Aux funérailles du journaliste palestinien tué, un drapeau... et un gilet "Press"

Samedi 7 Avril 2018

es corps de Palestiniens tués par les forces israéliennes sont généralement enveloppés de leur drapeau national, voire de celui de leur parti. Mais, samedi à Gaza, pour les funérailles de Yasser Mourtaja, un autre symbole a pris le dessus: un gilet estampillé "Press".

Posé au niveau du torse, sur un drapeau palestinien, ce gilet pare-balles est probablement le même que celui qu'il portait la veille lorsqu'il a été touché par des soldats israéliens pendant un mouvement de protestation, à la frontière avec l'Etat hébreu.

Des dizaines de journalistes, certains refoulant des sanglots, ont accompagné le corps de ce père de famille de 30 ans lors d'une procession entre l'hôpital et son domicile.

Yasser Mourtaja est l'un des neuf Palestiniens tués dans les affrontements de vendredi entre des milliers de manifestants rassemblés près de la barrière de sécurité, brûlant des pneus et lançant des pierres, et l'armée israélienne répliquant à coups de gaz lacrymogènes et à balles réelles.

La semaine précédente, des affrontements similaires avaient fait 19 morts côté palestinien, le bilan le plus meurtrier dans l'enclave depuis la guerre de 2014.

M. Mourtaja portait un gilet "press" au moment où il a été touché, selon des photographies de l'AFP.

Samedi, Reporters sans frontières (RSF) a réclamé "une enquête indépendante", affirmant que M. Mourtaja avait "manifestement été victime d'un tir intentionnel". L'ONG a condamné sur Twitter "les tirs délibérés de l'armée israélienne contre des journalistes", dénonçant un "crime contre la liberté de la presse".

Populaire dans le milieu des médias locaux, Yasser Mourtaja travaillait pour l'agence Ain Media basée à Gaza. Il était spécialisé dans la production documentaire.

- "Dans les airs" -

Son frère Motazem, également journaliste, se trouvait à ses côtés vendredi. Il affirme que Yasser suivait des manifestants brûlant des pneus quand il a été mortellement blessé.

"Il voulait prendre des photos pour montrer au monde" ce qui se passait, raconte-t-il à l'AFP. "Puis une balle l'a touché à l'estomac".

L'armée israélienne a indiqué dans un communiqué "ne pas viser intentionnellement les journalistes" et affirmé être en train d'enquêter sur "les circonstances des morts présumées de journalistes par les tirs des forces de sécurité".

Yasser Mourtaja avait récemment travaillé sur un documentaire sur la guerre de 2014 entre Israël et le Hamas au pouvoir dans la bande de Gaza, diffusé sur la chaîne Al-Jazeera.

Mais il s'intéressait aussi à des sujets plus légers, comme l'utilisation croissante de drones récréatifs par les Gazaouis, une façon pour eux de s'échapper de l'enclave pauvre et surpeuplée, soumises à un sévère blocus terrestre, aérien et maritime.

"Je m'appelle Yasser Mourtaja, j'ai 30 ans, j'habite à Gaza et je n'ai jamais voyagé", avait-il écrit en mars sur sa page Facebook, en publiant une photo de Gaza qu'il avait prise avec un drone.

"Aujourd'hui, en prenant une photo, je me retrouve là-haut dans les airs, et non au sol", avait-il ajouté.

- "Tous des cibles" -

Pour Hind Khoudary, une amie et collègue journaliste, Yasser était "une belle personne à tous les niveaux".

"Sa réputation auprès de tout le monde était celle d'une personne bienveillante", dit-elle, les larmes aux yeux.

Le chef du Hamas, Ismaïl Haniyeh, dont le mouvement est considéré comme "terroriste" par Israël et les Etats-Unis, a assisté à ses funérailles et lui a rendu hommage.

Israël accuse le Hamas d'avoir orchestré le mouvement de protestation lancé le 30 mars --pour réclamer "le droit au retour" des Palestiniens chassés de leurs terres après la création de l'Etat hébreu-- et de l'utiliser pour mener à bien des attaques à la frontière.

Mais la famille et les amis du journaliste assurent qu'il n'était rattaché à aucun parti politique.

M. Haniyeh assiste souvent aux funérailles des personnes tuées par les forces israéliennes, même si elles ne sont pas membres du Hamas.

Selon Mme Khoudary, la mort de Yasser a plongé les journalistes dans le désarroi, inquiets d'être "tous (devenus) des cibles".

"Il ne faisait que couvrir ce qui se passait", dit-elle.
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