ENQUETE SOCIALE - Usine Twyford, les ouvriers sénégalais dans l’enfer de la céramique chinoise

Mardi 30 Juillet 2024

Dans cette entreprise qui aurait investi quelque 55 milliards de francs CFA pour alimenter les marchés sénégalais et ouest-africains en carreaux, les ouvriers dénoncent le management violent et impitoyable des Chinois. Pressions permanentes, rythmes de travail insupportables avec des équipes de jour et de nuit, repos insuffisants, accidents de travail fréquents, salaires de misère, contrats à durée déterminée (CDD) sans cesse renouvelés, etc. Plongée au coeur d’un système que les ouvriers jugent esclavagiste.

UN DOIGT COUPÉ NET…

 

25 septembre 2021 aux environs de 8 heures. Mor Talla se retrouve avec un doigt en moins et deux autres fracassés par l’hélice de sa machine de travail. Il manipulait un bloc de carreaux avec ses mains nues au service émaillage de l’usine chinoise de fabrication de carreaux Twyford située à Sindia (à une soixantaine de km de Dakar sur la Petite côte). Le médecin d’entreprise refuse de le soigner car il ne dispose pas des instruments nécessaires à sa prise en charge. L’ouvrier passe trois heures sur place, entre l’indifférence des Chinois et les « douleurs inhumaines » qu’il ressent. Les pressions sur son chef de groupe poussent ce dernier à bousculer les Chinois. A 11 heures, il est enfin acheminé à Mbour où un aide-infirmier le soigne « sans anesthésie et sans délicatesse ». Il faut l’intervention d’une sage-femme à la retraite pour que le médecin principal fasse reprendre les soins par un infirmier plus qualifié. Il dit en avoir gardé un traumatisme.

 

« Ensuite, je suis rentré chez moi avec des tablettes anti-douleurs. J’ai rassemblé l’argent qui me restait et ce que ma famille m’a donné pour acheter les médicaments prescrits. A part les frais payés par les Chinois à Mbour, je me suis pris en charge tout seul avec l’aide de ma mère et d’amis proches. Il fallait bien payer les soins que je continuais de recevoir et il fallait bien me déplacer au centre de santé. Mais 45 jours après, les douleurs étaient toujours là car les soins n’ont pas été bien faits dans l’ensemble. Ensuite, j’ai constaté des coupes énormes sur mon salaire…Pour les Chinois, je n’existais plus apparemment…».

 

 

ACCIDENTS DE TRAVAIL ET DISCRIMINATIONS

 

A la fin de son contrat à durée déterminée (CDD), Mor Talla n’est plus retourné à l’usine pour travailler. Dépité et en colère. Dégoûté, surtout, par l’indifférence de ses employeurs ! Il a préféré arrêter. Pour lui, c’était une façon de dénoncer les violences multiformes contre lesquelles ses camarades encore en place s’insurgent.

 

« En cas d’accident dans l'usine, les ouvriers sénégalais ne sont pas pris en charge correctement. Ce qui est arrivé à notre ami et camarade Mor Talla, d’autres le vivent assez souvent. C’est une réalité dans cette usine de Sindia. Et celui qui devient handicapé dans l’exercice de son travail, il est licencié », peste Gorgui*, un syndicaliste maison témoignant sous le sceau de l’anonymat. Non sans dénoncer les faveurs dont bénéficient les Chinois et certains de leurs proches sénégalais.

 

« Si eux sont victimes d’accident de travail, ils peuvent bénéficier de traitements plus adéquats », ajoute notre interlocuteur.  

 

Aux abords de l’usine de Sindia, nous rencontrons un employé qui dit avoir été victime d’un accident de travail en même temps qu’un Chinois. Il nous montre une grosse cicatrice sur une partie de son corps sur demande d’un de ses collègues.  

 

« Quand l’affaire est survenue, le Chinois a été placé dans un 4X4 et acheminé dans une clinique à Dakar. Son compère de travail, on l’a laissé ici. C’est son chef d’équipe qui a appelé un taxi pour le déposer à l’hôpital de Mbour. Et c’est l’employé qui a lui-même sorti son argent pour se prendre en charge et payer tous ses frais médicaux », révèle Gorgui sur un ton dépité.

 

Pour soutenir leur camarade, les ouvriers ont ouvert une « petite oeuvre sociale de fortune » - selon les termes du syndicaliste - avec des contributions diverses. 

 

La sécurité est une revendication forte des ouvriers de Twyford Sindia, mais les accidents s’enchaînent. En juin 2024, l’un d’eux a chuté du haut de sa station de travail. Sa tête est venue se cogner au sol. « Avertis, les Chinois arrivent sur les lieux. Leur première préoccupation a été de savoir si notre collègue avait sa ceinture attachée au moment de l’accident », s’indigne l’employé qui rapporte cet épisode. 

 

Le malheureux, transféré à Mbour, s’est retrouvé à Thiès, son état s’étant aggravé. « L’idée de la ceinture attachée ou pas, c’est juste pour ne pas prendre en charge l’accidenté », suggère un travailleur.

 

Gorgui et beaucoup d’autres employés doivent être discrets à l’intérieur de l’entreprise pour ne pas se faire remarquer comme syndicalistes.« Les Chinois pourraient nous licencier et ce serait sans conséquence pour eux », soutient-il.


 

 Entre avril et mai 2021, une trentaine d’employés dont des délègues syndicaux qui manifestaient pour de meilleures conditions de travail sont trainés en justice par la direction de Twyford. Accusés de vandalisme sur les biens de l’entreprise, ils sont inculpés par un juge d’instruction puis laissés en liberté provisoire. Ils n’ont jamais remis les pieds à l’usine. Aujourd’hui, leurs « successeurs » s’attachent à mettre en place un véritable syndicat.

 

COMITÉ D’HYGIÈNE ET DE SÉCURITÉ

 

Une matinée d’avril 2024. Le bruit est infernal dans l’usine. En certains endroits, difficile de s’entendre sur une dizaine de mètres. Des milliers de cartons de carreaux sont en stocks dans un entrepôt qui paraît deux fois plus grand qu’un terrain de football. Les emballages étiquetés tiennent sur une hauteur d’environ six mètres et s’étendent à perte de vue. Un marquage au sol de couleur jaune délimite les voies où circulent des engins mobiles non routiers de marque…chinoise. Sur chacun d’eux, un chauffeur en casque et un agent en veston fluorescent forment un binôme. Ils passent en revue les stocks de carreaux devant quitter les lieux. Dehors, un petit groupe de manœuvres attend l’ordre de procéder aux chargements d’une flotte de camions en instance de départ.

 

A l’heure du déjeuner, les ouvriers se plaignent de la qualité des repas servis et des discriminations introduites par la direction de l’entreprise.   

 

« Les Chinois ont leur propre restaurant qui accueille aussi des cadres sénégalais que nous appelons ‘’Chinois noirs’’ en raison de leur complicité avec la direction. Mais pour nous, c’est comme une gargote », signale Gorgui. Qui dénonce la qualité des repas ainsi que leur coût pour les ouvriers.

 

« On nous prélève 900 francs CFA pour des plats de mauvaise qualité et en quantité insuffisante », précise Bachir qui en profite pour soulever un autre problème récurrent. « L'accès à l'eau potable est régulièrement interrompu, ce qui est inadmissible compte tenu de la chaleur infernale qui règne dans l’usine et des longues heures de travail ». 

 

Ces différents aspects ont été portés à l’attention d’un inspecteur du travail qui a requis l’anonymat avant d’apporter son éclairage.  

« Dans chaque entreprise, la loi impose l’aménagement d’un local ou réfectoire bien aménagé avec des lieux d’aisance bien entretenues s’il y a au moins 15 employés. Et à partir de 50 travailleurs, il faut mettre en place un comité d’hygiène et de sécurité au travail ». 

 

Ce comité a pour tâche de prévenir les accidents de travail en identifiant tout ce qui est considéré comme dangereux pour la sécurité des ouvriers dans tout l’espace de travail de l’entreprise, souligne le haut fonctionnaire. 

 

Après avoir renvoyé au Titre 11 du Code du travail, l’inspecteur confie que certains de ses collègues et lui doivent traiter chaque jour « 3 ou 4 plaintes de travailleurs contre leurs employeurs ». Et les Chinois sont toujours en première ligne, ajoute-t-il.

 

Twyford - rebaptisée Keda (Sn) Ceramics Company Limited - est une entreprise industrielle chinoise spécialisée dans la fabrication de carreaux en céramique. L’usine a été inaugurée en janvier 2020 par l’ancien président sénégalais Macky Sall grâce a un investissement 35 milliards de francs CFA, selon le site senegal-export.com. 

 

Sa capacité de production journalière serait d’environ 55 mille mètres carrés de carreaux. Une partie est exportée, en particulier dans la sous-région ouest-africaine, par camions vers la Gambie, le Mali, la Mauritanie et la Guinée. Une autre peut l’être par avion avec la proximité immédiate de l’Aéroport international Baise Diagne (AIBD) dans la commune voisine de Diass. Le reste permettrait de réduire les importations sénégalaises de carreaux situées aux environs de 80 000 tonnes par an.

 

(La première base industrielle de carreaux céramique au ...senegal-exporthttps://www.senegal-export.com › actualites › la-premie….) 

 

‘’Better tiles, Better life’’ ! En français facile, cela donne ‘’Meilleurs carreaux, vie meilleure’’ ! L’accroche de l’entreprise industrielle chinoise est séduisante a priori. Moderniste, même. Mais les ouvriers, eux, se disent plutôt au tapis, quoique condamnés à toujours se relever pour défendre leurs droits dans un environnement difficile. 

 

SALAIRES DE MISÈRE ET CDD SANS FIN

 

Pour ceux avec lesquels nous avons échangé durant des semaines à travers plusieurs canaux, la fabrication de carreaux en céramique - avec ses différentes étapes - est devenue un enfer quotidien. Exposés aux gaz et aux bruits infernaux de grosses machines, ils doivent résister aux contraintes physiques et psychologiques du travail à la chaine. Certains sont en station debout douze heures d’affilée dans divers ateliers de l’usine. Sous pression permanente des Chinois ou, plus souvent, de leurs relais locaux.

 

« A chaque fin de mois, j’ai la conviction que mon investissement dans ce travail n’est pas récompensé à sa juste valeur. Je vois chaque jour des collègues qui passent une bonne partie de leur temps de travail les jambes croisées sur leur bureau. Ils sont mieux payés que moi grâce à leurs affinités avec des décideurs à l’interne », fulmine Bachir*. 

 

En mode infiltration, on ne voit que rarement des Chinois dans l’immense espace des pas perdus de l’usine. Ils sont reclus dans leurs bureaux dont certains ressemblent à des containers aménagés et n’en sortent que pour passer des instructions à certains employés.   

 

 

Bachir est un ouvrier d’une trentaine d’années. Avec sa mine peu joyeuse, son gestuel flirte avec la résignation.  

 

« Ma satisfaction, c’est d’essayer de prendre ma famille en charge avec le peu que j’ai : ravitaillement alimentaire, paiement des factures d’eau et d’électricité, aide aux parents. En attendant la prochaine paie… De l’épargne ? Je n’y pense pas car mon niveau de rémunération ne me le permet pas de toutes les façons. Je vis au jour le jour mais Dieu est grand…» 

 

Sur un ton affirmatif, un autre ouvrier qui appartient au groupe des « syndicalistes » souligne que « de toutes les façons, 90% des salariés de l’entreprise n’ont pas 130 mille francs CFA ». 

 

Chez la plupart des ouvriers, le salaire de base mensuel ne dépasse pas 73 mille francs CFA, selon plusieurs fiches de paie que nous avons consultées. La charge de travail est de 12 heures par jour et 6 jours sur 7. 

 

« Comment un Etat ayant des moyens et des services de contrôle peut-il laisser des ouvriers, sénégalais ou étrangers, travailler durant 12 heures par jour avec un seul jour de repos dans la semaine et recevoir des salaires si dérisoires », s’interroge-t-il ? Avant de se lâcher : « les Chinois sont des esclavagistes et on a l’impression qu’ils sont soutenus pour faire ce qu’ils veulent de leurs employés ». 

 

Si le salaire est « misérable », les absences sont durement sanctionnées, signale Bachir. « Les Chinois nous retirent 12 500 FCFA pour chaque jour non travaillé. Ils ne tiennent même pas compte du motif de cette absence qui peut être un décès, une maladie, un baptême, etc. », affirme-t-il. « Si tu es absent trois jours de suite, ils vous licencient ». 

 

Déclaration solennelle de Twyford (Communiqué)DAKARACTU.COMhttps://www.dakaractu.com › Declaration-solennelle-de-...

 

Bachir enchaîne les CDD à Twyford depuis son recrutement. Sa première obsession reste le bulletin de salaire qu’il brandit pour fustiger la « misère » dans laquelle il dit vivre. Un stress qu’il partage avec des dizaines d’autres ouvriers.  Comme Sidate*. 

 

Celui-ci dénonce le peu de souci des Chinois en ce qui concerne la sécurité des travailleurs qui font face à l’insuffisance des équipements de protection individuelle (EPI). « Et même s’il arrive qu’il y en ait, ils se révèlent inadaptés aux conditions de travail spécifiques à certains départements ». 

 

« Les produits avec lesquels nous travaillons sont toxiques et dangereux à l’inhalation. Or, nous pouvons rester des semaines sans être dotés de masques et de gants contre les risques de démangeaisons qui nous guettent avec le contact de ces produits. Pour les Chinois et leurs proches collaborateurs sénégalais, nous devons juste être une main d’oeuvre efficace. Ils exigent notre soumission à leurs objectifs ». 

 

Sidate a failli démissionner aux premiers jours de son arrivée dans l’entreprise. « C’est mon chef de groupe qui m’a motivé et convaincu de rester…», dit-il.

 

Le caractère mécanique du travail imposé aux ouvriers, sa part d’intensité et d’insécurité peuvent finir en drame. Libasse* se souvient encore des souffrances de son cousin Mor Talla. « Ce n’est que grâce à l’entregent d’un cadre de la direction de l’entreprise qu’il a pu bénéficier d’un traitement médical et encore…» 

 

Il est lui aussi en régime CDD depuis son arrivée dans l’entreprise de Sindia. Sans perspective de goûter un jour à un contrat à durée indéterminée (CDI). 

 

« Ça reste un objectif si je dois rester longtemps dans cette entreprise. Mais quand je vois qu’il y a des anciens qui sont là depuis le début avec un statut inchangé, je me dis que je dois arrêter de rêver », affirme le jeune homme.  

 

En effet, il y a pire que lui, signale un autre « syndicaliste » de Twyford. « Des employés sont dans l'usine depuis la phase d'installation et jusqu’au moment ou je vous parle, ils signent tous des contrats de 06 mois, ce qui est contraire à ce que nous savons du Code du travail ». 

 

Selon nos interlocuteurs, les ouvriers ne sont pas recrutés en CDI après avoir honoré plusieurs contrats en CDD. Certains sont même purement et simplement renvoyés par les Chinois qui s’évitent ainsi des contentieux devant l’inspection du travail et, éventuellement, devant les tribunaux.  

 

« Même quand ils ont besoin d’un nouveau chef de groupe, ils préfèrent aller chercher quelqu’un en dehors de l’usine qui ne connait rien à ce travail. Ça peut être un étudiant que nous allons former, nous les anciens, et qui va devenir notre chef. Les ouvriers expérimentés, eux, n’ont presque pas de promotion », s’indigne un des syndicalistes.  

 

AVANCEMENT EN GRADES

 

Concernant la gestion des ressources humaines, Twyford est également accusée de recourir de plus en plus au « chômage technique forcé ». Ce système prive certains ouvriers de nombreux jours de travail et donc de revenus financiers. Une stratégie qui n’est pas innocente, remarque le contact syndical cité plus haut. 

 

« Nous constatons la présence de plus en plus nombreuse de migrants étrangers dans l’usine, en général des Guinéens ou d’autres nationalités de passage au Sénégal, dénoncent de nombreux interlocuteurs. Nous pensons que les Chinois les choisissent comme travailleurs au noir afin de pouvoir leur payer des salaires encore plus misérables que les nôtres, sans contrôle de l’Etat ». 

 

Se pose alors la question des avancements et promotions dans l’entreprise. Twyford, c’est environ 1500 employés toutes catégories confondues, selon nos informations. Un chiffre que nous n’avons pas pu vérifier auprès de la direction.

 

« Les Chinois ont des critères qu’eux seuls comprennent. Sur ce que nous voyons depuis des années, ils tiennent rarement compte des compétences ou des diplômes pour faire avancer les travailleurs en grade. Ils ne se fient qu’à leurs propres objectifs. C’est une manière détournée de sanctionner les ouvriers méritants qu’ils soupçonnent de faire du syndicalisme à l’intérieur de l’usine », explique Bachir qui pointe ici sa deuxième obsession après le bulletin de salaire.  

 

En ce qui concerne la stagnation de certains ouvriers en grade alors qu’ils sont dans l’entreprise depuis plusieurs années, un inspecteur du travail qui a requis l’anonymat en explique la raison. « L’avancement d’un employé dans la hiérarchie est codifié. S’il est obligatoire dans la fonction publique, il ne l’est pas dans le secteur privé où il est laissé à la discrétion de l’employeur ». 

 

« Twyford profite peut-être des avantages offerts par le code de l’investissement »

 

Et si les ouvriers de l’usine Twyford de Sindia étaient les victimes des facilités que le droit du travail offre aux investisseurs dans leurs premières années d’exploitation ? 

 

Selon un spécialiste du droit du travail, si l’entreprise chinoise de Sindia renouvelle indéfiniment les CDD de ses employés au détriment du système CDI, « c’est sans doute parce qu’elle exploite certaines dispositions du code de l’investissement », en particulier pour les investisseurs qui souhaitent s’inscrire durablement dans le tissu économique local. 

 

D’après nos investigations, Twyford dispose effectivement d’un agrément au Code des investissements du Sénégal mais la date d’obtention de ce sésame très couru par les investisseurs ne nous a pas été précisée. Ce document délivré par l’Agence de promotion des investissements et grands travaux (APIX) lui permet de déroger à certains principes intangibles du droit du travail au Sénégal. Les ouvriers en font directement les frais. 

 

« Si l’entreprise a obtenu un agrément de réalisation, l’employeur a la possibilité d’établir et de renouveler des contrats à durée déterminée (CDD) sur une période de 5 ans sans enfreindre les dispositions de la loi. A la base, l’idée est d’aider l’investisseur à réussir le retour sur investissement et encourager les chefs d’entreprise à créer des emplois », explique l’inspecteur du travail.  

 

Toutefois, la date de prise d’effet de cet agrément est un volet « extrêmement important », précise-t-il. 
 

« Tout investisseur remplissant les critères qui donnent droit à l’agrément est éligible. Mais cette dérogation sur les CDD ne pourra être appliquée que pour les employés recrutés après l’obtention dudit agrément, et pas sur ceux qui étaient dans l’entreprise auparavant ».

 

Selon la plateforme tedmaster.org, l’adhésion au code des investissements offre plusieurs avantages aux entreprises : exonérations fiscales, facilités d’investissement, avantages fiscaux, transfert de bénéfices et de capitaux, garanties juridiques, etc. 

 

L’agrément est scindé en deux étapes : agrément de réalisation et agrément d’exploitation. 

 

Le premier concerne les avantages offerts à l’investisseur durant la période de mise en place de l’entreprise. C’est cet agrément de réalisation qui permet à l’employeur de renouveler les CDD pendant plusieurs années. 

L’agrément d’exploitation est un autre package de facilités offertes à l’entreprise quand ses activités auront effectivement débuté. 

 

Twyford a donc pu bénéficier de paquets d’exonérations de droits de douane sur les matériaux et matériels indispensables à la production de carreaux en céramique mais introuvables au Sénégal. Elle a pu aussi obtenir de suspensions de paiement de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) dans ses transactions avec les fournisseurs locaux concernant des produits nécessaires à ses activités d’usine.

 

Selon le site spécialisé senegal-export.com, « les matières premières utilisées pour (la fabrication de carreaux) proviennent des régions de Kaolack, Kédougou, Tambacounda et Thiès ». 

 

INQUIÉTUDES SUR LES COTISATIONS IPRES 

 

 

Les retenues patronales pour l’Institut de prévoyance retraite (IPRES) sont une autre source d’inquiétude pour les travailleurs de Twyford. Elles sont répertoriées sur tous les bulletins de salaire que nous avons collectés. Elles doivent donc se retrouver dans les caisses de l’IPRES. Le sont-elles effectivement ? Des employés de Twyford disent n’en rien savoir.

 

« Beaucoup d’entre nous ont tenté de s’en informer auprès de responsables de la direction ou des ressources humaines. Mais nous n’avons jamais reçu de réponse. Ils finissent toujours par nous dégager avec des promesses », souligne Sidate.  

 

D’après l’inspecteur du travail cité plus haut, « les charges sociales sont incompressibles pour toutes les entreprises opérant au Sénégal ».  

 

En l’absence de syndicat maison pour prendre en charge leurs préoccupations, certains ouvriers envisagent d’obtenir ces informations auprès de l’agence IPRES de Mbour dont ils dépendent.

 

Twyford verse-t-elle les cotisations retraite à l’agence IPRES de Mbour ? Interpellée par nos soins, la cheffe d’agence a répondu : ce dossier ne vous concerne pas vu que vous n’en êtes pas partie prenante ; seuls les employés de cette usine peuvent obtenir de telles informations à notre niveau.

 

Sur les bulletins de salaire, figure également la contribution forfaitaire à la charge des employeurs (CFCE). « Elle équivaut à 3 % de la masse salariale » de l’entreprise et doit être versée « au plus tard le 15 du mois qui suit ». Cependant, « depuis 2019, toute nouvelle création d’entreprise est exonérée de la CFCE pour une durée de 3 ans », signale un spécialiste du droit du travail.  

 

Cette exonération peut même être prolongée de 5 années supplémentaires « si les emplois créés dans le cadre du programme d’investissement agréé sont supérieurs à 200 ou si au moins 90 % des emplois créés sont localisés en dehors de la région de Dakar ». 

 

L’INSPECTION DU TRAVAIL, UN MAILLON FAIBLE ? 

 

Les employés de Twyford en veulent beaucoup à l’inspection du travail qu’ils accusent de complicité avec les employeurs chinois. « Tout notre problème, ce sont les inspecteurs du travail. S’il y avait des sanctions, billaahi (au nom de Dieu, NDLR), les entrepreneurs allaient respecter leurs travailleurs. On nous traite comme des esclaves dans notre propre pays », fulmine Sidate.

 

« Les cas où les plaintes de travailleurs sont validées par un inspecteur du travail, ça n’existe presque pas. Et même si cela arrive, les décisions ne sont presque jamais appliquées contre les Chinois », se plaint Bachir.

 

les inspecteurs du travail ont transmis 582 dossiers au ...Agence de presse sénégalaise - APShttps://aps.sn › conflits-individuels-de-travail-les-inspect...

 

Les ouvriers, en l’absence de responsables syndicaux outillés pour mener des négociations avec le patronat chinois, ne sont pas toujours au fait de l’évolution des lois du travail et des avantages qu’elles offrent aux investisseurs. Mais l’inspecteur du travail interrogé plus haut ne semble pas les condamner face aux pratiques des Chinois de Twyford. 

 

« Une entreprise qui veut la paix à l’interne doit respecter la réglementation en vigueur. Avec les Chinois, la démarche est toujours la même : ils règlent les problèmes à moitié, attendent un temps, puis reviennent dessus. Ils ne comprennent pas que si les tentatives de conciliation échouent, c’est le tribunal qui devient compétent pour arbitrer les différends entre employeurs et travailleurs », indique-t-il.

 

Il pointe ensuite la faiblesse des moyens alloués au corps des inspecteurs du travail, leur nombre réduit et l’immensité des taches qu’ils doivent remplir. Aujourd’hui le Sénégal compte 21 inspecteurs du travail et 47 contrôleurs du travail, soit un stock de 78 hauts fonctionnaires pour s’occuper des affaires de 400 mille travailleurs. Or, le Bureau international du travail (BIT) recommande un ratio de 1 inspecteur du travail pour 40 mille travailleurs dans les pays en développement, explique un spécialiste du droit du travail.

 

A cela, s’ajoutent « l’arrogance » dont font preuve certains employeurs et « le sentiment d’impunité » qui anime d’autres. 

 

Pour l’année 2023, la direction des statistiques du travail révèle que sur 582 dossiers de conflits individuels de travail transmis aux tribunaux par les inspecteurs du travail, 151 ont pour motif « l’absence de l’employeur après plusieurs convocations ». 

 

La majeure partie de ces affaires concernent les régions de Dakar et de Thiès. L’usine Twyford de Sindia est dans la ‘’juridiction’’ de Thiès…

 

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TWYFORD : ZÉRO INTERLOCUTEUR !

 

Pendant trois mois, il nous a été impossible de rencontrer la direction de Twyford ou des responsables de l’usine. Un verrouillage global est mis en place à tous les niveaux susceptibles d’être des portes d’accès à l’information. Plusieurs personnes proches du management interne ont plus ou moins clairement affirmé leurs craintes de parler (même en off) par peur de représailles. Certains ont fixé des rendez-vous hors de l’entreprise mais ne les ont jamais honorés. D’autres ont sorti des prétextes de dernière minute pour finalement renoncer à tout entretien, même en off. Nous avons tenté à maintes reprises - en vain naturellement ! - de joindre le conseiller économique et commercial de l’ambassade de Chine au Senegal.
 

Un sentiment de suspicion semble avoir fait son trou dans l’usine. Mais il reste encore des ouvriers courageux qui ont pris le risque de raconter leurs histoires, sentiments, déceptions, craintes et tous sont presque sans espoir… Nous les protégeons avec des pseudonymes dans le texte. Sauf pour Mor Talla, la victime de l’accident citée en début d’article…

 
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