Du travestissement de la pensée (par Saër Ndiaye)

Dimanche 19 Aout 2018

«L’intellectuel sénégalais, à 40 ans, se fait harakiri. II décide de jouir et d’une jouissance phallique.» (Serigne Mor Mbaye, Lors d’une rencontre de l’Association des professeurs de français à l’ENS actuel Fastef)
 
Dans Le Gondwanais illustré, le terme « poltron », adressé à Son Excellence Président Émergent, est une injure grave. Le Larousse, lui, caractérise ainsi une personne qui manque de courage. C’est différent de yàmbar, qui signifie manque de personnalité, comme un site l’a traduit. Pourtant, en wolof, Ousmane Sonko a dit : «Macky Sall, ragal la bu yoryat !» Personne n’a manifesté alors une quelconque «indignation», mais c’est comme si on se dit qu’avec le français, il sera plus facile de manipuler l’opinion.
 
Mais alors, comment doit-on appeler une personne qui se réfugie derrière l’institution pour remplir son rôle de chef de parti ? Une personne qui transforme le palais en permanence ? Qui distribue à tour de bras l’argent du contribuable à ses partisans et en use pour faire transhumer des personnes à la conviction élastique ? Une personne dont un des directeurs généraux a déclaré urbi et orbi qu’il refusait le financement aux artisans qui ne s’inscrivaient pas dans le PSE, c’est-à-dire qui ne sont pas de sa formation politique, confirmant ainsi que l’argent distribué aux groupements et autres jeunes se fait sur des bases politiciennes ? Une personne qui, lors des législatives, a retenu les cartes d’électeur de plus d’un million de Sénégalais, sans compter les erreurs trop nombreuses et trop flagrantes voulues – ce qui procéderait du sabotage –, si on n’a pas mis nos données entre les mains de personnes inexpertes - ce que je ne crois pas ? Qui fait établir d’autres cartes avec la mention « ne vote pas »à la grande surprise de leurs détenteurs ? Qui s’est arrangé pour retarder l’ouverture de bureaux de vote - ciblés ? –, car n’ayant envoyé le matériel de vote que le jour du scrutin et non laveille comme cela s’est toujours fait, etc.
 
Mais il y a aussi à s’inquiéter pour l’élection à venir. Le parrainage recèle en effet au moins deux zones d’ombre. La première, c’est le discriminant que seul le ministre de l’Intérieur, qui a déclaré à qui veut l’entendre son dessein de tout faire pour réélire son candidat, est informé. Le deuxième, c’est la vérification des signatures qui peut permettre d’éliminer qui on veut sans que le parrain ait une possibilité de recours, alors qu’on aurait pu choisir les empreintes qui, elles, sont immuables.
 
Que le président de la République ne se défausse surtout pas sur le ministre ou le directeur de la Daf puisque, en tant que patron du parti au pouvoir, il le veut ainsi, lui qui a félicité le ministre qui a organisé les élections qui leur ont valu,dans cette pagaille généralisée,la majorité à l’Assemblée nationale. Quand on est dans l’arène, qu’on choisit ses arbitres, qu’on se permet de fausser les règles, de quel courage peut-on se prévaloir ?Quand, surtout, on tente de choisir ses adversaires ?C’est vrai, le patron des marron-beige tente de neutraliser un à un les adversaires qu’il craint ! D’abord avec les rapports des organes de contrôle qui ont forcé beaucoup d’anciens politiciens à transhumer ou à se taire. D’autres ont succombé au syndrome du baiser de la mort dont ils ne se relèveront plus jamais. Grillés politiquement, il ne leur reste plus qu’à bien gérer les œufs que Macky Sall leur offre comme compensation pour leur suicide politique.
 
Quant à ceux qui lui résistent, toute la violence d’État – refus des manifestations, répressions policières disproportionnées, procès politisés, emprisonnements, vote de lois iniques par une majorité mécanique, radiation, obstruction dans les activités d’élus, de privés, - est mise en branle pour les combattre. Dans le même temps, leur vie est passée au crible pour déceler le plus petit défaut dans leur cuirasse.Le cas échéant, quel qu’en soit le prix, le président de l’APR procède à leur mise à mort. Parmi les victimes de cette violence, on peut citer Khalifa Sall, Ousmane Sonko qui a été radié de la fonction publique et le Capitaine Dièye qui a été mis aux arrêts pour avoir voulu quitter l’Armée, mais aussi Karim Wade et Khalifa Sall.
 
Que Karim Wade et Khalifa Sall fussent condamnés dans le cadre de la reddition des comptes, après des procédures claires, cela aurait reçu l’approbation des Sénégalais qui avaient fait de la transparence dans la gestion une demande sociale. Au lieu de cela, la perception la plus commune est que la justice a servi à éliminer des adversaires politiques. Dans le cas de Karim, on a confondu vitesse et précipitation au point de le réhabiliter aux yeux des Sénégalais et du reste du monde. Concernant le maire de Dakar, le concept politique mis en avant est celui de la « charrette du diable » : « Tu me rejoins ou je t’écrase. »Et leur volonté de l’éliminer coûte que coûte avant les élections a conduit à toutes les dérives judiciaires que la Cedeao a soulevées.
 
Comme, pour Ousmane Sonko, on n’a rien trouvé de compromettant, par des syllogismes, des raccourcis, des amalgames et des affabulations, les Apéristes tentent de le salir.Aussi, depuis que le président de l’APR a demandé à ses militants d’invertir les réseaux sociaux où ils sont, déplore-t-il, dominés par l’opposition, c’est la curée, essentiellement sur Ousmane Sonko. Qui parlait d’opposition Facebook ?
 
C’est dire que la stratégie de diabolisation qui consiste à traiter ce dernier de menteur et d’arrogant n’a pas prospéré et les tenants du pouvoir constatent jour après jour la progression de Pastef et la place que Ousmane Sonko occupe de plus en plus dans le cœur des Sénégalais. Leur nouveau combat consiste dès lors à le suivre à la trace et à traquer le moindre de ses propos ou de ses gestes «exploitable» pour ternir son image devant les populations et le mettre en mal avec les autres membres de l’opposition. Quitte à sortir ses phrases ou ses expressions de leur contexte !
 
Les Sénégalais ont du reste compris, majoritairement, que, quand l’APR et ses haut-parleurs reprennent les propos d’autrui, il faut écouter le son d’origine pour se faire une religion.
 
En effet, ils ont fait dire à Ousmane Sonko qu’il était le meilleur candidat lors même qu’il a refusé de présenter sa candidature « par respect pour [ses] partenaires politiques avec lesquels [il] est en discussion ». Cette calomnie éventée, des gamins en mal d’inspiration ont inventé quatre audiences que le président des Patriotes aurait demandées au président de la République. Ce qui, du reste, n’est pas un crime. Le Palais de la République n’est pas seulement un guichet automatique ou un couloir de transhumance. Dans les pays à « culture politique » avérée, on y traite des affaires de la Nation auxquelles on pourrait associer tous les citoyens prêts à apporter leur expertise.
 
On a extrapolé aussi sur le désir de l’ex-inspecteur des Impôts et Domaines de se faire renvoyer pour passer pour une victime alors qu’il avait pris auparavant la décision de quitter l’Administration dans les 6 mois suivant la date de sa radiation. Pourtant, ladite radiation a été motivée par de prétendus manquements au devoir de réserve alors que les éléments indexés étaient dans le domaine public et ne concernaient pas les dossiers que l’inspecteur des Impôts et Domaines qu’il était avait en charge. On est l’est loin d »une volonté de se faire renvoyer de l’Administration.
 
Mais Moustapha Diakhaté remporte la palme des contorsions intellectuelles, lui qui reproche au président de Pastef d’avoir rendu visite à Khalifa ; lui qui nous renvoyait toujours à nos traditions ne peut pas ignorer qu’on n’abandonne pas un parent, un ami et même une simple connaissance dans une situation délicate sans lui exprimer de la compassion. On pourrait voir dans cette sortie-là une stigmatisation du maire de Dakar et une volonté de l’exclure de la société des hommes. Quand, par ailleurs, les journalistes ont cherché des motivations politiques à la visite d’Ousmane Sonko, ce dernier leur a répliqué être venu par humanisme et non comme un vautour. Un apprenti rhéteur de voir là l’occasion rêvée de semer la zizanie dans l’opposition comme s’il avait une fois entendu les autres opposants déclarer être venus pour des raisons politiques.
 
Et le même apprenti sorcier d’embrayer sur la question de la construction de prisons promises à ses futurs opposants par le patron des Patriotes. N’eût même été les dérives des hommes de l’émergence que Son Excellence Wacaaca 1er a sous son aile protectrice, nos prisons sont saturées et un homme politique sensible aux droits humains devraient envisager d’en construire. Et, si, sous d’autres régimes, des hommes politiques ont détourné des deniers publics, ils l’ont fait avec moins de désinvolture et d’arrogance que nos gouvernants actuels dont les malversations sont actés. Il ne s’agira ni de chasse aux sorcières ni de téléguider la justice. D’ailleurs,Ousmane Sonko adhère « sans réserves » à la Charte de gouvernance des Assises nationales et il n’est pas connu pour se dédire.
 
La leçon à tirer de ces coups de menton, c’est que Ousmane Sonko inquiète le Macky par sa présence sur le terrain. Et Pape Malick Ndour et Aminata Touré devraient trouver d’autres arguments pour lui barrer la route. Le premier prétend ne pas faire dans la caractérisation alors qu’aucune démonstration solide n’est venue étayer le « populisme-ultranationaliste d’inspiration fasciste » dont il affuble le leader de Pastef. En revanche, il devrait s’offrir comme devoir de vacances l’ultralibéralisme sectaire d’inspiration trotskiste appliqué avec un cynisme pire que le malthusianisme et qui est en train de mettre à mal la vie des Sénégalais fatigués de cette gouvernance d’exclusion, mais dignes.
 
Comment comprendre que le Sénégal, qui a formé la plupart des médecins marocains soit réduit à évacuer ses malades dans le Royaume chérifien ? Comment comprendre que les Sénégalais qui ont construit des infrastructures de la Mauritanie au Congo et jusque dans les pays arabes, soient exclus des marchés de constructions de leur propre pays au bénéfice des Marocains, des Turcs, des Chinois, etc. ? Comment comprendre que nos terres soient distribuées à des sociétés étrangères quand on demande aux jeunes de retourner à la terre ? Tout le monde n’est pas Mame Gor Djazaka pour venir faire le mange-mille avec les miettes des subsides indus de la politique politicienne.
 
Quant à Mimi Touré, la vieille trotskiste de retour, qui parle d’« ensauvagement de la vie politique », elle voit la paille qui est dans l’œil des autres et pas la poutre qui est dans son œil à elle. En plus de la violence institutionnelle détournée par son camp, depuis 2012, on a vu les militants de l’APR se battre entre eux à toutes les occasions, surtout lors de partages de butins. Mais plus grave, la violence est en train de déborder, car Bougane Guèye Dany et ses militants ont subi les foudres des nervis de Ciré Dia qui se vantent sur la toile de sanctuariser la chasse gardée de leur leader, Thiès en l’occurrence, et en toute impunité. Cette violence-là, Mimi en est fervente partisane comme son message subliminal y appelle.
 
L’opposition est avertie, mais elle doit d’abord veiller à ce que le processus électoral soit transparent, car toute cette agitation cache mal une manœuvre de diversion, les vrais problèmes étant ailleurs : déjouer les pièges du parrainage à conjuguer au futur proche en particulier, du scrutin en général.
 
En conclusion, pour ces politiciens – j’ai bien dit politiciens -, il n’est pas grave de travestir la pensée d’autrui voire de lui coller des propos et des faits dont il n’est pas l’auteur. C’est effarant quand, dans un pays où tout le monde se réclame d’une obédience religieuse, certains s’asseyent sur leur foi et sur leur dignité pour des gains politiques. Serigne Cheikh Tidiane Sy al Maktoum et Serigne Fallou Mbacké auraient conclu qu’ils n’avaient pas ces vertus, car il est des qualités qui ne se monnaient jamais. D’ailleurs, le Prophète Mouhammad (PSL) enseigne que les contre-vérités sont la porte ouverte à tous les vices et à tous les maux et qu’on cesse d’être musulman au moment où on profère les dites contre-vérités.
 
Saër Ndiaye
Journaliste, écrivain-éditeur


 
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