ORCA est un fleuron de la décoration et de l’ameublement au Sénégal. Jamal Kaawar en est le roi. Celui qui participe à en déployer les enseignes en Afrique depuis le début des années 2000. Une identité unique: un dauphin de couleur dominante noire en logo.
Des activités de vente et de promotion semblables: décoration, mobilier, cuisine, jardinage, textile, etc. Au-delà de ces trois pays, la marque s’est installée également au Bénin, au Burkina Faso, au Cameroun, en Mauritanie, au Ghana. ORCA Brazzaville ouvre ses portes à la fin du mois de mai 2018, ORCA Gabon est annoncé pour la fin du mois de juin. Et en juillet, Yaoundé (Cameroun) accueillera l’enseigne
D’autres membres de la famille Kaawar sont présents dans l’exploitation de la marque aux côtés de Jamal Kaawar. En Côte d’Ivoire, il y a son frère Jalal. Au Mali, le demi-frère du père, Mohamed. Au Burkina aussi.
Les protagonistes de la banque HSBC
Une partie des affaires de Jamal Kaawar se sont développées avec la banque anglaise HSBC Genève, avec le concours de plusieurs partenaires. Les plus connus sont cités dans les listings de HSBC appelés SwissLeaks (voir par ailleurs). Il y a Khaled Kaawar, son frère de même père et même mère, lui aussi de nationalité sénégalaise ; deux ressortissants français: Josiane Marylène Hazard et Robert Jean-Pierre Hazard domiciliés à Vic-La Gardiole, un petit village de trois mille habitants situé à moins de vingt kilomètres de Montpellier, sud de la France ; une société spécialisée dans l’ameublement, la décoration, les tissus d’origine américaine: Worldtex. Jamal Kaawar que nous avons joint par téléphone nous précise que WorldTex est également un bureau offshore (voir plus loin).
La dernière modification relevée dans les livres de la banque HSBC remonte au 12 mars 2007. Mais il n’y a pas d’indication concernant la poursuite ou la cessation des activités de ce compte.
Cette compagnie, sur la base des fiches bancaires en notre possession, est en lien aussi bien avec Jamal qu’avec Khaled Kaawar à travers leur Business Partner (BUP) respectif. Un de ces documents présente Jamal Kaawar comme le «bénéficiaire effectif» («Beneficial Owner) du compte de Worldtex, son associé présumé dans le business du textile en Afrique.
Sur ces fiches bancaires, les montants qui pourraient être concernées par de potentielles opérations d’évasion fiscale sont de différents ordres. Ainsi, on relève l’existence d’une somme de 4.088.193 de dollars (soit un montant de 2 milliards 44 millions 96 mille 500 francs Cfa – sur une base du dollar à 500 francs Cfa) pour une période située entre les années 2006 et 2007. Le compte principal ouvert au nom de Jamal Kaawar date du 19 février 2002. La dernière modification relevée dans les livres de la banque HSBC remonte au 12 mars 2007. Mais il n’y a pas d’indication concernant la poursuite ou la cessation des activités de ce compte.
Les montants indiqués (voir plus loin) sont répartis entre neuf (9) comptes bancaires identifiés chacun par un IBAN (International bank account number). Mais il est difficile d’en préciser les propriétaires réels en raison des codages et des profils client qui semblent servir d’écrans de protection pour les vrais bénéficiaires-propriétaires. Le nom de Jamal Kaawar est lié à d’autres entités répertoriées dans la fourmilière des SwissLeaks. A cet égard, WorldTex International Inc apparait comme un partenaire d’activités important pour l’homme d’affaires sénégalais. Sur les neuf comptes bancaires indiqués, quatre (4) se retrouvent sur la fiche SwissLeaks de WorldTex pour un montant maximal de 1 million 590 mille 441 dollars (795 millions 220 mille 500 francs Cfa).
Sur un compte numéroté 40557KK, Jamal Kaawar a été désigné «détenteur de compte 2» tandis que pour un autre compte numéroté 38745JK, les documents de la banque ne donnaient pas de liens spécifiques. Pour le compte WorldTex, Kaawar est présenté comme «bénéficiaire économique», selon la fiche WorldTex, ce qu’il réfute mollement dans l’entretien téléphonique qu’il nous a accordé.
WorldTex, un bras offshore et technique
Point important à relever à propos de WorldTex: la création du compte à son nom remonte au 27 mars 2002, selon les documents de SwissLeaks, soit deux (2) mois après la création du compte 38745JK de Jamal Kaawar, le 29 janvier 2002.
Le nom de Jamal Kaawar est lié à d’autres entités répertoriées dans la fourmilière des SwissLeaks. A cet égard, WorldTex International Inc apparait comme un partenaire d’activités important pour l’homme d’affaires sénégalais.
WorldTex est une firme américaine spécialisée dans plusieurs branches de l’industrie du textile. Sous cet angle, son «association» avec les activités de Jamal Kaawar dans ce secteur bien précis semble logique et complémentaire. Fondée en 1992, elle s’est déclarée en faillite en se plaçant sous la protection du «chapitre 11 du Code de la faillite des Etats-Unis» auprès du tribunal ad hoc installé dans le district du Delaware afin d’entamer une réorganisation opérationnelle en mars 2001, selon l’agence financière Bloomberg. Question: pour relancer tout ou partie de ses activités industrielles, WorldTex a-t-elle bénéficié des fonds déposés dans les comptes liés à Jamal Kaawar ? Les documents disponibles ne le mentionnent pas.
WorldTex n’est pas seulement en liaison avec Kaawar. Ses adresses postales se retrouvent également dans le Sud de la France non loin de Montpellier, département de l’Hérault. Deux «contacts» y sont localisés comme indiqué plus haut: Josiane Marylène Hazard, et Robert Jean-Pierre Hazard. Nous avons joint Marylène Hazard par mail. Après avoir reçu nos questions, elle nous a envoyé la note suivante: «Monsieur, Je ne travaille plus dans ce secteur et malheureusement je n’ai aucune info à ce sujet. Je vous remercie et vous demande de ne plus me contacter. Bonne journée.» Relancée aussitôt après ce premier échange, elle n’a plus réagi. Jamal Kaawar nous en a dit plus (voir plus loin.)
Pour compléter le groupe, il y a Khaled Kaawar, 47 ans. Cet industriel de nationalité sénégalaise habitant sur la populaire avenue Blaise Diagne est très présent dans le business. Il est lié à Jamal Kaawar par quatre (4) des comptes bancaires, pour un montant de 2 millions 497 mille 752 dollars (1 milliard 248 millions 876 mille francs Cfa). Les documents de la banque montrent qu’il était lié à WorldTex et qu’il avait des droits sur son compte.
Au Sénégal, Khaled Kaawar est un commerçant. Sur le registre du Bureau d’appui à la création d’entreprise, sa société INTEX Société Anonyme a été créée le 15 février 2010 avec un capital de 10 millions de francs Cfa et un objet social élargi à plusieurs secteurs de l’activité économique. De l’ameublement aux transports, du prêt-à-porter à l’immobilier, du négoce à la prise de participation capitalistique, INTEX SA s’intéresse à tous types de business… Ce qui lui donnait un prolongement naturel dans les activités de Jamal Kaawar et de WorldTex.
Quand HSBC drague ses clients jusqu’à Dakar… D’un point de vue opérationnel, il semble que les affaires marchaient bien à la satisfaction du patron. Les scripts des échanges entre les partenaires l’attestent. Des dates clefs sont à retenir au cours de l’année 2005: 26 janvier, 3 février, 4 février. Selon plusieurs notes retrouvées dans les fiches de la banque, un émissaire de HSBC indique avoir rencontré à Dakar «Mme Hazard» et «Mr Kaawar» pour évoquer «l’ouverture de 12 points de vente en Afrique.» D’après la même source, «les activités de WorldTex en tant que fournisseur de tissus et meubles se sont fortement développées.» L’émissaire de la banque conclut en ces termes : «Très satisfait de nos relations, ils m’informent que nous allons recevoir la totalité de leur chiffre d’affaires. Suivons…»
En jugeant nécessaire d’envoyer ses représentants à Dakar, HSBC montrait tout l’intérêt qu’elle attachait à sa «coopération» avec Jamal Kaawar et associés. La suite des événements allait d’ailleurs lui donner raison. Ainsi, en janvier et février 2005, l’émissaire de la banque obtient de son client la promesse suivante extraite des scripts: «Satisfait de mes passages réguliers, me dit qu’il détient 2 fiduciaires pour un total de EUR 720 000 chez Banque Multicommerciale de Genève. Le premier arrive à échéance le 3/3 et sera transféré chez nous, le second nous parviendra avant fin juin. Suivons.» L’origine de cette somme de 720 000 euros (environ 455 millions FCFA) placée dans les comptes de la Banque Multicommerciale de Genève n’est pas précisée.
Contactée par ICIJ, la banque a répondu ne pas être en mesure de faire des commentaires sur des faits spécifiques. Aussi, le communiqué suivant fait-il office de réponse générale. «Depuis 2011, HSBC a radicalement remodelé ses activités de banque privée mondiale et a mis en œuvre des réformes visant à empêcher que ses services bancaires privés ne soient détournés pour faciliter la criminalité financière. Entre autres étapes, la banque privée a renforcé ses capacités de lutte contre le blanchiment d'argent, y compris les procédures visant à «connaitre son client» et à en finir avec les clients qui ne respectent pas nos normes élevées.»
Jamal Kaawar : «Je suis transparent…»
Contacté à plusieurs reprises sans succès pendant deux mois, Jamal Kaawar n’a été disponible qu’à la date du 17 mai quand ICIJ est parvenu à le joindre par téléphone. Ci-dessous l’économie de ses réponses à nos questions.
Résidence fiscale
Quand les comptes étaient ouverts à HSBC, je n’étais pas résident fiscal au Sénégal. Donc je n’y payais pas d’impôts. J’étais installé au Zimbabwe où j’exerçais mes activités commerciales, et je me déplaçais beaucoup à travers d’autres pays comme la Tanzanie, la Zambie, le Congo, etc. C’est vers les années 2000, quand je suis rentré au Sénégal avec l’ouverture de ORCA, que je suis devenu résident fiscal.
Pourquoi une adresse sénégalaise sur les fiches de HSBC ?
Dakar est la base de mes activités. Vous verrez que dans tous les statuts de toutes mes entreprises, il y a l’adresse de l’avenue Blaise Diagne. C’est le lieu d’origine de mes activités, au Sénégal comme en Afrique. Mais avec les changements de conjoncture économique et les opportunités d’affaires qui se présentent, je deviens résident fiscal du lieu où mes activités ont cours. Au moment où je vous parle, je dispose de 25 comptes bancaires dans 30 pays en Afrique et ailleurs dans le monde.
«Bénéficiaire effectif» (Beneficial owner) du compte de WorldTex
Ce n’est pas possible car WorldTex ne m’appartenait pas et ne m’a jamais appartenu. Je ne sais pas d’où sortent les éléments indiqués.
Comptes offshore de HSBC Genève
Pour être honnête, j’ai été embarqué dans cette affaire. A l’époque (vers les années 98), pour ce qui concerne le secteur du textile, il n’y avait qu’avec HSBC que l’on pouvait travailler avec un bureau offshore. Par rapport à mes activités au Zimbabwe, la compagnie WorldTex, avec son bureau offshore, me servait de support et elle était rémunérée à la commission sur les chiffres d’affaires. J’étais contraint de travailler comme ça, je l’ai fait. (…) J’ai travaillé également avec la Banque Multicommerciale de Genève.»
Relations avec Marylène Hazard
Elle ne travaillait pas pour moi. Elle était plutôt liée à l’offshore WorldTex. Vous avez bien remarqué qu’elle a été condamnée par le fisc français à payer la somme de 850 000 euros pour n’avoir pas déclaré ses revenus quand l’Etat français a réagi à l’éclatement de l’affaire.
Rencontres à Dakar avec HSBC et Marylène Hazard pour lancement
Jamal Kaawar nous suggère ne pas s’en souvenir. Il est évasif sur la question, notamment sur les deux comptes fiduciaires de 720 000 euros évoqués par les scripts de HSBC. En même temps, il tente de nous expliquer que les banques s’entourent de toutes les précautions avant de financer un projet.
Sa théorie pour expliquer cet épisode: «Il y a des gens qui me veulent du mal dont un «certain Olivier….» Il exerçait du chantage sur moi et sur d’autres…» Il n’a pas voulu s’appesantir sur ce chantage.