DÉCÈS D’UN MAGISTRAT, TÉMOIGNAGE D’UN AVOCAT* (Rediffusion)

Vendredi 24 Novembre 2023

Me Wagane Faye, avocat

Ceux qui ont connu Monsieur Basile SENGHOR, de son nom complet d’Etat Civil, Basile René Pierre SENGHOR, rappelé à Dieu le 22 avril 2017, ont du mal à laisser partir comme ça, ce grand Monsieur, icône dans la justice sénégalaise, sans commenter, ne serait-ce qu’une partie de ce qu’ils savent de lui, surtout dans l’exercice de sa profession de magistrat, dont-il s’était acquitté honorablement.

 

Humble, il l’a été, esclave des lois qui protègent les droits de l’homme, il ne l’a été que de trop. Qu’on se rassure, le rédacteur de ce témoignage n’est pas quelqu’un qui invente des qualités pour des défunts ou des vivants, cela ne lui ressemblerait pas. 

 

Basile SENGHOR peut et doit être cité comme un citoyen sénégalais, du genre qui ne court pas les rues et ne se rencontre pas toujours dans les palais de justice. Contentons-nous de deux cas précis, pour en convaincre, qui ne sont pas le fruit d’une imagination trop généreuse à son égard ou d’une envie de faire entendre de belles paroles, qui ne reposeraient pas sur un socle véridique, sincère.

 

Basile, Procureur à Thiès, relevé

 

Basile SENGHOR, alors Procureur de la République à Thiès, qui aurait la réputation d’être esclave de son serment, pour ne jamais transiger sur les principes, ne jamais violer les textes quelles que soient les interventions et les pressions, pour faire plaisir ou faire mal à qui que ce soit. Deux exemples qui corroborent ce que ses concitoyens retiennent notamment de son exercice de la profession de magistrat.

 

Lorsqu’il s’était agi de poursuivre quelqu’un, un certain Abdou Ndafakhé FAYE qui avait tué d’un coup de couteau un haut responsable politique du parti unique de l’époque, pour laver un affront de celui-ci, qui l’avait giflé au sortir d’une réunion politique au cours de laquelle ce militant insignifiant qu’il serait, aurait donné une opinion contraire à celle de celui qui était en passe de subir sa furie, d’en perdre la vie.

 

La hiérarchie du parti-Etat de l’époque, coiffée par le Président de la République, son oncle Léopold Sédar Senghor, lui aurait donné des instructions de poursuivre l’auteur indiscutable de la mort brutale qu’il n’avait pas cherchée, de celui qui l’avait giflé. Ceux qui connaitraient bien Basile Senghor racontent qu’il n’était pas un magistrat à exécuter les souhaits des politiques. 

 

Se débarrassant du souci de carrière, il refusa d’exécuter des instructions qui divergent d’avec les éléments constitutifs du crime d’assassinat, et avait opposé à sa hiérarchie une qualification des faits, en meurtre. Il fut relevé de ses fonctions de Procureur de la République et commença une traversée du désert. Ce qui laisse indifférents les êtres fiers. Etre procureur ou ne pas l’être, ce n’est pas la fin du monde, pour lui, et ne devrait l’être pour personne.

 

Ce qui le serait, c’est poursuivre sans tâche sa carrière de magistrat comme il l’a fait jusqu’à sa retraite professionnelle, puis jusqu’à la fin de son intermède comme Ministre de la Justice.

 

Basile, Procureur Général

 

Mais comme « Dieu n’a rien dit à personne », entre temps il accéda à des fonctions plus hautes, celles de Procureur Général. Ni parmi ses collègues magistrats, ni parmi les avocats, personne de bonne foi ne pouvait détecter des poux sur sa tête, à l’occasion des règlements des affaires où ses interventions s’imposaient, y compris celles soupçonnées « signalées ».

 

Dans l’exercice de ses fonctions de Procureur Général, saisi d’une anomalie au niveau d’un des parquets régionaux, où veiller à l’égalité des citoyens au regard de leurs droits n’est pas une mince affaire, en tout cas requiert un courage de la part de ceux qui sont chargés d’y veiller, à savoir les Procureurs de la République et leurs collaborateurs que sont les officiers de police judiciaire. 

 

Pour la petite histoire, une entorse qui mérite d’être relatée, comme faisant partie des situations dont le règlement par le Procureur Général Basile Senghor en rajoute à sa renommée de magistrat exemplaire.

 

Un citoyen de condition modeste, n’ayant personne sur qui compter pour être considéré, croupissait en prison, attendant son jugement par le tribunal des flagrants délits, suite à une plainte pour des futilités, qui ne tenaient pas, déposée par une influente autorité religieuse, dans les bonnes grâces de laquelle les fonctionnaires carriéristes cherchaient à profiter. Le pauvre, sous mandat de dépôt, était en quelque sorte en otage, car sans motif aucun, le jour de son procès allait de renvoi en renvoi, sans liberté provisoire, aucun des avocats sollicités pour sa défense par ses parents n’étant chauds pour le défendre, les uns après les autres se contentaient de conseiller d’implorer le pardon, seul moyen selon l’entourage de ne pas moisir en prison, simplement parce qu’il avait affaire à quelqu’un qui n’était pas s’importe qui ! Ne pas être s’importe qui signifiant ne pas être justiciable du droit commun.

 

Une audience de flagrants délits

 

Finalement un avocat qui ne craint que les représailles du seul juge infaillible, le Bon Dieu, sollicité, accepta de prendre sa défense. Mais le jour de l’audience en vue, lorsqu’il se rendit au tribunal où son tout nouveau client devait être jugé, après moult renvois, sans liberté provisoire, le Procureur se dressa lorsqu’il entendit son nom, pour demander le renvoi au motif que la fameuse partie civile n’était pas présente. Oui, en effet la fameuse partie plaignante n’était pas dans la salle d’audience, mais bien à l’intérieur de la cour du tribunal, l’avocat venu assister son otage l’y ayant bel et bien remarqué. Mais le seul motif des renvois de la cause du pauvre détenu est que son cas s’analyse comme le cas d’un otage obligé de satisfaire les caprices du plus fort qui l’a privé de sa liberté : tu payes, on te laisse partir, tu ne paies pas, tu ne bouges pas d’ici. Rien à dire. Pour ne pas être long, je préfère ne pas rentrer dans les détails pour démontrer que son seul tort était d’être faible et de n’avoir personne derrière lui.

 

Le juge que le Président du tribunal avait désigné pour présider l’audience, peut-être parce que ne voulant peut-être pas être impliqué dans ladite affaire, dont tout le tribunal savait qu’il s’agissait d’une « affaire signalée », comme il y’en a malheureusement de plus en plus dans nos cours et tribunaux, s’était « librement » senti obligé de ne pas contrarier le Parquet qui tenait au renvoi  comme promis sans doute, à la partie civile qui tenait en main son otage. 

 

Le énième renvoi étant acquis, l’avocat plaida longuement avec un argumentaire en béton, une demande de liberté provisoire de son client, dont la durée de la détention provisoire avait largement dépassé la durée de la peine prévue pour le délit prétendu. Le juge fit droit à cette demande. Le Procureur se dressa encore et, fixant le prévenu qui avait déjà retrouvé l’espoir de la liberté, lui dit : « vous ne serez pas libéré car je vais faire appel ».

 

L’Avocat se rendit au cabinet du Procureur Général, Basile Senghor.

 

Il n’en fallait pas plus pour qu’à tombeau ouvert, son avocat se rendit à Dakar, taper à la porte du Procureur Général, pour lui exposer la situation de son client, en terminant par la violation de la loi qu’avait commise le Procureur en question qui eut à dire à haute et intelligible voix, en audience publique au prévenu qu’il ne sortirait pas de prison car il allait faire appel. Il avait peut-être confondu une liberté provisoire que peut accorder un juge d’instruction, qui peut-être sans effet, avec une liberté provisoire, ordonnée par le juge de la juridiction de jugement.

 

Après avoir entendu l’avocat haletant, le Procureur Général lui tendit une feuille de papier et un stylo, et l’invita à écrire ce qu’il venait de relater, en lui précisant que ce qu’il venait d’entendre ne pouvait pas lui donner une présomption de fiabilité, et avait besoin de s’entourer de cette précaution, pour les commentaires éventuels.

 

Celle-ci étant prise, le Procureur Général usa régulièrement de ses prérogatives hiérarchiques avec le Procureur concerné et lui demanda de lui faire parvenir de toute urgence, le dossier de la procédure. La privation de liberté du détenu prit fin, aussitôt, suite à l’entretien entre les deux magistrats par téléphone, entre collègues, l’avocat toujours hors de lui en attente dans une salle d’attente.

 

Avec le décès de Basile René Pierre Senghor, la Justice sénégalaise a perdu un droit-de-l’homiste, un vrai, pour lequel, le serment présenté en début de carrière avait un sens. 

 

Dakar, 24 Novembre 2023

Maître Wagane FAYE

 

* La première partie de ce témoignage a été publiée par le quotidien « Le Soleil », parue le samedi 29/04/17

 
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