« Cette candidature vaut-elle vraiment les risques qu’elle nous fait courir ? » [Par Mody Niang]

Jeudi 22 Février 2024

Karim Wade, du temps de sa toute-puissance sous le régime de son père.

L’invalidation de la candidature de Karim Wade a été l’occasion pour les cousins/cousines de l’APR et du PDS de se retrouver et de prendre deux graves décisions suffisamment connues pour que je n’aie pas besoin d’y insister. Deux graves décisions qui ne pouvaient pas se prendre sans l’accord du président de la République sortant ou, du moins, devant sortir. L’invalidation de la candidature d’un Karim Wade qui suscite autant de polémiques et nous fait courir autant de risques ! Comme si nous ne connaissions pas ce « candidat du peuple » du PDS ! En tout cas moi, je crois le connaître et compte partager avec tout compatriote intéressé ce que je sais de lui. Ce que je sais de lui à partir de plusieurs sources que je n’ai pas inventées et qui sont vérifiables.

 

Je commence par un article publié le vendredi 24 février 2012 par Mehdi Meddeb, journaliste envoyé spécial au Sénégal par le site Mediapart. L’article a pour titre « Sénégal : dans la famille Wade, Karim le sulfureux ». D’emblée, M. Meddeb rappelle les propos tenus par un proche du président Wade à la veille de l’élection de février 2012. Il s’agit bien de Serigne Mbacké Ndiaye dont voici les propos : « Si on ne reste pas au pouvoir, nos adversaires nous jetteront en prison. » J’ajoute qu’il prendra même la responsabilité de déclarer son président vainqueur au soir du second tour, le 25 mars 2012, alors que ce dernier n’avait totalisé qu’un peu plus de 36% des suffrages exprimés.

 

Le journaliste de Mediapart rappela ensuite les mallettes du vieux président prédateur, notamment celle lourde de 133.000 euros, qu’il avait donnée à Alex Segura, qui quittait le Sénégal où il était représentant du FMI pendant quelques ans. Nous étions le 25 septembre 2012. Quand l’affaire fuita, un communiqué de la présidence de la République a tenté d’expliquer que « l'argent avait été remis en guise de traditionnel cadeau d'adieu à M. Segura (...) et n'était destiné en aucune manière à influencer ni M. Segura, qui quittait définitivement le pays, ni le FMI ». Je précise que la mallette a été donnée à M. Segura, suite à un dîner auquel le vieux président l’avait convié avant son départ. 

 

Le FMI expliquera que la présidence avait même reconnu que « son geste était une erreur humaine et qu’Alex Segura n’aurait pas dû recevoir cette valise mais plutôt une autre dans laquelle se trouveraient une sculpture africaine et des livres dédicacés par le président sénégalais ». 

 

Personne ne me convaincra que le geste du vieux président était désintéressé, encore moins son Premier ministre d’alors qui, dans une interview au quotidien Kotch, déclara : « Il ne s’agissait pas pour nous de le corrompre (. . . ). Nous avons cherché à aider quelqu’un à acheter des cadeaux pour ses parents. » Et, pour se faire plus convaincant, il ajouta : «100.000 euros, c’est rien. (. . . ). Avec cette somme, qu’est-ce que vous pouvez acheter en France ? Vous ne pouvez même pas vous payer un appartement ». L’hebdomadaire Jeune Afrique qui rendait compte de l’affaire, ironisa par ces mots : « Nous sommes quand même dans un pays où une employée de maison est généralement payée moins de 100 euros par mois. »

 

Pour revenir à notre journaliste de Mediapart, il fera d’autres rappels de tentatives de corruption. Ainsi, selon lui, son confrère Vincent Hugeux, auteur du livre Les Sorciers blancs, enquête sur les faux amis de l’Afrique, s’est vu « proposer des perdiems […] sur la table basse, une enveloppe garnie de 10.000 euros ». Le vieux président expliquera ce geste en ces termes : « Chez nous, il y a des coutumes ». M. Meddeb ajoute qu’un autre de ses confrères, M. Thierry Oberlé du Figaro s’est vu proposer des perdiems sur les mêmes bases. Il va plus loin en affirmant que, sous la présidence du vieux président, « la corruption s’est institutionnalisée », d’après plusieurs sources diplomatiques en poste à Dakar. C’est lui qui fait la précision, et je suis entièrement d’accord avec lui, moi qui ai dédié quatre livres et un nombre indéterminé de contributions à la gouvernance meurtrie du vieux président.

 

Le journaliste de Mediapart en vient maintenant au fils de « Gorgui », l’objet de son article. Il écrit : « Les scandales ont toujours en toile de fond un personnage décrié, l’homme certainement le plus détesté du pays : Karim Wade, le fils de ‘’Gorgui’’, toujours soupçonné, mais jamais directement impliqué », confirmant ainsi un journaliste d’investigation économique, Johnson Mbengue selon qui « aucune preuve tangible ne l’a mouillé, et c’est toute la force de Karim Wade de brouiller les pistes ». Je précise que nous étions en février 2012, et que les langues n’avaient pas encore commencé à se délier. Le père était encore au pouvoir. Pourtant, des gens comme Abdou Latif Coulibaly et votre modeste serviteur, avaient déjà beaucoup écrit sur le père et le fils.

 

Le journaliste rappelle aussi le surnom de « Monsieur 15 % », qui lui collait à la peau, comme le relatait un câble diplomatique américain révélé par WikiLeaks. Mediapart révèle aussi qu’un dénommé C., « partenaire de Karim » d’après plusieurs sources, a reçu un virement de 2 millions de dollars le 1er août 2007 de la part de Mohsen Al Kharafi. Ce dernier, la plus grosse fortune koweïtienne, était à l’époque associée aux chantiers du sommet de l’OCI, dont le conseil de surveillance était présidé par le fils de son père (l’expression est de moi). Et le journaliste de Mediapart de se poser cette question : « Y a-t-il eu ensuite rétrocommission ? » « Le doute plane », répondit-il sagement.

 

C’est ensuite l’affaire des Industries chimiques du Sénégal (ICS) qui est évoquée. Ces ICS qui étaient « un fleuron industriel à l’arrivée d’Abdoulaye Wade (et qui) se retrouvent au bord de la faillite au bout de quelques années à peine, comme le soulignait à l’époque le journal Jeune Afrique ». L’hebdomadaire d’alors affirmait ceci : «  L’entreprise passe d’un bénéfice net en 1999 de 18 milliards de francs CFA (27,6 millions d’euros) à un déficit de 54 milliards de francs CFA (83 millions d’euros) cinq ans plus tard. » Le journaliste explique ensuite la lourde responsabilité d’un homme d’affaires français proche de Karim, Jérôme Godart, dans la descente aux enfers des ICS. Je précise que le nom de ce Gérôme Godart sera mêlé aussi au très gênant, trop indécent détournement, par le vieux président prédateur, de 15 millions de dollars taïwanais initialement destinés à réaliser des projets sociaux au Sénégal. Dans mes deux derniers livres dédiés à la gouvernance du vieux président, j’ai donné de larges informations (irréfutables) sur ces deux scandales comme sur de nombreux autres. La gouvernance des Wade à l’épreuve de l’œil du « greffier de l’alternance, tel est le titre des deux livres (livre 1 et livre 2) que j’ai publiés le premier en septembre 2022 et le second en juin 2023. Le Livre 1 prend en charge l’essentiel des contributions que j’ai publiées pendant le premier mandat et le livre 2, celles publiées pendant le second et dernier mandat du père du « candidat du peuple » du PDS. Nombre de scandales qui ont jalonné la gouvernance des Wade ont été passés en revue dans ces livres comme dans les quatre qui les ont précédés.

 

Pour revenir à notre journaliste, il évoque aussi un rapport de l’Autorité de Régulation des Marchés publics (ARMP) qui accablait Karim, « faisant état de violations dans la procédure de l’appel d’offres (ententes, gré à gré, etc.) ». Sans parler des lourdes surfacturations. Il s’appuie sur un témoignage important, celui de Bara Tall, un entrepreneur sénégalais bien connu. Il lui fait dire : « Quand l’homme de Karim Wade, Abdoulaye Baldé, alors secrétaire général de la présidence et directeur exécutif de l’ANOCI, nous présente le projet en 2004, il nous explique qu’on doit se partager le gâteau. Je fais une offre à 14 milliards de francs CFA (21,5 millions d’euros), mais Baldé me dit de doubler ou presque. Je refuse en prétextant que c’est trop, et que c’est un délit. Je refais une offre, mais là encore il me dit : arrête avec tes prix à la con !» Il s’agissait de constructions d’infrastructures routières, notamment celles de la Corniche Ouest. Les travaux furent finalement confiés à une entreprise bien connue au Sénégal, dans des conditions qu’on peut bien imaginer.

 

On ne s’étonnera pas alors des déclarations de ce Baldé à Ziguinchor, où il étala au grand jour ses libéralités « au profit des populations » de la ville. Il était alors  en campagne pour les élections locales du 22 mars 2009. Donc, à la grande surprise de Góorgóorlu (le débrouillard), il a osé déclarer : « On dit que je gaspille beaucoup d’argent, mais c’est parce que je suis généreux. Je peux offrir 100 millions sans problème. Ce n’est pas l’argent de l’État, c’est mon propre argent, que mes amis arabes me donnent et que j’offre à mes frères (…) » Même ses proches s’enorgueillissent de sa générosité. Ainsi, un certain Malick  Sonko, alors conseiller technique à la présidence de la République, révèle qu’il offre des séjours en France tous frais compris et précise qu’un certain M. Timothé Boissy  en a profité. Le proche de Baldé ajoute que « c’est lui qui a toujours financé de sa poche (sic) les activités de la Section communale de Ziguinchor ». Je n’ai rien inventé : le lecteur peut se reporter au quotidien L’AS du jeudi 22 juin 2006 qui faisait le compte rendu à sa page 4. 

 

Combien de millions exactement les Arabes ont-ils donnés à Abdoulaye Baldé pour qu’il fût toujours prêt à dégainer ? Combien d’autres ont-ils donnés à Karim, alors son patron ? Combien de millions, de milliards, les deux compères ont-ils reçus des autres « amis » ? Du CDE, de la CSE, du duo Eiffage/Kharafi par exemple, pour ne citer que ceux-là ? C’est devenu un secret de polichinelle : ces deux acolytes sont plus riches que Crésus. Aucune surprise donc de les voir figurer parmi les vingt-cinq présumés délinquants de la liste dressée par les enquêteurs de la CREI. Son seul patrimoine, lui Baldé, a été estimé, par la Commission d’instruction de la Haute Cour de  justice qui devait le juger, à quatre milliards. Quel devait être alors celui de Karim Meïssa Wade, qui était mieux placé que lui pour s’enrichir ?

 

Pour revenir au journaliste envoyé spécial de Mediapart au Sénégal, il continue de révéler les scandales qui ont jalonné les quatre à cinq ans de la vie de l’ANOCI. Pas seulement. Il nous en révèle d’autres, notamment ceux qui ont entaché le secteur de l’Énergie, au moment où Karim Meïssa Wade en était le distingué ministre. Il précise : « La Sénélec, est dans la panade depuis des lustres, bien avant l’arrivée de Karim Wade. Les délestages empoisonnent la vie des habitants de la capitale, à l’origine des manifestations qui ont surpris le pouvoir en juin dernier. Les coupures de courant coûtent aussi très cher à l’économie du pays, qui perd 1,4 point de PIB à cause des délestages et des investissements des entreprises dans les générateurs. »

 

Arrive alors, poursuit le journaliste, celui que l’on surnomme désormais « le ministre du ciel et de la terre ». « Il sort de son chapeau le plan Takkal : plus d’un milliard d’euros pour restructurer le secteur ». Et « c’est une société américaine qui assure les besoins en électricité de Dakar, (dont) le contrat prend fin en mars, juste après la présidentielle ». « Sauf que, précise le journaliste, si l’intention est louable, le gouvernement de Wade a jeté une fois de plus le trouble en faisant obstacle à toute transparence. Un décret polémique pris début janvier met sur la touche l’autorité de régulation des marchés publics ». L’ARMP ne pouvait donc plus mettre son nez dans les contrats énergétiques. « C’est gênant », admettait alors une source diplomatique, selon le journaliste. 

 

Ce scandale est l’un des nombreux autres qui ont ruiné le secteur de l’Énergie et, en particulier la Senelec et la Société africaine de Raffinage (SAR). Ce gros, gros scandale nous a coûté des centaines, voire des milliards – je n’exagère pas – de francs CFA. Et les principaux responsables se la coulent douce, impunément, et chacun à sa manière, l’un à Doha depuis de longues années, d’autres au Sénégal dont l’un est à la tête d’une grosse entreprise. Celui de Doha, c’est naturellement Karim Méïssa Wade dont la candidature invalidée est à l’origine de polémiques stériles qui retardent le processus électoral en cours. Cette candidature que la décence ne devrait même pas permettre d’agiter. Oui, Karim Wade président de la République du Sénégal, je ne peux même pas l’imaginer. J’expliquerai clairement pourquoi dans une toute prochaine contribution, ce texte étant déjà long. Je ne me contenterai pas seulement d’expliquer, j’indiquerai aussi certaines pistes qui permettront à tout compatriote intéressé d’en avoir le cœur net. Karim Wade président de la République du Sénégal après son digne père et son non moins digne « frère » ! Ce serait une catastrophe nationale pour notre pays, qui a déjà souffert le martyre pour vingt-quatre trop longues années.

Dakar, le 21 février 2024

Mody Niang

 
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