Les grandes gueules médiatiques et professionnelles d’hier, si promptes à culbuter – c’était avec raison - la moindre des incartades d’Abdoulaye Wade et de son régime de patrimonialisation, ont déposé les armes, peu désireuses de cracher sur une soupe Sall aux servitudes trop contraignantes. Les politiciens dits de gauche et leurs congénères de la social-démocratie compradore ont accepté l’humiliation du silence contre des maroquins : assemblée nationale, haut conseil des collectivités territoriales, ministères, présidences de conseil d’administration (ou de surveillance), grands et petits programmes à milliards de francs Cfa, jeunes politiciens turbulents casés dans les structures d’Etat… Des activistes de la société dite civile ne savent plus où situer la place de l’Obélisque sur une carte, un lieu qu’ils se faisaient un honneur citoyen d’envahir au moindre toussotement entendu de l’avenue Senghor…
Le partage du gâteau de la victoire de 2102 est une réalité inédite par son ampleur et sa profondeur dans les corporations militantes d’hier. Celles-ci ont choisi de faire comme l’autruche : ne rien voir, ne rien entendre, ne rien savoir, ne rien dire d’autre que des baragouins. Elles sont devenues prisonnières de la logique de prébende instaurée par le prince et ses affidés. Vivre un âge d’or vaut quelque sacrifice, même celui de l’honneur !
Depuis longtemps, des voix avaient commencé à attirer l’attention de l’opinion sur l’accumulation de signes de dérapage anti-démocratique dans la politique du chef de l’Etat. La coupe a fini par être pleine.
Aujourd’hui, le régime de Macky Sall ne prend plus de gants dans la répression des libertés fondamentales, la gestion journalière des scandales économiques et financiers, le flicage et la persécution de citoyens qui auraient le tort d’être des concurrents politiques. Il agit au grand jour, l’air imperturbable, en instrumentalisant des institutions et des hommes normalement dédiés au service de la république, mais claustrés dans un projet partisan.
L’hypocrisie est de mise. C’est ce qu’il se passe avec Ousmane Sonko, entre autres. Le chef de l’Etat instrumentalise les députés (qui ne savent plus ce qu’est une proposition de loi) pour faire passer son projet de loi sur la binationalité. Mais quand le président de Pastef révèle que les membres de la famille de Macky Sall ont tous la nationalité américaine, personne ne le dément ; les fédayins si courageux dans l’insulte et les propos de borne-fontaine se terrent, en attendant que les choses soient clarifiées à leur niveau. Comment un président de la république peut-il être à ce point non exemplaire sur un sujet que lui-même porte en flambeau ?
Ce régime cultive le paradoxe : il a tous les moyens de l’Etat à sa disposition, mais sa frilosité dépasse l’entendement : même des mouches qui auraient l’outrecuidance de venir bourdonner aux alentours des oreilles du prince risquent désormais la traduction devant un conseil de discipline ! C’est un signe de fragilité, inhérent à l’exercice illégitime du monopole de la violence…légitime. «A force d’aller au fond de tout, dit Hippolyte Taine, on y reste.»
En mars 2012, début de ce cauchemar imprévu, on aurait pu nous dire, en lieu et place des fariboles sur gestion sobre et vertueuse, respect des libertés, justice et équité et tutti quanti : «On gagne et puis on voit.» Un grand chef l’avait fait quelques siècles auparavant : Napoléon Bonaparte. C’était honnête ! (Momar Dieng)