«Conférence internationale contre la servitude monétaire et pour la monnaie panafricaine : l’Appel de Dakar»

Samedi 23 Décembre 2017

Le débat sur l’avenir du franc CFA, relancé par le livre, « Sortir l’Afrique de la servitude monétaire. A qui profite le franc CFA ? »1, a donné lieu à de vifs échanges entre partisans et adversaires de la servitude monétaire.


I) CONTEXTE ACTUEL DU DEBAT
 
1. Le débat sur le franc CFA a lieu dans un contexte marqué par l’échec du modèle néocolonial de « développement » et de tous les autres modèles imposés au continent africain depuis les indépendances.2 Dès lors, des voix de plus en plus nombreuses se sont élevées pour exhorter les pays africains à changer de paradigme de développement à partir d’une réflexion autonome et sur la base de leur propre vision de l’avenir.
 
2. Ce changement passe par la rupture d’avec les politiques héritées de la colonisation, dont le franc CFA est l’un des symboles les plus tenaces pour nombre d’anciennes colonies françaises. Instrument au service de l’empire colonial français, il fut un des principaux symboles du Pacte colonial.
 
3. Après les indépendances formelles, il continue à servir les intérêts économiques et géopolitiques de la France. C’est en cela que le franc CFA constitue le symbole de la servitude monétaire des pays africains.
 
II) CONTINUITE DE LA LUTTE
 
4. Le combat actuel contre cette servitude est une nouvelle étape d’un combat engagé dès les premières heures des « indépendances » formelles. Ce combat a été illustré par la sortie de la Guinée, suivie plus tard par le Mali, la Mauritanie et Madagascar, ainsi que par la tentative avortée du Togo.
 
5. Leur combat courageux a été appuyé et relayé par d’éminents intellectuels, comme feu Joseph Tchundjang Pouémi, qui disait avec justesse que le franc CFA était « une chimère », et dont le livre constitue une référence pour toutes celles et tous ceux qui sont engagés dans la lutte contre la servitude monétaire. 3
 
6. C’est le lieu de lui rendre un vibrant hommage ainsi qu’à tous les pionniers de ce noble combat pour leur courage, leur engagement et leurs sacrifices au service de l’indépendance et de la souveraineté de leur continent.
 
7. Mais la France a utilisé tous les moyens à sa disposition pour isoler les pays qui essayaient de rompre et faire échouer leurs tentatives dans le but de dissuader les autres de suivre leur exemple. Elle a ainsi réussi à soumettre certaines de ses anciennes colonies à sa volonté et à domestiquer une partie des intellectuels africains.
 
8. Si bien que près de 60 ans après les indépendances, des économistes et des intellectuels, et non des moindres, arrivent à accepter le discours de l’ancienne puissance coloniale selon lequel le franc CFA est une « monnaie africaine » au service du « développement » de leurs pays !
 
III) DECONSTRUIRE LE DISCOURS SUR LA SERVITUDE MONETAIRE
 
9. Il faut déconstruire et discréditer un tel discours, de l’ancienne puissance coloniale et de ses complices africains, et rétablir la vérité.
 
10. Le franc CFA n’a jamais été une monnaie africaine, ni au moment de sa création ni maintenant, en dépit des modifications apportées à son sigle. Quand on le créait en 1945, les pays africains, qui étaient alors colonisés, n’avaient pas été consultés.
 
11. Le franc CFA était créé pour rétablir la tutelle de la France sur ses colonies, après la deuxième Guerre Mondiale. C’est donc avant tout un instrument au service de l’hégémonie économique et politique de la France en Afrique.
 
12. Le franc CFA est aujourd’hui l’objet d’une double tutelle française et européenne, dont le sort se décide à l’extérieur, comme l’a montré la dévaluation de 1994, imposée par la France et le Fonds monétaire international.
 
13. Une autre contrevérité à déconstruire est celle de la « stabilité » du franc CFA, présentée comme « atout » pour les pays africains. Cette « stabilité » bénéficie sans doute aux investisseurs et favorise la fuite des capitaux mais elle ne constitue nullement un « avantage » pour les pays africains.
 
14. Au nom de cette « stabilité » on étouffe les économies africaines, en imposant des politiques monétaires restrictives, donnant la priorité à la lutte contre l’inflation au détriment du développement des capacités productives et de la création d’emplois. Résultat : sur les 14 pays qui utilisent le franc CFA, 10 sont dans la catégorie des pays les moins avancés (PMA), selon les Nations-Unies !
 
15. Un autre mythe démenti par la réalité est celui du franc CFA comme instrument d’intégration des pays africains. Au contraire, il a favorisé et accentué les relations économiques et financières entre ceux-ci et la France.
16. Hier, instrument au service du Pacte colonial, le franc CFA est aujourd’hui au service du Pacte néocolonial
 
17. En résumé, le franc CFA est le symbole de l’asservissement des pays africains.
 
IV) ENGAGER LA LUTTE ICI ET MAINTENANT
 
18. Voilà pourquoi le combat contre la servitude monétaire doit être engagé ici et maintenant. Il n’est pas concevable, près de 60 ans après les indépendances, que les politiques monétaires – donc économiques - des pays africains soient toujours dictées de l’extérieur. Plus de 70 ans après la création du franc CFA, il est temps pour ceux-ci de recouvrer leur souveraineté monétaire.
 
19. A cet égard, nous, participantes et participants à la Conférence internationale de Dakar contre la servitude monétaire et pour la monnaie panafricaine, lançons cet Appel solennel et pressant:
 
A) Aux dirigeants africains
 
 Leur demandons de prendre la pleine mesure de leurs responsabilités vis-à-vis de leurs peuples et d’aller dans le sens de l’histoire
 
 Invitons les dirigeants de l’UEMOA à relever le défi lancé par le président français, Emmanuel Macron, en adoptant une feuille de route claire sur leur divorce d’avec le Trésor français devant aboutir à une rupture définitive d’avec le franc CFA
 
 Leur conseillons de suggérer à ce dernier de leur « faciliter » la tâche en:
 
 
 décidant unilatéralement de mettre fin immédiatement à la présence des représentants de la France dans les Conseils d’Administration et les Comités de politique monétaire des Banques centrales africaines
 
 ramenant le montant des réserves déposées au Trésor français à leur niveau statutaire de 20%, comme étape vers la fin des Conventions des Comptes d’Opérations
 
 Demandons aux dirigeants de la CEDEAO de s’engager résolument pour l’adoption de la monnaie unique, étape vers l’abolition du franc CFA sur l’ensemble du continent.
 
 Les invitons à procéder dans les meilleurs délais à la rédaction et à l’adoption du document de stratégie sur la sortie du franc CFA et des autres monnaies actuellement en cours dans l'espace régional et la transition vers un autre système monétaire
 
 Exigeons qu’ils adoptent le Traité de création de l'Union monétaire de la CEDEAO, qui précisera le nom de la nouvelle monnaie, les institutions qui auront sa gestion, les modalités de transition entre la situation actuelle et celle de la monnaie commune, la gestion des parités et des réserves, les relations avec les États et entre les États et les modalités de son adoption et de sa ratification par les pays membres.
 
 Les exhortons à adopter les statuts de la Banque centrale de la CEDEAO, la désignation de son siège et la définition de ses relations avec les Banques centrales des pays membres
 
 Appelons les élus, à quelque niveau qu’ils se situent, à prendre part à la lutte et à la porter au sein de leurs institutions respectives
 
 Les invitons à initier ou soutenir des processus démocratiques de reprise en main des Banques centrales africaines par les Africains, en travaillant aux modes démocratiques de désignation des hauts dirigeants, avec un contrôle effectif par les Assemblées nationales, appuyées par des expertises africaines
 
 Demandons à toutes les forces politiques et sociales des pays africains membres de la zone franc de se joindre au combat contre la servitude monétaire
 
B) Aux forces vives
 
 Exhortons tous les Africains –femmes, hommes, jeunes, artistes, politiques, intellectuels - à prendre part au combat
 
 Demandons aux organisations de femmes et de jeunes ainsi qu’aux organisations syndicales de prendre en charge cette lutte et de l’intégrer dans leurs plateformes
 
 Appelons les mouvements sociaux à intensifier le combat contre la servitude monétaire et à utiliser toutes les opportunités pour mobiliser davantage leurs membres afin de contribuer à accélérer la fin du franc CFA et hâter l’avènement de la monnaie panafricaine
 
 Les invitons à exiger l’organisation à moyen terme d’un Audit citoyen et panafricain sur la politique monétaire liée au franc CFA: politique de crédit, de change, de fabrication des billets et pièces, etc.
 
 Demandons aux chercheurs et intellectuels de s’engager résolument dans la lutte et de contribuer à la réflexion sur les alternatives démocratiques et panafricaines
 
 Exhortons les médias africains à faire leur ce combat et à contribuer à sa popularisation au sein de l’opinion africaine et internationale
 
C) Conclusion
 
 Ce combat pour l’indépendance économique et la souveraineté des pays africains est juste, légitime et va dans le sens de l’histoire
 
 C’est un combat rationnel, basé sur des arguments scientifiques et l’expérience de plus d’un demi-siècle
 
 C’est un combat conforme aux intérêts fondamentaux des pays africains
 
 C’est un combat qui mérite d’être engagé et gagné
 
 Nous ne pouvons pas nous dérober à notre devoir
 
 Alors, intensifions la lutte contre la servitude; la dépendance et la domination!
 
Dakar, le 16 décembre 2017
La Conférence
 
1 Editions La Dispute, Paris, 2016
2 Voir CEA & UA, Rapport sur l’économie africaine 2011. Gérer le développement : le rôle de l’Etat dans la transformation économique, Addis Abéba (Ethiopie), 2011
3 "Monnaie, servitude et liberté : la répression monétaire de l’Afrique", Editions Jeune Afrique, Paris, 1980
 
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