Souleymane Diop, journaliste indépendant
Le bilan officiel de l’accident de Kaffrine est de 39 morts et 101 blessés dont 10 dans un état grave. Le drame s’est produit dans la nuit de samedi à dimanche à Sikilo, commune de Kahi, arrondissement de Gniby, département de Kaffrine. Un drame qui a plongé tout le pays dans une émotion sans égale.
Les premiers constats effectués sur les deux bus qui sont entrés en collision révèlent que l’un d’eux avait les pneus complètement usés. Il s’agit du véhicule en provenance de Tamba et immatriculé KL 0156 D. Toujours selon les premiers éléments de l’enquête, l’une des roues avant du véhicule a éclaté alors qu’il roulait à vive allure. Le choc frontal avec le bus en provenance de Kaffrine et immatriculé DL 7432 C, était difficilement évitable. Même si les pneus usés sont pointés du doigt, force est de reconnaître que les responsabilités sont partagées. Autorités étatiques, forces de sécurité et de défense, transporteurs, chauffeurs et usagers ont tous une part de responsabilité.
Mes condoléances aux familles des disparus. Que Dieu accueille les défunts au paradis et veille sur les familles éplorées. Prompt rétablissement aux blessés.
Que dire des recommandations du conseil interministériel tenu le 09 février 2017 ?
S’agissant des autorités, elles devaient savoir raison garder. Le 09 février 2017, un conseil interministériel du gouvernement du Président Macky SALL a été tenu sur la sécurité routière. Une dizaine de recommandations a été retenue dont celles-ci :
- immobilisation et mise en fourrière de tout véhicule en circulation dont :
a. le propriétaire n’a pas présenté son véhicule à la visite, sans motif valable, à l’expiration du délai de visite technique;
b. l’état de vétusté est tel que la circulation du véhicule compromettrait gravement la sécurité des personnes ou des biens.
Les réparations à effectuer sur le véhicule seront constatées par l’expert chargé des visites de la zone géographique où l’infraction a été commise. Une mise en demeure d’effectuer les réparations dans un délai d’un mois, sous peine de retrait définitif dudit véhicule de la circulation, sera envoyée au propriétaire.
- les opérations de mutation de Dakar vers les régions pour les véhicules de transport public interurbain de voyageurs et de marchandises sont suspendus à titre provisoire sur tout le territoire national ;
- il est formellement interdit toute transformation de véhicule destiné au transport de marchandises (fourgons, fourgonnettes, camions, etc.) en véhicule de transports de passagers ;
- les transformations des véhicules d’origine destinées à augmenter les places assises pour les passagers ou à créer des porte-bagages supplémentaires sont interdites ;
- une « tolérance zéro » est appliquée contre les surcharges de personnes et de bagages pour l’ensemble des véhicules ;
- l’âge des conducteurs de véhicules de transport urbain de passagers taxis urbain est fixé à 25 ans au minimum.
- les dispositions du Code de la route relatives à l’usage du téléphone au volant, au port de la ceinture de sécurité, à l’excès de vitesse, au respect de la signalisation horizontale et verticale seront rigoureusement appliquées.
Toutes ces recommandations n’ont jamais été respectées. Pour ainsi dire qu’au Sénégal, nous sommes forts en séminaire et réunion mais faible en application de décision. Présentement un autre conseil interministériel se tient à l’instant même. Quel gâchis ! Au lieu de dépenser encore de l’énergie et d’argent pour tenir une autre rencontre, il était beaucoup plus plausible de procéder à l’application des mesures issues de la première rencontre.
Le Sénégal, dépotoir des pneus usés
Pire, l’administration centrale est doublement responsable. Que dire des pneus d’occasion importés d’Europe et d’ailleurs ! Chaque jour des conteneurs remplis de pneus d’occasion débarquent au port de Dakar au vu et au su des autorités douanières. Incroyable mais vrai, il n’existe pas de normative concernant les pneus d’occasion sur le territoire national. Cela signifie qu’aucun organisme n’est chargé de vérifier et de garantir la sécurité des pneus qui ont déjà été utilisés, dans le but d’attester qu’ils soient fiables et qu’ils parviennent au client en bon état.
L’usure d’un pneu n’est pas toujours appréciable à l’œil nu, et souvent quand on achète ces roues on ignore si elles ont été fréquemment exposées à de brusques changements de températures, si la voiture qui les avait stationné en garage ou dans la rue, si l’antérieur propriétaire en prenait soin ou non.
Tant qu’aucun organisme ne régulera pas la sécurité des pneus, et dans la mesure où on ignore leur provenance ainsi que les conditions auxquelles ils ont été soumis, les acheter pour en équiper sa voiture signifie surtout mettre en péril sa propre sécurité et augmenter ses probabilités d’accident. C’est pourquoi il est toujours préférable et recommandable d’acheter des pneus bon marché neufs, même si leur prix reste un peu plus élevé.
La responsabilité des transporteurs et conducteurs engagée
Adeptes du bon marché, certains transporteurs font fi des mesures de sécurité en préférant se ruer vers tout ce qui est occasion. Les véhicules de transport importés par les transporteurs ont déjà fait leur temps en Europe. Au lieu de se regrouper en GIE avec la complicité des banques pour acquérir des véhicules de transport zéro kilomètre, ils se ruent sur les véhicules venant d’Europe et d’ailleurs dont la plupart ont connu des accidents et retapés une fois au Sénégal. C’est aussi valable dans l’achat des pièces mécaniques d’occasion et des accessoires de véhicule. Fermant les yeux sur les mesures de sécurité routière, les transporteurs engagent de jeunes chauffeurs qui n’ont aucune expérience de conduite de longue distance. A l’image des bus de Dakar Dem Dikk qui utilisent 2 chauffeurs pour les trajets longue distance, les transporteurs préfèrent se limiter à un seul chauffeur et des apprentis. D’ailleurs d’après les informations recueillies, l’un des conducteurs d’un des bus est un apprenti. Certainement assez fatigué par le voyage souvent pénible, le chauffeur se repose laissant le volant à son apprenti. Une faute très grave qui met en danger la vie des passagers.
Contrairement aux pays d’Europe, au Sénégal les places dites « Wersailles » sont autorisées au su et vu des autorités. Conçus pour un nombre de places bien déterminés, nos véhicules de transport en commun et ceux effectuant des voyages inter régions se retrouvent avec une dizaine de places supplémentaires bafouant les prescriptions figurant dans la carte grise. Avec un surnombre, le véhicule perd facilement l’équilibre.
Responsabilité des forces de défense et de sécurité
Dans nos autoroutes, l’image d’un car de transport en commun avec une surcharge débordante est devenue monnaie courante. Au regard des forces de l’ordre, certains chauffeurs font fi du poids autorisé et des marchandises à charger. Un jour en revenant de la ville sainte de Touba, j’ai croisé sur l’autoroute un car de transport dont de visu le poids total était en surcharge de près de quelques tonnes. Ce véhicule qui roulait en plein jour en tombeau ouvert a pourtant traversé les éléments de la gendarmerie positionnés le long de l’autoroute.
Le Sénégal, pourtant ayant pris depuis 2005, l’engagement de faire respecter la charge en fonction des essieux des camions, peine à atteindre son objectif. Lors d’un séminaire tenu en septembre 2022, le directeur des Routes, Mamadou Alassane Camara, disait « la surcharge à l’essieu continue d’être importante et 50% des gros porteurs ne respectent pas la directive ». Toujours selon lui, «Le Sénégal a fait le choix du délestage à cause de la vétusté du parc. Cela fait 10 ans que cela dure, il faut donc prendre les mesures idoines pour amener les acteurs à respecter le règlement».
Paradoxe, contrairement aux autres pays de l’Union économique et monétaire ouest africaines (Uemoa), qui appliquent des amendes, le Sénégal opère un délestage de la charge.
Les officiers de police et de gendarmerie présents sur les routes afin de veiller à la sécurité routière ont l’obligation de procéder au contrôle des cars dont de visu les charges débordent. Ensuite, les agents de police ou les gendarmes doivent effectuer différents contrôles visuels avant de déterminer si le conducteur doit être ou non sanctionné. Par ailleurs, un refus de contrôle est considéré comme étant un délit par le Code de la route.
La complicité des passagers
Les passagers ont également une grande part de responsabilité. Pressés de voyager, ils ferment les yeux sur les éléments les plus élémentaires de matière de transport de masse. Au lieu de dénoncer les conducteurs qui ne respectent pas les principes de base, les usagers sont souvent obnubilés par la rapidité du véhicule. En acceptant d’utiliser les places dites « Versailles », les passagers sont complices et doivent par la même occasion être sanctionnés par nos forces de sécurité et de défense. Juste pour ainsi dire que le passager joue aussi un rôle dans la sécurité du trajet en voiture, notamment si le conducteur ne respecte pas les règles de sécurité routière (vitesse excessive…). Chacun, passager comme conducteur, a une part de responsabilité dans la sécurité en voiture.
Si le passager considère le conducteur inapte à conduire (fatigue, consommation d’alcool ou de stupéfiants…), il doit lui interdire de prendre le volant. Si le conducteur souhaite toutefois conduire, le passager doit refuser de monter en voiture pour ne pas se mettre en danger.
A défaut d’un apprenti, le passager à l’avant d’une voiture doit aussi être vigilant à la circulation. Il seconde le conducteur en le prévenant de potentiels dangers de la route et des changements de direction.
Enfin, lors de trajets de nuit, le passager peut aider le conducteur à lutter contre la fatigue et la somnolence en lui faisant la corsation. S’il détient le permis de conduire, il peut aussi relayer le conducteur.
Pour ainsi dire que nous sommes tous responsables. Revoyons nos copies !
Souleymane DIOP, Journaliste indépendant