Chronique 2019 – Le régime présidentialiste clientéliste et électoraliste en question (Par Mamadou Sy Albert)

Dimanche 3 Février 2019

La présidentielle  de 2019 se dessine frénétiquement à l’horizon. De lourdes tendances sont au cœur du paysage politique sénégalais. On peut citer entre autres : l’absence de dialogue politique sincère entre la majorité et son opposition, la suspicion grandissante  au sujet de l’impartialité de la Justice et du Conseil constitutionnel, la place du  ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique dans l’organisation des élections, les craintes d’un coup d’État électoral fourré dans le processus électoral et l’irruption de la  violence sociale et /ou politique.
 
Ces tendances classiques s’enchevêtrent aux nouvelles tendances nourries par la loi du parrainage obligeant les candidats à la candidature éliminés de la course à nouer de gré ou de force des alliances électorales prématurées avec les cinq candidats en lice. Ces tendances lourdes, constantes et /ou  nouvelles, sont fortement liées au régime présidentialiste par essence clientéliste et électoraliste. Probablement le régime présidentiel demeure la source principale de ces tendances lourdes.
 
Sept ans après l’arrivée du Président de la République Macky Sall à la tête du Sénégal en mars 2012, le visage politique institutionnel du Sénégal a très peu connu des modifications majeures en matière de dialogue politique franc et utile entre les acteurs politiques et de recherche de consensus de gestion  des élections. Il n’est point exagéré de penser que les acteurs principaux  du jeu politique n’ont pas fait le grand pas démocratique tant attendu, à tort ou à raison, des promesses de  la seconde alternance. Le dialogue et le consensus ne sont pas simplement au rendez-vous de l’exercice du pouvoir de la seconde alternance.
 
Le scénario se mettant en place est par contre quasi identique à celui de la présidentielle précédente marquée par la confrontation entre deux camps radicalement opposés, par la controverse au sujet de la recevabilité ou non de la candidature du  Président sortant, Me Abdoulaye Wade, les manifestations multiformes de l’opposition au régime libéral dénonçant une gouvernance solitaire et l’exclusion des adversaires du moment de la gouvernance démocratique du pays.
 
Ce cas de figure est  au cœur de la présidentielle de 2019. Le rejet massif de l’esprit et  de la mise en œuvre précipitée de la loi de parrainage, ses effets inattendus mais prévisibles avec  l’élimination précoce de plus d’une vingtaine de candidats à la candidature et la dénonciation des manquements relevant de l’absence de transparence dans la conduite contestée du  processus électoral et l’organisation non transparente du scrutin du 24 février 2019 témoignent d’un vrai malaise politique à la veille du scrutin électoral.
 
Les tensions sociales et politiques se cristallisant progressivement peuvent ainsi faire basculer la présidentielle en vue dans des épreuves de force aux conséquences imprévisibles : rejet de la candidature du Président sortant, marches pacifiques, violences urbaines et rurales, perte de crédibilité des institutions de la République. Comment expliquer la récurrence de cette tendance du dialogue impossible, de la violence  et de la suspicion systémique du processus électoral et des institutions républicaines d’une élection présidentielle à l’autre ?
 
« Le Président-candidat à sa propre succession est, depuis lors, au début et à la fin des mécanismes de fonctionnement de l’État central, du pouvoir étatique, du processus électoral, de l’élection, de son organisation et même de la proclamation provisoire des résultats. »
 
 Évidemment, les protagonistes offrent des lectures. Elles sont  partisanes. Le Président sortant a bâti son argumentaire autour d’une absence de sincérité de ses adversaires, du refus de l’opposition de dialoguer, de la faiblesse de son opposition insignifiante et certaine de perdre à terme la bataille électorale. L’opposition, elle, ne cesse de passer au crible de la critique une gouvernance incompétente et musclée, pour ne pas dire une dictature rampante, dont l’objectif majeur inavouable et inavoué est la préservation à tout prix du pouvoir.
 
Au-delà de cette querelle de positionnements et des arguments classiques des camps du pouvoir et de son opposition, de la personnalité propre au chef de l’État, il faudrait peut-être questionner le régime présidentiel qui est en réalité un régime clientéliste, électoraliste dans ses modes de fonctionnement et de gouvernance. Il est la source nourricière des controverses et des polémiques récurrentes.
 
Le Président de la République en exercice est depuis la Constitution de 1963, taillée sur mesure aux épaules du  premier Président de la République du Sénégal, Léopold Sédar Senghor, la clef de voûte des Institutions. Le Président de la République, le Chef de l’État est et reste le chef de son parti, de sa coalition, de l’Assemblée nationale, des pouvoirs législatif et judiciaire en dépit de la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire formellement établie par la charte fondamentale du pays.
 
Le Président-candidat à sa propre succession est, depuis lors, au début et à la fin des mécanismes de fonctionnement de l’État central, du pouvoir étatique, du processus électoral, de l’élection, de son organisation et même de la proclamation provisoire des résultats. Le dialogue politique au sujet de ce système, de ses tares et de ses dysfonctionnements et le consensus dynamique et intelligent entre le pouvoir et son opposition sont-ils possible entre un homme concentrant tous les pouvoirs en amont et en aval, et ses adversaires réclamant à juste titre une délimitation du pouvoir étatique et de la fonction présidentielle, un équilibre des pouvoirs et le respect de la séparation effective des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire ?
 
C’est là le nœud des tendances lourdes récurrentes nourries par le régime présidentialiste et son animateur principal. Quand le Président sortant organise lui-même des élections dans lesquelles il est une des parties en compétition électorale, ce n’est guère pour perdre à l’amiable ou pour faire des cadeaux à ses ennemis intimes. C’est le Président sortant qui nomme à tous les postes civils et militaires. Le Président de la République sortant est le maître des règles (loi électorale, organisateur) et du jeu (campagne électorale et médiatique).
 
Dans ces conditions défiant toute rationalité démocratique et éthique dans une élection, tous les conflits politiques et singulièrement les conflits touchant aux enjeux d’une élection libre et démocratique et à la nature du régime et la fonction présidentielle, ont naturellement pour principal centre d’intérêt politique et d’attraction, l’hégémonie et la puissance du Super Président-candidat à sa propre succession.
 
«Penser à une alternative de progrès démocratique et de justice sociale à ce régime et à ses carences, constitue un des enjeux programmatiques ultimes de la présidentielle de 2019, si les acteurs politiques veulent réellement tourner la page des scénarii du présidentialisme de l’époque du parti unique et ses tendances structurelles  récurrentes.»
 
Les effets néfastes de ce  présidentialisme clientéliste et électoraliste se mesurent alors depuis des décennies et des décennies par la campagne permanente du Président- candidat à travers ses tournées économiques à la quête d’un nouveau mandat, les inaugurations en voici et en revoilà, les rencontres internationales ou africaines, le contrôle des médias du service public, par la mobilisation des ressources publiques au service de la majorité et par la subordination des structures et des hommes que le Président sortant a mis personnellement en place souvent à dessein.
 
L’Institution présidentielle influe à n’en pas douter grandement sur l’élection tendue et son issue fatale pour l’opposition. La défaite de l’adversaire est à la limite programmée entre les mailles du filet tendu aux opposants par un homme averti par les astuces et combines imprévisibles du pouvoir. La tension politique et sociale entre ce pouvoir présidentialiste personnalisé et ses adversaires est  de l’ordre normal et non accidentel du fonctionnement du régime présidentiel acceptant difficilement la séparation des pouvoirs, la participation des adversaires à l’organisation des élections, des contres pouvoirs institutionnels. L’opposition ne voit et n’entend que le Président sortant. Il est l’homme à abattre.
 
Et inversement, le Président-candidat n’entend céder aucune des parcelles de ses pouvoirs  constitutionnels illimités et se révélant excessifs. Au fil de l’histoire du Sénégal. La première et la seconde alternance n’ont pas véritablement rompu avec ses héritages du présidentialisme. Le régime présidentialiste clientéliste et électoraliste porté par l’État-parti a atteint ses limites historiques. Penser à une alternative de progrès démocratique et de justice sociale à ce régime et à ses carences, constitue un des enjeux programmatiques ultimes de la présidentielle de 2019, si les acteurs politiques veulent réellement tourner la page des scénarii du présidentialisme de l’époque du parti unique et ses tendances structurelles  récurrentes.
 
A défaut d’une alternative politique à l’hégémonie du régime présidentialiste, du Président de la République et son pouvoir envahissant tout l’espace public et privé, les tensions politiques entre la majorité et son opposition, la violence sociale et le discrédit des Institutions et de la fonction présidentielle, sont devant les acteurs politiques aux yeux rivés toujours sur le fauteuil présidentiel et à ses privilèges, oubliant ses méfaits anti-démocratiques et contre productifs le temps d’une campagne électorale.
Mamadou Sy Albert
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