d’avoir corrompu des magistrats, et ça, c’est écrit noir sur blanc. Le Premier ministre de la République avec qui on siège au conseil des ministres, avec qui on n’a pas rompu, la majorité l’a accusé comme ça. Il n’est pas devant une haute cour, qui n’existe d’ailleurs plus au Sénégal. Il n’est pas jugé. Et voilà aujourd’hui qu’on le jette en pâture et qu’on jette toute une majorité en pâture. »

 

Election sabotée en amont ?

 

« (…) Je suis un élu à l’intérieur du pays. Au moment où je vous parle, je suis dans ma base électorale, ma circonscription, j’ai fait tout le département, qui est ma circonscription. Aucun acte de préparation à cette élection n’a été engagé. Or, au Sénégal, nous avons l’habitude, pendant trois mois, de procéder aux préparatifs de cette élection-là, à l’information des électeurs, au pré-positionnement du matériel. Rien n’a été fait, et ça devait se faire bien avant que le Conseil constitutionnel ne se réunisse, ils ne l’ont pas fait…»

[Source : Radio France Internationale]
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