Après les frappes israéliennes sur les abords de son village du sud du Liban, Moustafa el-Sayyed, hanté par les images d’enfants morts à Gaza, a décidé de fuir avec sa famille.
« Ce qu’on voit à la télévision, les massacres qui ont lieu à Gaza, les enfants, ça nous brise le cœur », déclare cet homme de 53 ans, qui est parti avec ses deux femmes et ses 11 enfants de Beit Lif, un petit village situé à moins de six kilomètres de la frontière avec Israël.
« Si je n’avais pas eu peur que cela nous arrive, je n’aurais pas quitté ma maison », lâche-t-il.
La famille de M. Sayyed, dont près de la moitié de ses enfants ont moins de 10 ans, fait partie des près de 4000 personnes qui ont afflué vers la ville de Tyr depuis les zones frontalières, selon les autorités locales.
Environ la moitié ont trouvé refuge dans trois écoles publiques. Les autres se sont installées chez des proches ou amis.
Dans la cour de l’une des écoles transformées en abris de fortune, les voitures transportant matelas, couvertures et nourriture se succèdent. Une partie des aides est stockée, l’autre distribuée par des volontaires aux déplacés, au milieu de leurs affaires emballées à la hâte.
Depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas déclenchée le 7 octobre par une attaque meurtrière et sans précédent du mouvement palestinien sur le sol israélien, les violences ont débordé à la frontière israélo-libanaise.
Plus de 1400 personnes ont été tuées en Israël, en majorité des civils, depuis l’attaque selon les autorités. Dans la bande de Gaza, plus de 4380 personnes, majoritairement des civils, ont péri dans les bombardements de représailles israéliens, selon le ministère de la Santé du Hamas.
Les échanges de roquettes et de tirs quasi-quotidiens entre l’armée israélienne et le Hezbollah libanais, un allié du Hamas, ont vidé des villages du sud du Liban.
Au moins 23 personnes, dont quatre civils, ont été tuées côté libanais, selon un décompte de l’AFP. Au moins trois personnes ont péri en Israël.
Ayant déjà perdu un frère dans la guerre entre Israël et le Hezbollah en 2006, M. Sayyed ne veut pas prendre de risques.
« Tous mes enfants sont petits, en cas d’apocalypse, comment vais-je les faire sortir d’un seul coup ? », déclare-t-il depuis une salle de classe parsemée de matelas. « J’ai donc pensé qu’il valait mieux partir maintenant. »
« Je préfère mourir »
Les craintes d’un embrasement sont fortes dans les villages frontaliers, occupés par l’armée israélienne durant 22 ans avant son retrait en 2000.
Un flot constant de familles, provenant pour la plupart du village d’Aita al-Chaab touché par les tirs, ont fait la queue cette semaine à la municipalité de Tyr pour obtenir une place dans l’une des écoles.
« Tous nos abris sont pleins », déclare le maire de Tyr, Hassan Dbouk. « Nous cherchons un endroit pour ouvrir un quatrième centre d’accueil. »
Dans la localité frontalière de Dhayra, fermes et oliveraies ont été abandonnées en pleine saison des récoltes.
Les agriculteurs libanais, déjà frappés par une crise économique inédite, se préparent à un avenir incertain, même si les combats venaient à cesser.
« Nous n’avons que Dieu et l’agriculture » à Dhayra, dit Moussa Souwaid, 47 ans, réfugié dans la même école que Moustafa el-Sayyed. « J’ai cinq moutons, chacun valant environ 500 dollars, je les ai laissés sans nourriture et je me suis enfui. »
Mais M. Souwaid a surtout dû laisser son père âgé de 88 ans derrière lui. « Il m’a dit : “ je préfère mourir plutôt que d’abandonner ma maison et ma vache ” ».
Moto, auto-stop
À moto, en voiture ou en faisant de l’auto-stop, les villageois ont essayé de rejoindre un endroit sûr.
Yolla Souwaid, sans lien de parenté avec Moussa Souwaid, a attendu pendant deux heures, en sang, que son frère vienne la chercher après avoir été blessée dans un bombardement israélien qui a détruit leur maison à Dhayra la semaine dernière.
L’institutrice de 43 ans descendait les escaliers en courant lorsque des pans d’un mur sont tombés sur ses jambes.
« Si j’avais complètement perdu mes jambes, qu’aurais-je fait, qui aurait pris soin de moi », dit-elle à l’AFP dans l’une des écoles à Tyr, les deux jambes bandées après son opération.
Dans une école voisine, Ahmad, de Beit Lif, avait lui prévu de se marier ce mois-ci. Mais le jeune homme de 26 ans qui n’a pas voulu donner son nom, a enterré son père, emporté par le cancer, sous les bombardements israéliens avant de s’enfuir avec la famille de sa fiancée à Tyr.
Retenant ses larmes, Ahmad raconte que son père, juste avant son décès, s’était rendu dans la famille de sa fiancée « pour la demander en mariage ». « Je souris mais au fond je suis très triste ». [AFP]