Assises internationales du journalisme de Tunis - La presse : moribonde ici, résistante ailleurs…

Mercredi 21 Novembre 2018

Au Sénégal comme dans le reste du continent, la presse écrite est en mauvaise posture à cause, en particulier, de la concurrence des produits d’informations issus de l’internet. Pour Algérie, le Liban ou la Tunisie, des acteurs directs ont partagé leurs soucis et leurs espoirs à l’occasiondes Assises internationales de la presse de Tunis.


Momar DIENG (Tunis)
 
Affirmation récurrente : la presse écrite en papier va mourir. Une posture à la peau dure avec la montée en puissance des réseaux d’information nés sur internet. L’exemple sénégalais ne diffère pas des autres situations en vigueur dans d’autres pays : baisse drastique du tirage papier, journaux doublés par les réseaux sociaux qui reprennent ostensiblement leurs éléments d’informations et d’analyses tous les jours dès le petit matin, uniformisation des contenus lesquels restent souvent dépourvus d’originalité…
 
«La presse écrite va mourir…»
 
«Depuis une trentaine d’années, on ne dit que cela, en attendant que cela se transforme en prophétie auto-réalisatrice», précise Jacques Rosselin, fondateur de l’hebdomadaire «Courrier international» du Groupe Le Monde, au cours d’un débat intitulé «Y a-t-il un avenir pour la presse écrite d’information ?», aux Assises internationales du journalisme de Tunis. «Les ventes tendent vers le zéro : la faute aux gens et aux patrons de presse, tous obnubilés par le numérique», rapporte-t-il d’un dirigeant d’un grand quotidien parisien du soir. Un exemple par lequel des observateurs attentifs dans le public de la Maison de la Culture ont cru voir le journal «Le Monde.»
 
Pour Omar Belhouchet, directeur et fondateur de l’hebdomadaire algérien «El Watan», il est incontestable que «le papier perd du terrain, une tendance mondiale irréversible.» Mais, ajoute-il dans la foulée, «nous résistons.» El Watan est une icône de la presse algérienne, née sous les braises de la décennie de feu qui a ensanglanté ce pays dans les années 90 lors des revendications d’une partie du mouvement islamiste avec la complicité, dit-on, d’une frange de la hiérarchie militaire. Après 28 ans d’existence, El Watan semble avoir résolu la crise induite par la concurrence effrénée de l’internet, selon son propriétaire.
 
«Nous restons en vie car nous maîtrisons deux facteurs qui nous portent finalement: la maîtrise des coûts de production globaux sur l’ensemble de la chaîne ; et une politique d’indépendance éditoriale et commerciale agressive», explique Omar Belhouchet. L’offre éditoriale a été renforcée par un journal en arabe, «Al Khabar», dans une synergie qui a fait du groupe un des piliers de la presse démocratique en Algérie.
 
Coûts de production globaux élevés
 
Emile Sueur, corédactrice en chef de «L’Orient le Jour», le seul journal francophone au Liban, justifie aisément le basculement du titre sur le net. «Nous y avons 50 à 60 fois plus de lecteurs que sur la version papier avec 75% du lectorat en France, au Canada…» Ce qui n’est pas rien dans un environnement média très précaire au Liban, indique-t-elle. L’exemple patent de cette morosité de la presse écrire est la parution récente du quotidien «An Nahar» sous forme de 8 pages toutes…blanches. Un autre quotidien, «As Safir», a également fermé ses portes…
 
En Tunisie, c’est la presse francophone qui subit le plus les difficultés du secteur de la presse. Selon Taïeb Zahar, président du Syndicat des éditeurs Tunisiens, une douzaine de quotidiens et d’hebdomadaires ont disparu du champ médiatique après l’euphorie ayant suivi la Révolution du 14-janvier et la chute du régime Ben Ali.
 
«La presse écrite imprimée vit ses derniers moments en Tunisie», s’alarme Zahar qui accuse «une volonté délibérée de contourner cette presse là après le 14-Janvier mise en œuvre par la Troïka alors au pouvoir.» La Troïka est la coalition politique qui a gouverné le pays après le départ du président Ben Ali. Elle était composée de Ennahda, du Congrès pour la République (CPR) et d’Ettakatol.
 
Proposer des contenus meilleurs et originaux
 
Sortir du guêpier est devenu, partout, un défi permanent pour éviter la disparition. Pour Omar Belhouchet, la bataille du contenu et de l’indépendance reste déterminante. «Comme les autorités ont décidé de nous punir en interdisant qu’on nous donne de la publicité, nous sommes contraints à faire de la résistance.» Cela se traduit par des options fortes : une ligne éditoriale sans concessions, des enquêtes approfondies, des efforts soutenus dans le marketing… De marketing, il en est également question avec L’Orient le Jour au Liban.
 
«L’éditorial ne peut travailler seul. Il faut l’accompagner d’une campagne marketing adaptée et puissante», souligne Emilie Sueur. «Cela nous a permis de gagner 4% d’abonnés lors d’une campagne sur le dossier de la surconsommation de plastique.» Les dossiers, c’est l’une des solutions privilégiées par la corédactrice en chef du journal. Comme la défense de l’environnement.
 
«Nous sommes un journal de niches, ce qui nous pousse à nous concentrer sur des sujets où nous pouvons apporter de l’éclairage», renseigne Emilie Sueur. Ce qu’Omar Belhouchet accepte. «Nous essayons de ne pas reproduire les faits déjà présents sur le net. Nous leur donnons du sens…L’Algérie a besoin de contre-pouvoir…pour dire non au quatrième mandat et non au cinquième mandat.»
 
Aux yeux de Taïeb Zahar, «quand on ne peut payer des salaires décents aux journalistes à cause d’entreprises agonisantes, il faut arrêter de se mentir et reconnaître qu’il n’y a pas de liberté de presse en Tunisie.» 
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