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EDITORIAL
L’instinct de répression
Le président de la république doit être fier d’avoir fait réprimer avec une violence suspecte une marche des partis d’opposition « autorisée » par les services du ministère de l’Intérieur, le vendredi 14 octobre 2016 dernier. Fier d’avoir rendu possible que des grenades lacrymogènes ultra-suffocantes soient systématiquement balancées et en grand nombre sur des citoyens sénégalais désireux d’exercer de manière pacifique des droits légaux et constitutionnels. Fier d’avoir contribué à faire couler le sang de citoyens sénégalais ni armés ni comploteurs contre l’ordre public. Fier d’avoir donné au monde entier, à travers les médias classiques et les réseaux sociaux, une si dégradante image de la démocratie sénégalaise, de la conception qu’il a lui-même de la démocratie.
 
Fondamentalement, Macky Sall est incapable de s’extirper de la logique du rapport de forces  dans laquelle il s’est enfermé depuis son arrivée inattendu au pouvoir. Il faut s’y habituer. Cette logique a installé dans son Moi un mécanisme de répression brutale de l’adversité qu’il considère consubstantiel à la pérennité de son pouvoir. La brutalité gratuite dont sa police a fait montre à l’endroit de Sénégalais munis de slogans et de pancartes est la réponse d’une autorité consciente des incompétences soulevées par sa gouvernance.
 
Quel but visait le chef de l’Etat en réprimant une manifestation politique naturellement pacifique, même si les divergences ont persisté jusqu’au bout sur l’itinéraire de la marche ? La mort d’homme (ou de femme) pour décourager définitivement toute initiative populaire qui ne serait pas soumise au giron de son régime ? La rancune l’aurait-il poussé à faire payer à « ces gens là » l’outrecuidance d’avoir dit haut et fort qu’il y a eu des soupçons de magouille et de corruption dans certains contrats pétroliers signés par ses soins ?
 
Cette marche réprimée dans le sang assoit encore plus la thèse selon laquelle le président de la république fait face à une vraie défiance populaire avec laquelle il va devoir composer. Patiemment, il organise le recul des acquis démocratiques et populaires du peuple sénégalais, se mettant à contre-sens de la marche de l’histoire. C’est l’instinct de répression, ersatz du forcing électoral de 2002 à Fatick, qui a prévalu. Cette violence sans cause est entrée dans le livre d’histoire des libertés publiques au Sénégal. Ses mots de désolation prononcés au lendemain des violences policières resteront comme des aveux…
 
 
 

Femme de pouvoir !
 
A entendre et à écouter tout ce qui se dit sur Marième Faye Sall, la question qui fâche s’impose : qui gouverne le Sénégal ? Il y a une certitude, c’est Macky Sall que les électeurs sénégalais ont élu à la présidence de la République. Mais une incertitude émerge en parallèle : que sont les véritables pouvoirs de la première dame du pays ? Entre réalités, fantasmes, supputations diverses, passions intéressées, démêler le vrai du faux par rapport à la vraie place de la Saint-louisienne dans la gouvernance du pays est un exercice à risques.
 
Cependant, les éléments d’enquête rapportés et récoltés à différentes sources se recoupent de façon si coordonnée que l’on en vient à tirer une conclusion : Marième Faye Sall n’est pas du genre à se suffire des aspects strictement protocolaires de sa fonction. Elle est dans l’action politique derrière les paravents officiels qui fixent les prérogatives. Son histoire avec le président de la République, l’extrême dureté du conflit avec les Wade, les années de disette financière et de solitude, la traversée du désert ont permis au mari de devenir président de la République. Elles ont aussi fondamentalement structuré ce que devaient être la place et l’influence de l’épouse dans la gestion du pouvoir. Le symbole de la «puissance» de la dame, c’est cette séance inédite de coaching à laquelle elle soumet son homme afin de le préparer à un tête-à-tête redouté et périlleux avec l’ogre Wade. C’était en 2008.
 
Depuis quatre ans et plus, celle «sans qui Macky Sall n’existerait pas» incarne une gouvernance de l’ombre, étendant ses tentacules aux quatre coins du palais de la République, surveillant les nominations qui ont du sens pour elle, refoulant à la périphérie ceux et celles qui ne serviraient pas les intérêts de son mari (et les siens), promouvant ses fidèles et courtisans là où elle pense tirer le meilleur d’eux. La famille est venue l’entourer. Des journalistes aussi. Et les affaires ont sans doute prospéré. Le pouvoir doit bien servir à quelque chose…
 
 

La sclérose des acteurs et des attitudes va s’amplifiant dans l’arène politique sénégalaise. Et le pire, c’est que le fameux bout de tunnel que tout un chacun s’efforce d’entr’apercevoir à chaque séquence politique est carrément invisible. L’impotence et les incompétences accumulées du pouvoir qui est dans les affaires depuis près de cinq ans n’a d’égal que les tactiques insignifiantes d’une opposition inaudible et qui, trop souvent, vadrouille dans des postures inconséquentes.
 
Le langage du forcing permanent soutenu par une administration publique partisane et soumise est devenu l’arme favorite du président de la République, en toutes circonstances. Farce virale de l’été sénégalais, le «dialogue national» a fini en eau de boudin quand ses parties prenantes d’opposition ont bien voulu constater qu’ils étaient tombés dans un attrape-nigaud dont l’objectif était juste de rafistoler l’armure dégradée et décatie de Macky Sall après «son» référendum remporté de très haute lutte !
 
Aujourd’hui, alors que les élections législatives apparaissent comme la prochaine grande bataille politique, on est bien en devoir de nous interroger sur la qualité de la «marchandise» que les appareils des partis et coalitions prévoient de nous fourguer comme projets pour le présent et pour l’avenir.

Un Président manifestement impréparé en 2012 nous coûte les yeux de la tête aujourd’hui – et ce n’est pas fini. Une opposition éclatée en factions qui font mine d’être ensemble et qui sont capables de trahison à chaque cycle, désespère une bonne frange de l’opinion. Entre ces deux extrêmes, le radicalisme salutaire d’Ousmane Sonko pourrait avoir imposé un modèle d’opposition de qualité dont la fraîcheur, la pro-activité et l’acuité des perspectives posées en débat public ne pourraient que consolider la démocratie sénégalaise.
 
Malheureusement, le Sénégal est en panne d’institutions crédibles en mesure de supporter les tendances démocratiques et patriotiques qui vont s’affirmer de plus en plus dans les espaces de la cité. Une dynamique qui menace directement les gouvernants actuels emmurés dans des certitudes fragiles alimentées par les illusions d’une croissance plus pluviométrique que structurante dans ses fondements. 

 

Le failli et la baïonnette !
Cela ne fait plus aucun doute : notre Président a fait faillite. Politiquement. Moralement. Personnellement. Et plus gravement encore que ce que l’on peut en dire ! Ce ne sont pas les litanies sur les «réalisations grandioses» de son gouvernement, ni les fanfaronnades de la cour, ses obligés autour d’une gouvernance proprement hallucinante de carence qui changeront la donne. Clairement, cet homme n’a visiblement pas l’envergure et les capacités pour diriger ce pays à l’abri des clans et des lobbies d’influence.
 
Ses limites objectives (où celles de ses collaborateurs), percevables dans les jeux de yoyo auxquels il nous a habitués, ont déjà coûté plusieurs dizaines de milliards de francs Cfa aux finances de l’Etat. Clairement, sa gouvernance chaotique et ombrageuse est un contre-modèle fondamental dont une République et un Etat soucieux de principes de justice et d’équité ne pourront jamais s’accommoder. Clairement, sa propension à favoriser les membres de sa famille et à protéger ses amis en font un adepte irréductible du principe partisan. Quand on est capable d’offrir une promotion imméritée à une personne inculpée et en attente de son jugement, on ne laisse pas tomber les siens quoi qu’ils fassent. Mais les autres, adversaires radicaux comme Ousmane Sonko, il les fait passer à la baïonnette de «ses» décrets… A qui le tour ? 
 
Aujourd’hui, nous sommes en droit de nous poser des questions sur la trajectoire du Président, ses objectifs immédiats et futurs, ses réseaux d’amitiés et de soutien d’ici et d’ailleurs… Pourquoi ? C’est simple : voir un chef d’Etat «muter» aussi radicalement au contact du pouvoir politique suprême n’est pas anodin. Sa nervosité légendaire n’était pas inconnue de tous, de même que son autoritarisme fiévreux. Ce qui semble nouveau, c’est son aptitude mécaniquement réfléchie à «gérer» ses dossiers avec des états d’âme à géométrie variable. Le tout, entre des tentatives forcées de sourire en coin, une allergie inquiétante à la critique qui dérange, des silences prolongés…
 
Heureusement, en arrivant au pouvoir, il connaissait ses faiblesses. Une vigilance et un réalisme qui l’ont aidé à dompter le trio infernal de vieux briscards à l’origine de la décadence du plus vieux des partis politiques sénégalais, aujourd’hui sans plus aucune perspective de grand large. Il y a réussi au-delà de toute espérance. Il était une fois notre Président…

 

«On gagne puis on voit ! »
Les grandes gueules médiatiques et professionnelles d’hier, si promptes à culbuter – c’était avec raison - la moindre des incartades d’Abdoulaye Wade et de son régime de patrimonialisation, ont déposé les armes, peu désireuses de cracher sur une soupe Sall aux servitudes trop contraignantes. Les politiciens dits de gauche et leurs congénères de la social-démocratie compradore ont accepté l’humiliation du silence contre des maroquins : assemblée nationale, haut conseil des collectivités territoriales, ministères, présidences de conseil d’administration (ou de surveillance), grands et petits programmes à milliards de francs Cfa, jeunes politiciens turbulents casés dans les structures d’Etat… Des activistes de la société dite civile ne savent plus où situer la place de l’Obélisque sur une carte, un lieu qu’ils se faisaient un honneur citoyen d’envahir au moindre toussotement entendu de l’avenue Senghor…

Le partage du gâteau de la victoire de 2102 est une réalité inédite par son ampleur et sa profondeur dans les corporations militantes d’hier. Celles-ci ont choisi de faire comme l’autruche : ne rien voir, ne rien entendre, ne rien savoir, ne rien dire d’autre que des baragouins. Elles sont devenues prisonnières de la logique de prébende instaurée par le prince et ses affidés. Vivre un âge d’or vaut quelque sacrifice, même celui de l’honneur !

Depuis longtemps, des voix avaient commencé à attirer l’attention de l’opinion sur l’accumulation de signes de dérapage anti-démocratique dans la politique du chef de l’Etat. La coupe a fini par être pleine. 

Aujourd’hui, le régime de Macky Sall ne prend plus de gants dans la répression des libertés fondamentales, la gestion journalière des scandales économiques et financiers, le flicage et la persécution de citoyens qui auraient le tort d’être des concurrents politiques. Il agit au grand jour, l’air imperturbable, en instrumentalisant des institutions et des hommes normalement dédiés au service de la république, mais claustrés dans un projet partisan.

L’hypocrisie est de mise. C’est ce qu’il se passe avec Ousmane Sonko, entre autres. Le chef de l’Etat instrumentalise les députés (qui ne savent plus ce qu’est une proposition de loi) pour faire passer son projet de loi sur la binationalité. Mais quand le président de Pastef révèle que les membres de la famille  de Macky Sall ont tous la nationalité américaine, personne ne le dément ; les fédayins si courageux dans l’insulte et les propos de borne-fontaine se terrent, en attendant que les choses soient clarifiées à leur niveau. Comment un président de la république peut-il être à ce point non exemplaire sur un sujet que lui-même porte en flambeau ?
Ce régime cultive le paradoxe : il a tous les moyens de l’Etat à sa disposition, mais sa frilosité dépasse l’entendement : même des mouches qui auraient l’outrecuidance de venir bourdonner aux alentours des oreilles du prince risquent désormais la traduction devant un conseil de discipline ! C’est un signe de fragilité, inhérent à l’exercice illégitime du monopole de la violence…légitime. «A force d’aller au fond de tout, dit Hippolyte Taine, on y reste.»

En mars 2012, début de ce cauchemar imprévu, on aurait pu nous dire, en lieu et place des fariboles sur gestion sobre et vertueuse, respect des libertés, justice et équité et tutti quanti : «On gagne et puis on voit.» Un grand chef l’avait fait quelques siècles auparavant : Napoléon Bonaparte. C’était honnête ! (Momar Dieng)
 
 

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