Accord de pêche : l’Union européenne veut-elle faire chanter le nouveau pouvoir sénégalais ?

Mardi 28 Mai 2024

Alors que le Sénégal a décidé de renégocier un meilleur accord de pêche avec elle, l’Union européenne brandit un « carton jaune » pour sanctionner, dit-elle, les manquements du pays dans la lutte contre la pêche illicite. Une décision qui cache peut-être de la part de Bruxelles une volonté de contraindre les nouvelles autorités sénégalaises à ne pas trop changer le contenu d’accords de pêche qui expirent en novembre prochain.

Le Président Diomaye Faye lors d'une audience accordée au président du Conseil européen Charles Michel

L’Union européenne cherche-t-elle des moyens de faire chanter les nouvelles autorités sénégalaises pour ne pas être en position de faiblesse dans la perpective d’une renégociation des accords de pêche signés avec le Sénégal sous l’ancien régime ? C’est le sentiment que l’on peut avoir à la lecture du communiqué de la Commission (organe exécutif) en date du 27 mai 2024 et infligeant un « carton jaune » au Sénégal. Désigné et « présélectionné en tant que pays non coopérant dans la lutte contre la pêche INN », le Sénégal est accusé de trainer avec « de graves lacunes (…) ces dernières années » et peine à « se conformer à ses obligations internationales en tant qu’Etat du pavillon, Etat u port, Etat côtier, ou Etat de commercialisation », indique la Commission européenne. 

 

La pêche INN est une forme illicite de pêche dont les prises ne sont pas déclarées et les moyens de capture non réglementés ou non homologués. Elle est considérée comme une menace contre la durabilité des ressources et les écosystèmes marins. A cet effet, « seuls les produits de la pêche capturés légalement peuvent accéder au marché » que représente l’espace des 27 pays membres de l’Union.

 

Selon l’UE qui revendique le titre de premier importateur mondial de produits de la pêche, la pêche INN génère un chiffre d’affaires estimé entre 10 et 20 milliards d’euros par an. L’équivalent de prises comprises entre 11 et 26 millions de tonnes de poissons, soit 15% des captures mondiales annuelles.

 

Bien avant leur arrivée au pouvoir, le Président Bassirou Diomaye Faye et le Premier ministre Ousmane Sonko ont clairement annoncé leur volonté de renégocier les accords de pêche signés par l’ancien régime avec l’Union européenne (UE). Cette posture a été réaffirmée en conseil des ministres du 10 mai dernier. A cette occasion, le chef de l’Etat a demandé à la fois un audit du secteur qui fait vivre des centaines de milliers de personnes, et une évaluation des accords de pêche. 

 

La veille, 9 mai, Jean-Marc Pisani, chef de la Délégation de l’UE au Sénégal, avait fait part de la disponibilité de l’Union à « renégocier avec le gouvernement sénégalais (l’) accord de pêche » qui expire en novembre 2024. La redevance annuelle en contrepartie des captures des bateaux européens est 1,7 million d’euros (soit 1,115 milliard de francs CFA), avait révélé Pisani.  

 

Dans les récents rapports de la Cour des comptes rendus publics, les enquêteurs ont documenté les pratiques de pêche clandestines de plusieurs bateaux de pêche européens, espagnols et français en particulier, dans les zone maritimes sénégalaises.  

 

C’est dans ce contexte que sont tombées les menaces de l’Union européenne contre le Sénégal qui ne ferait rien contre la pêche INN à laquelle se livreraient des « bateaux étrangers » non identifiés. Du coup, si le carton jaune « offre au Sénégal la possibilité de réagir et de prendre des mesures » de correction « dans un délai raisonnable », le « carton rouge » non encore envisagé « comporte des sanctions comme, par exemple, l’interdiction d’exporter (des) produits de la pêche vers le marché de l’UE. »

 

Le timing de ces « menaces » interroge. Le nouveau pouvoir n’a pas encore deux mois de vie. Et les enquêtes de la Cour des comptes montrent que le secteur de la pêche a été sciemment laissée dans un très grand désordre par le régime de Macky Sall. 

 

Pourquoi la Commission de l’Union européenne n’est-elle pas intervenue ces dernières années pour brandir son « carton jaune » aux autorités sénégalaises et leur rappeler que la pêche INN devait être combattue ? Le statut d’ « ami et de partenaire » de l’UE qu’avait l’ancien président sénégalais a-t-il prévalu pour que le Sénégal n’ait pas été publiquement interpellé face à ses obligations internationales en matière de pêche INN ? 

 

En fin de compte, on se demande si l’Union européenne ne cherche pas à mettre la pression sur le nouvel exécutif sénégalais afin de le contraindre à ne pas pas toucher substantiellement au contenu des accords de pêche avec le Sénégal. 

 
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