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EDITORIAL
La démocratie à l’ombre de Pyrrhus!
Les électeurs sénégalais ont donc choisi leurs représentants à l’assemblée nationale au cours d’une mémorable journée de 30 juillet 2017, dans les conditions que tout le monde connait. Le conseil constitutionnel a clos tout ce qui était susceptible de se muer en contentieux après s’être transformé en faiseur de loi électorale. Ces législatives auront été une formidable occasion pour la classe politique et les organisations de la société civile de mesurer le travail qu’il reste à faire pour éviter que la démocratie soit l’objet de captation.
 
Le challenge est colossal eu égard à certaines habitudes intériorisées et mises en œuvre par des politiciens plus soucieux de leur carrière immédiate que d’une évolution qualitative du système de représentation politique.
 
Du travail, il y en a à faire, surtout quand les plus hautes autorités de la République se félicitent publiquement, sans gêne, de la «bonne organisation du vote» à l’échelle du territoire. Comme s’il ne s‘était rien passé avant et après les scrutins! C’est cette tendance tournant le dos à l’humilité et à la prise de conscience face au chaos électoral incrusté au cœur de ces législatives qui peut inquiéter.
 
Nos gouvernants ont-ils pris la pleine mesure du désastre qui s’est abattu pour la première fois sur des élections nationales ? A défaut de présenter leurs excuses au peuple sénégalais, sont-ils prêts au moins à corriger les graves dysfonctionnements pointés du doigt par les observateurs nationaux et de l’Union africaine ?
 
La mission qui incombe dorénavant au Président de la République, à son (futur) gouvernement, à la nouvelle assemblée nationale, en partenariat avec la classe politique et la société civile, est connue. Il s’agit de redonner à notre système électoral, dans toutes ses composantes, son lustre perdu dans la débâcle organisationnelle et technique du 30 juillet, quoi qu’en pensent les apprentis sorciers.
 
Cette exigence d’intérêt national passe par une mise à jour consensuelle du fichier national des électeurs, sans attrape-nigaud. C’est le service minimum vital que nos dirigeants peuvent rendre à ce pays et à ses institutions. Sinon, ils pourront revendiquer la descendance de Pyrrhus: gagner des batailles dans la douleur, pour dire le moins.
 
Incompétente et politicienne sous plusieurs angles, l’opposition devrait se réveiller, accepter de prendre part au travail de modernisation du système politique avec sérieux et détermination, en étant moins roublarde et plus soucieuse de l’intérêt collectif. Si elle ne change pas, il est certain qu’elle va au devant de grands échecs dans les deux années à venir.
  

Démocratie en otage
Le système démocratique sénégalais rend possibles des scénarios historiques marbrés entre le meilleur, le pire et l’entre-deux. Autant il a pu générer - quasi spontanément - un événement grandiose du genre 23-juin-2011, autant il a pu fabriquer - de bric et de broc - une jurisprudence qui institutionnalise une sorte de demi-violation du secret du vote. Et ce, grâce à la possibilité laissée aux électeurs d’entrer dans l’isoloir avec seulement une partie des bulletins des 47 listes de candidats retenues pour les législatives du 30 juillet 2017.
 
A cet effet, le Code électoral a été modifié en son article 78 par l’Assemblée nationale lors de la session d’urgence tenue le 6 juillet dernier sur initiative du président de la République. Pouvait-on éviter cette distorsion apportée à la loi électorale à seulement trois semaines et quatre jours des scrutins parlementaires ?
 
Il aurait fallu – pour répondre oui à la question – que la démocratie sénégalaise se débarrassât auparavant d’une faiblesse majeure et déconstructive, celle d’avoir été condamnée très tôt à devoir subir la loi des aventuriers et professionnels de la politique. Ceux-là même qui se relaient au pouvoir depuis plusieurs décennies, profitant de la paralysie organisée des institutions censées pourtant mettre en œuvre la formule «le pouvoir arrête le pouvoir».
 
Les principes démocratiques consensuels – et très souvent contradictoires aux intérêts des lobbies et clans d’obédiences diverses - sont certes partout l’objet de contournement à travers le monde. Mais le drame sénégalais réside essentiellement dans l’affaissement de contre-pouvoirs transformés en machins cosmétiques ankylosés.
 
Le psychodrame qui a résulté de la détermination du pouvoir à «mettre de l’ordre» dans la pagaille présumée induite par une pléthore de listes législatives n’aurait jamais dû survenir si la classe politique était responsable et crédible. Nos politiciens ne sont d’aucune idéologie : ils n’obéissent qu’à leurs propres intérêts s’ils ne sont pas expressément contraints de faire prévaloir ceux du bien public.
 
Entre 2011 et 2012, le Pds au pouvoir a systématiquement refusé l’introduction du bulletin unique en dépit de tout bons sens : simplicité, accessibilité, coût financier moindre par rapport au système en vigueur, etc. C’était le minimum de reconnaissance que ses dirigeants pouvaient manifester à l’endroit de ce pays.
 
Mais le conservatisme, l’égoïsme et une certaine volonté de puissance avaient pris le pas sur la perspective de faire faire à notre démocratie un pas significatif en matière de transparence électorale. Le rêve était surdimensionné… En accédant au pouvoir, Macky Sall a davantage affaibli la démocratie à travers un processus électoral chaotique comme jamais le Sénégal n’en a connu.
 

(Momar Dieng) La galère, nous y sommes ! Ce pays est véritablement empêtré dans des situations durablement inextricables et pour lesquelles il lui faudra un peu plus de génie que d’habitude pour espérer s’en sortir. Evidemment, la magie des politiciens finira comme d’habitude par nous extirper des guêpiers, artificiellement. Jusqu’aux prochaines épreuves.
 
La privation d’eau potable qui frappe les populations de Dakar et banlieues depuis près ou plus d’un mois est l’un des signes pathologiques d’une certaine gouvernance d’un secteur de rente capturé par un capital étranger (évidemment français) qui le balade de main en main suivant les opportunités de cession juteuses qui se présentent.
 
Les populations de Dakar et de ses environs immédiats, mais aussi celles des Parcelles, Yeumbeul, Guédiawaye, Keur Massar, etc. sont/ont été concrètement agressées par une pénurie d’eau contre laquelle il n’y a eu que des excuses. Le recteur de l’Université Cheikh Anta Diop, l’une des plus prestigieuses en Afrique de l’Ouest, fait le boulot des politiques en interdisant une manifestation intellectuelle à la case-foyer du Cesti. On est où là, franchement ?
 
Pendant ce temps, les politiciens se chamaillent autour d’un processus électoral vicié par l’appétit féroce d’un Président obnubilé par la conservation du pouvoir. Il faut le dire et l’accepter, le pouvoir porte l’entière responsabilité du chaos qui structure le processus électoral depuis son lancement.
 
Alerter et attirer l’attention des autorités n’ont servi à rien. Aujourd’hui, on est dans le mur. Dans ce contexte, il est difficile de comprendre que la Cena en arrive à demander au Président de la République de violer et la loi sénégalaise et le Protocole additionnel de la Cedeao concernant l’organisation des élections dans l’espace communautaire.
 
Si la Cena, censée être concernée par la supervision du processus électoral, sort brutalement de son sommeil pour servir de caution au président de la République, c’est sûr, le Sénégal a alors réalisé de gros progrès démocratiques !!!  
 

C’est ainsi que meurent ou faiblissent certaines démocraties, surtout en Afrique, surtout au Sénégal. Quand tout le monde veut aller à la soupe, comme on le dit trivialement souvent, il y a à craindre un affaissement brutal des contre-pouvoirs.
 
Une démocratie est par essence un équilibre entre des institutions fortes, crédibles, capables de jouer la partition permise par les lois. Elle est surtout, par ailleurs, l’espace d’expression où s’affirme un autre contre-pouvoir, celui incarné par une opinion publique consciente et engagée.
 
 C’est cette frange du peuple sénégalais qui a porté la réplique aux dérives personnelles, politiques et institutionnelles de l’ancien régime. C’est elle qui a ferraillé contre Wade et sa lourde machine au prix de sacrifices énormes dont des vies humaines perdues et brisées sur le terrain de la résistance. C’est elle qui a intellectuellement théorisé la nécessité d’une alternance pour le Sénégal.
 
Disparate et diverse dans sa sociologie, la société civile sénégalaise l’est forcément dans sa perception de l’engagement politique. D’où la rupture constatée dans ses rangs lors du processus électoral de 2012. Entre ceux qui sont allés faire ouvertement de la politique et ceux qui ont choisi de rester sentinelles et lanceurs d’alerte, persiste le débat récurrent sur la posture idéale qui serait la plus utile à la communauté, à l’intérêt national.
 
Mais il est avéré depuis longtemps que le Pouvoir reste un rouleau compresseur impitoyable avec un art et des moyens à nul autre pareil dans la capacité à changer les hommes qui le servent.
 
A ce titre, nous ne pouvons que saluer la cohérence de tous ceux et toutes celles qui ont choisi non pas d’être contre le régime de manière dogmatique, mais simplement de rester à des stations où ils ne sont pas contraints de trahir, chaque jour que Dieu fait, des convictions fortement défendues pendant de longues années. (Momar Dieng)
 

Inflation de listes: le désir refoulé
Beaucoup de Sénégalais se plaignent du nombre record de listes finalement validées par le ministère de l’Intérieur et autorisées à prendre part aux élections législatives du 30 juillet 2017. Il y a pléthore de candidatures, c’est vrai, mais à qui la faute ?
 
En soi, l’explosion de candidatures à travers une expression démocratique, plurielle et citoyenne des ambitions voulues pour notre pays ne peut être un mal. Si l’inflation de listes a lieu précisément et spécifiquement autour de l’institution phare qu’est l’Assemblée nationale, on peut considérer qu’il y a un désir ardent et presque atavique de transformer l’hémicycle en un véritable instrument de contrôle de toute politique gouvernementale au service des Sénégalais.
 
Il y a, à n’en pas douter, des groupuscules politiciens qui ne devront leur participation aux scrutins qu’à leurs accointances avec des pouvoirs occultes capables de prendre en charge les montants des chèques de caution requis par la Caisse des dépôts et consignation (CDC). A ce jeu, il semble bien que «le» pouvoir soit le «centre» indiqué pour parrainer de telles entreprises à la périphérie de la classe politique. Mais rien n’est sûr.
 
Sur ce plan, notre démocratie en est encore à son paléolithique du fait d’un déficit extraordinaire d’ambitions saines et progressistes qui frappe ses dirigeants. L’absence de contrôle sur l’argent circulant dans la classe politique et au niveau de certaines organisations rattachées à la société civile ne peut que profiter au régime régnant dont les possibilités de capture de fonds sont élastiques. D’où l’absence de législation sérieuse et contraignante autour du financement politique.
 
On se plaint d’une inflation des listes, mais en amont, des millions de Sénégalais peinent à recevoir leurs documents de vote par la faute d’incompétences accumulées et/ou de tactiques sciemment mises en œuvres à des fins politiques d’obstruction. Engager 50 milliards de francs Cfa pour des cartes d’identité biométriques et en arriver à l’enfer pour leur distribution manque de sens et de générosité.
 
D’ici au 30 juillet, il est probable que des centaines de milliers de citoyens ne soient pas en mesure de faire leur choix pour l’Assemblée nationale. Le président de la République et ses collaborateurs en portent d’ores et déjà la lourde responsabilité, et ce n’est pas à leur honneur.
 
Il faut juste souhaiter, malgré tout, que les véritables porteurs de projet pour la transformation qualitative du parlement aient les moyens et les ressources pour le faire en parfaite synergie…
 
 
 
 

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