La France est un «partenaire économique» historique du Sénégal dont elle a structuré l’économie. Mais depuis plusieurs années, et à la faveur de relations politiques très fortes tissées entre Dakar et Rabat, les entreprises marocaines s’installent et dominent des pans entiers de l’économie sénégalaise en rivalisant avec leurs homologues turques, chinoises, etc.
Par Momar DIENG
Dans la troisième édition de son « Baromètre du développement international » publié en décembre dernier, le cabinet BearingPoint avait relevé la « forte hausse de l’activité des entreprises marocaines et françaises en Afrique subsaharienne. » Celle-ci est marquée, notamment, par une forte croissance de leurs chiffres d’affaires permise par une pénétration plus forte et mieux coordonnée des marchés cibles.
Les cinq principaux pays où les entreprises françaises et marocaines sont les plus implantées sont l’Algérie, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Mali et le Sénégal. Si, côté français, Côte d’Ivoire, Maroc et Cameroun sont aux trois premières places, il en est autrement du côté marocain où domine le trio Sénégal, Côte d’Ivoire et Gabon pour la zone Afrique de l’Ouest.
Ces éléments de comparaison sont d’ailleurs partiellement l’objet d’une étude intitulée « Relations Maroc-Afrique subsaharienne : quel bilan pour les 15 dernières années ? » et réalisée par une équipe de cinq économistes sénégalais conduite par Moubarak Lô, chercheur à OCP Policy Center du Maroc et conseiller économique à la primature sénégalaise.
Au Sénégal, les entreprises marocaines sont désormais fortement représentées, et ce presque dans tous les domaines de l’activité économique. Des relations d’affaires qui sont au niveau des liens politiques entre les deux pays.
Ainsi, note le document, entre 1999 et 2014, les volumes d’échanges économiques sont passés de 12,3 millions dollars à 156,2 millions de dollars, « soit une croissance annuelle moyenne de 18,5% ».
Echanges commerciaux
En termes de pourcentages, les principaux produits exportés du Maroc au Sénégal sont : combustibles minéraux, lubrifiants et produits connexes (33,6%), articles manufacturés (20,3%), produits chimiques et produits connexes (17,5%), machines et matériels de transport (14,8%), produits alimentaires et animaux vivants (11%).
Dans ces cinq secteurs, les produits dominants exportés sont : pétrole et produits dérivés (95,5%), produits médicinaux et pharmaceutiques (25,5%), les papiers et préparation de papier (32,46%), les machines et appareils électriques (61,39%), et les produits laitiers et œufs d’oiseaux (36,57%).
Dans l’autre sens, le Maroc importe du Sénégal : produits alimentaires et animaux vivants (64,8%), matières brutes non comestibles sauf carburant (30,6%).
A ce niveau, les produits alimentaires essentiels demeurent les poissons, les crustacés, les mollusques et les préparations (75,67%).
En dépit d’une « forte progression », les échanges commerciaux « restent toujours faibles » tant au regard des relations historiques entre les deux pays que par rapport aux potentialités existantes. Au niveau mondial, le Maroc ne capte que 1,51% des importations sénégalaises, ce qui le place au 16e rang.
En Afrique, le royaume chérifien, en assurant 9% des importations du Sénégal, se classe au 3e rang derrière le Nigeria (51%) et la Côte d’Ivoire (16%).
IDE marocains au Sénégal
Les investissements directs étrangers marocains au Sénégal concernent plusieurs secteurs. Ultra-dominant, le secteur bancaire concentre à lui seul 84,9% du stock d’IDE. Derrière, se bousculent le holding (4,5%), le transport (4%) et l’industrie (3,2%).
Banques
« La place du secteur bancaire dans le stock d’IDE marocains au Sénégal s’explique par la création d’Attijariwafa Bank Sénégal suite au rapprochement (fusion) avec la Banque sénégalo-tunisienne » en 2007, expliquent les auteurs de l’étude. « Le nouvel ensemble se veut un vecteur de la coopération maroco-sénégalaise en termes d’échanges commerciaux et d’investissements, le Sénégal devenant à terme le « Hub » du groupe pour son développement en Afrique occidentale et servir de modèle de référence. »
C’est en 2008 que la Compagnie bancaire de l’Afrique occidentale (Cbao) est entrée dans l’escarcelle d’Attijariwafa bank à hauteur de 79,15%. Le groupe bancaire marocain, « par cette acquisition, réitère ainsi sa volonté de disposer des atouts nécessaires au déploiement de son projet de développement au Sénégal et dans l’ensemble des pays de la région de l’Afrique de l’ouest ».
La place dakaroise accueille d’autres établissements bancaires du royaume chérifien. Ce sont la Banque atlantique, une filiale de la Banque populaire du Maroc, et la Banque of Africa (Boa) qui est détenue majoritairement par la Banque marocaine du commerce extérieur (Bmce).
Cette position de leader dans le secteur bancaire sénégalais a trouvé une continuité dans l’espace subsaharien où les entreprises marocaines sont leader avec une part de 41,6%
Industrie pharmaceutique
Le bras industriel du Maroc s’appelle Sothema dont l’unité de production a été inaugurée en mars 2013 par le président Sall et le roi Mohammed VI. Sa filiale sénégalaise est West Afric Pharma (Waph) dont le « positionnement permettra à Sothema (…) de répondre aux besoins du marché de la région francophone d’Afrique de l’ouest, notamment les pays de l’Uemoa », relève-t-on dans le document.
Electricité
Le même schéma de filialisation a été utilisé par l’Office national de l’électricité et de l’eau (Onee) pour dérouler ses activités au Sénégal. La Compagnie maroco-sénégalaise de l’électricité (Comasel), mise en place en 2008, assure le contrat d’électrification rurale pour la région de Saint-Louis avec un investissement global d’environ 24 millions de dollars (12 milliards de francs Cfa) pour 550 villages. Son partenaire d’affaires est la Société financière internationale (Sfi) qui détient 16% des parts.
Le deuxième chantier de la Comasel prévoit le raccordement de 11 mille foyers de Louga
Immobilier
Les bâtiments et travaux publics sont l’un des pôles les plus dynamiques des investissements directs marocains au Sénégal.Ainsi, le plus grand projet immobilier du gouvernement sénégalais actuel est exécuté par le groupe Addoha. Il concerne la construction de la « Cité de l’Emergence » sur le site de l’ancienne gare routière appelée « Pompiers ». C’est un projet de 17 immeubles de 10 étages chacun sur une superficie de 25 mille mètres carrésprévus pour quelques 700 appartements de différents standings. L’investissement annoncé par le Directeur général du Groupe Addoha, Saad Sefrioui, est de 45 milliards de francs Cfa.
« Dans ce projet majeur, avait-il indiqué au site financialafrik.com, nous collaborons avec la banque leader au Sénégal, Cbao Attijariwafabank, la Banque atlantique et la Banque of Africa » (Boa).
Aux côtés d’Addoha, Holmarcom est également présent sur le marché de l’immobilier sénégalais à travers sa filiale Peacock Investment, en charge de la construction des 2850 logements de la « Cité des fonctionnaires » à Diamniadio.
L’immobilier semble être pour les entreprises marocaines au Sénégal un secteur porteur d’une vraie valeur ajoutée. Le Groupe Alliances n’est pas en reste : il est engagé depuis 2013 dans l’érection d’une « nouvelle ville de 175 ha » sur le pôle de Diamniadio. Ce projet porte sur « 40 000 logements, dont 30 000 unités appartiennent au segment économique, 8 000 au segment intermédiaire, et 2 000 villas ». Son coût est de 4 milliards de Dirhams.
Assurances
Sur un marché qui a longtemps été la chasse gardée des compagnies françaises, les entreprises marocaines ont pris le risque d’investir, en mettant à contribution si nécessaire la puissance de leur réseau bancaire.
Ainsi, Wafa Assurance, filiale du Groupe Attijariwafa Bank, a lancé deux filiales au Sénégal, rapporte le document de Lô et collègues. Ce sont Wafa assurance vie et Wafa assurance.
D’autre part, « le Groupe Saham, à capitaux marocains, a acquis 51% du capital social du Groupe Colina (15 compagnies d’assurances dans 11 pays africains dont le Sénégal) ». Pour une plus grande efficacité, toutes ces sociétés ont été fondues en une seule compagnie avec le brand de la maison-mère, Saham.
Facilités
La progression assez rapide des investissements directs étrangers du Maroc, notamment au Sénégal est expliquée par plusieurs raisons. Du côté marocain, cette progression « résulte de l’adoucissement de la réglementation des investissements qui offre davantage de facilités aux opérateurs économiques marocains afin de leur permettre de saisir les opportunités à l’étranger », souligne l’enquête du think tank OCP Policy Center. Ces facilités concernent : « la libéralisation, en 2007, de l’investissement à l’étrangerdans la limite de 30 millions de Dirhams par an pour les personnes morales ayant au moins trois ans d’activités ; le relèvement en 2010, du montant transférable au titre des investissements à l’étranger, à un plafond de 100 millions de Dirhams pour l’Afrique et de 50 millions de Dirhams dans les autres continents ; la création d’un fonds de 200 millions de Dirhams afin de renforcer la présence des opérateurs privés marocains sur le marché africain. »
Selon Hassan Sentissi, Président de l’Association marocaine des exportateurs (Asmex) interrogé par BearingPoint, « nous assistons depuis quelques années à une impulsion très forte du secteur privé marocain vers la région subsaharienne. L’appui des autorités du pays et les exemples de réussite portés notamment par les services financiers et l’immobilier ont accéléré le mouvement. »,
Côté sénégalais, les nombreuses visites du Roi Mohammed VI à Dakar et celles de hautes autorités du royaume ont permis la signature de nombreux accords touchant à tous les domaines de l’activité économique.