Chronique 2019 - Transhumance politique : La fragilisation des fondements éthiques de la bonne gouvernance et du militantisme

Jeudi 7 Février 2019

Le phénomène de la transhumance réapparaît de nouveau dans l’espace politique. Le rejet de la culture du parti unique et de l’accaparement des moyens publics est le fondement de l’irruption de la conscience citoyenne grandissante refusant de normaliser la transhumance dans le jeu politique démocratique. Les républicains au pouvoir peinent à comprendre et à intégrer les enjeux de cette colère citoyenne, républicaine et éthique.


La seconde alternance et ses animateurs ne semblent pas accepter, ni la qualification et la caractérisation de ceux qui continuent à exceller dans l’art de la transhumance et de la manipulation de l’opinion publique, ni la critique populaire en règle de la volonté inavouable de la mouvance présidentielle  d’élargir sa base électorale à des acteurs encagoulés, indexés et désapprouvés à juste titre par la morale sociale et l’éthique de la bonne gouvernance des affaires publiques.
 
La transhumance est un phénomène à la fois politique, culturel et de société. Elle est complexe. Elle revêt plusieurs formes. Hier on parlait d’entrisme et de changement ou de retournement de veste. En dépit de ses formes d’expression multiples, la transhumance  découle fondamentalement de la perte de pouvoir à un moment donné de l’histoire d’un parti et/ ou d’un revirement de perspective et d’idéal de société consistant à intégrer le camp de l’ancien adversaire pour des raisons inavouables à l’opinion et aux militants.
 
La perte du pouvoir, un facteur amplificateur de ce fait éminemment politique, est souvent à l’origine de la transhumance. La défaite électorale constitue une source d’inquiétude pour ceux qui ont été sanctionnés par les urnes. La peur des lendemains de la précarité sociale et économique programmée est synonyme d’un retour à la case départ du temps de  l’opposition. On retourne dans les rangs de l’opposition, des acteurs qui n’ont rien, aucun contrôle sur la marche du Sénégal, des Collectivités territoriales et des ressources publiques.
 
Etre dans l’incapacité de résoudre ses problèmes personnels, ceux de sa famille, de ses proches et de ses militants  n’est plus imaginable pour ces gensusés par les largesses du pouvoir se confondant mentalement à la République et à la gestion privée des biens communs. Ils finissent ainsi par croire qu’ils sont nés pour diriger et vivre au- dessus des pauvres de toujours. Ils gouverneront pour eux, pour le parti- Etat,  pour un clan et pour une famille politique jalouse de ses pouvoirs politiques et économiques immenses. L’Etat est pour eux une vache à lait.
 
Dans la conscience collective et individuelle de nombreux responsables du parti unique tout puissant, maître absolu des destins individuels ayant goûté abusivement aux délices et aux merveilles du pouvoir personnifié pendant un mandat, deux mandats, le statut d’opposant est peu enviable, sans aucun intérêt. La première alternance de mars 2000 a mis fin au long règne des socialistes et au rêve de tous ces politiciens au service exclusif de leurs propres intérêts.
 
Au nom  de la justice sociale et de la bonne gouvernance, les Sénégalais ont décidé ensemble de tourner cette page sombre, politiquement et moralement s’entend. Cette chute historique des socialistes  qui ont gouverné durant quarante années et de manière continue n’a point fait disparaître cette culture politique ancrée dans les mœurs, dans les habitudes des cadres, des élites politiques, économiques, des intellectuels, des universitaires et la race des politiciens.  La première  alternance sera victime de cette culture héritée du parti unique, du parti-Etat, de l’exclusion des cadres et des citoyens ne partageant pas les orientations de la majorité du moment. La transhumance a détruit ainsi les sensibilités et les grands partis historiques que sont le Parti socialiste, le Parti démocratique sénégalais et la mouvance de la gauche révolutionnaire et patriotique. Etre politique a changé au fil du ravage de la transhumance tout son sens, sa signification et sa portée.
 
La première alternance sera rattrapée par cette culture politique antinomique aux valeurs du militantisme, aux valeurs morales et éthiques de la gouvernance républicaine. La transhumance fait son irruption au cœur de la gouvernance libérale. Les libéraux au pouvoir utiliseront l’Etat et les ressources publiques et bien évidemment l’épée de Damoclès que représente la lutte contre l’enrichissement illicite des anciens dignitaires du régime socialiste pour recruter des franges importantes de l’ancien pouvoir.
 
L’incapacité des socialistes battus à plate couture en mars 2000 à accepter dignement  le verdict des urnes et à mener la lutte démocratique pour revenir au pouvoir facilitera la vague de ralliements de cadres et responsables socialistes à la majorité présidentielle. La première alternance sera à son tour rudement sanctionnée en mars 2012. L’engagement militant, l’éthique et la morale sont les fondements du désaveu massif de la mauvaise gouvernance socialiste et la gouvernance libérale. La seconde alternance n’a pas apparemment suffisamment compris ou intégré les enjeux de cette lutte majeure contre la transhumance depuis l’époque du premier Président de la République à nos jours.
 
Le fait de choisir en raison de la politique du ventre et de la peur des lendemains un candidat- Président et son camp à la veille d’une présidentielle  est condamné par les Sénégalais épris de bonne gouvernance, de justice sociale et de démocratie. Cette pratique politique a détruit les fondements de l’engagement militant, de la bonne gouvernance éthique et morale et la préservation des valeurs culturelles et sociales positives de la société sénégalaise contemporaine.
 
Les citoyens sénégalais veulent véritablement une rupture réelle avec la culture politique de la corruption de la gouvernance politique, du jeu électoral et de la manipulation du suffrage universel des citoyens. L’émergence du Sénégal dépendra étroitement des capacités des citoyens à élire des hommes et femmes politiques capables de porter les valeurs militantes et éthiques de la bonne gouvernance politique et de les traduire quotidiennement, sans calculs politiciens, sans faiblesse et sans rancune du passé, dans l’exercice du pouvoir étatique.
Mamadou Sy Albert
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