Enquête sur la tyrannie du riz au Sénégal : 445 milliards de francs CFA d’importations sur 20 mois

Mardi 19 Mars 2019

La Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (Cenozo) dont le siège est à Ouagadougou (Burkina Faso) publie de mars à mai 2019 une série d’enquêtes sur différents thèmes d’intérêt public. Le quotidien « Tribune » en publiera un certain nombre dont celle-ci consacrée à la problématique de la denrée riz, notamment au Sénégal. (Partie 1)


Les importations sénégalaises de riz sont loin d'être des miettes en termes de valeurs: elles se chiffrent à environ 444,525 milliards de francs Cfa sur 20 mois (janvier 2017-août 2018) pour des quantités de 2 millions 118 mille tonnes. La plus grande partie de ce stock a sans doute été déjà consommée au grand bonheur des importateurs, d’autant plus que la denrée est exemptée de taxe sur la valeur ajoutée (Tva). Un cadeau financier de plusieurs dizaines de milliards de francs Cfa que l’Etat justifie par la nécessité de préserver la paix sociale en soutenant des prix accessibles aux populations, avec la bienveillance de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa).

La tyrannie du riz importé au Sénégal, menacée par une brouillonne montée en puissance de la production locale, est une réalité incontestable, surtout lorsqu’elle est exprimée à travers des chiffres officiels. Selon des documents de la Douane sénégalaise en notre possession, 2,118 millions de tonnes de riz sont entrées au Port de Dakar entre le 1er janvier 2017 et le 31 août 2018. Ces achats ont coûté la somme de 444 milliards 525 millions 649 mille 497 francs CFA. Les droits et taxes dont les importateurs se sont acquittés ont été de 29 milliards 608 millions 416 mille 87 francs CFA.
 
Le riz importé durant la période indiquée provient de grands pays producteurs de la céréale comme l’Inde, le Brésil, le Pakistan, la Thaïlande, la Chine, l’Argentine, les Etats-Unis, la Malaisie, l’Uruguay, le Cambodge… mais aussi de destinations improbables comme Antigua-Barbuda, la Belgique, les Emirats Arabes Unis, la Suède, le Myanmar, la Slovénie, etc.

«Si le riz est exempté de TVA, c’est une forme de subvention qui est ainsi accordée aux consommateurs»

Selon le directeur du commerce intérieur, Ousmane Mbaye, aucune subvention n’est directement allouée par l’Etat du Sénégal aux importateurs de riz. Les seules charges imposées à la filière sont des taxes de 10% à payer à la Douane et des prélèvements globaux de 2,9%, soit 12,9% en tout. Même la fameuse taxe sur la valeur ajoutée (TVA), impôt indirect que les services de l’Etat sont chargés de récolter a posteriori auprès des commerçants, ne frappe pas le riz importé.

«Si le riz est exempté de TVA, c’est une forme de subvention qui est ainsi accordée aux consommateurs», souligne le directeur du commerce intérieur. «Si cette Tva était appliquée comme elle l’est à d’autres denrées, le riz aurait coûté 18% plus cher que son prix actuel toutes choses étant égales par ailleurs», suivant les variétés vendues sur le marché. Ainsi, le kilogramme de riz brisé ordinaire (260 francs Cfa) aurait été relevé de 46 francs ; le riz brisé parfumé ordinaire (400 francs Cfa), de 72 francs Cfa ; le riz parfumé de luxe (450 francs Cfa), de 81 francs Cfa ; et le riz local entier et brisé (300 francs Cfa), de 54 francs Cfa (prix officiels au 19 juin 2018).

Sur la base des informations douanières en notre possession, en particulier de la valeur marchande de 444,525 milliards des quantités de riz importées entre janvier 2017 et août 2018, le cadeau financier offert par l’Etat du Sénégal aux importateurs de riz peut être évalué à environ 80 milliards de francs Cfa si on prend en compte une TVA à 18%. « L’opérateur qui investit son argent n’est pas un bon Samaritain. S’il ne s’en sort pas, il va faire autre chose, et le consommateur n’aura plus de riz », souligne le directeur du commerce intérieur. «Il est impératif de garantir la rentabilité de l’activité (des importateurs et autres commerçants de riz) en la rendant pérenne par une politique d’équilibre dans l’intérêt de toutes les parties.»

En réalité, la non application de la Tva sur le riz découle d’un choix politique communautaire au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa). Il s’agit de l’alinéa 3 de l’article 21 de la Directive n°02/98/CM/UEMOA du 22 décembre 1998 (modifiée en mars 2009) consacré à l’harmonisation des législations des Etats membres en matière de TVA. «Sont exonérées de la Tva : (…) les livraisons de produits alimentaires non transformés et de première nécessité conformément à la liste objet de l’annexe à la présente Directive dont elle fait partie intégrante.»

Dans ladite annexe, le riz est dans la première des huit catégories de produits classifiés par l’Uemoa, avec le maïs, le mil, le millet, le sorgho, le fonio, le blé. Mais il y a une exception de taille : la Tva ne concerne pas le « riz de luxe ».

La non application de la Tva sur le riz découle d’un choix politique communautaire au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa)

Principal denrée de consommation des Sénégalais, le riz ne peut laisser les autorités politiques indifférentes. Sa gestion est donc l’objet d’une attention permanente. «A dire vrai, il n’y a pas de problème autour du riz. C’est un marché que nous surveillons au plan macro-économique, au niveau des stocks, par des anticipations sur les marchés extérieurs », explique le directeur du commerce intérieur.

Cette surveillance concerne deux pôles qui s’interconnectent: l’approvisionnement correct et continu du marché, et la stabilité des prix au consommateur. Le riz vu sous cet angle, l’objectif des gouvernements qui se succèdent ne varie pas: prévenir des émeutes sociales liées au produit manquant et/où à la volatilité des prix afin d’éviter les spéculations et les ruptures de stocks artificielles.
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