L’amnistie controversée des indépendantistes catalans poursuivis par la justice est soumise mardi au vote crucial des députés espagnols, sur fond d’offensive de deux magistrats qui cherchent à empêcher l’application de cette mesure à Carles Puigdemont.
Ce projet de loi a pour but d’entraîner l’arrêt des poursuites lancées contre des centaines de militants et de dirigeants séparatistes pour leur implication dans la tentative de sécession de la Catalogne en 2017, l’une des pires crises politiques vécues par l’Espagne contemporaine.
Opposé par le passé à une telle mesure qui divise profondément la société espagnole, le premier ministre socialiste Pedro Sánchez a concédé cette amnistie aux partis catalans – dont celui de M. Puigdemont – en échange de leur soutien indispensable à sa reconduction mi-novembre par le Parlement pour un nouveau mandat.
Les députés se réunissent mardi à partir de 9 h (heure de l’Est) pour voter en première lecture ce texte, dont le principe est soutenu depuis des mois par une majorité de députés des rangs socialistes, de l’extrême gauche et des partis catalans et basques.
Allié imprévisible, le parti de Carles Puigdemont (Junts) a indiqué mardi qu’il pourrait finalement voter contre le texte s’il n’était pas modifié, afin de garantir que l’amnistie s’applique bien également à son chef de file.
« L’amnistie doit inclure tout le monde […] Nous négocierons jusqu’au bout » mais « si les changements (exigés) ne sont pas acceptés, Junts ne pourra pas voter en faveur de la loi », a indiqué la formation dans un communiqué.
« Image désastreuse »
Si Junts vote non, le texte sera rejeté et devra revenir devant une commission parlementaire, ce qui constituerait un revers politique majeur pour Pedro Sánchez, illustrant la grande fragilité de la majorité l’ayant reconduit au pouvoir.
« La possibilité (d’un rejet) existe » et « donnerait une image désastreuse », a déclaré Jaume Asens, l’un des négociateurs de ce texte avec les indépendantistes pour le compte de l’extrême gauche.
Le parti de M. Puigdemont exige l’incorporation au texte de nouveaux amendements pour contrer l’offensive menée par deux magistrats afin d’empêcher l’application de l’amnistie à l’ancien président régional catalan, qui a fui en Belgique en 2017 pour échapper aux poursuites judiciaires.
Ces deux juges, accusés par la gauche d’avoir des arrière-pensées politiques, ont annoncé lundi la poursuite de leur instruction pour six mois supplémentaires.
La première de ces enquêtes concerne la mystérieuse organisation « Tsunami Démocratique », à l’origine du blocage de l’aéroport de Barcelone en octobre 2019 pour protester contre la condamnation de dirigeants indépendantistes à la prison.
Terrorisme et trahison
Dans cette affaire, un magistrat du haut tribunal madrilène de l’Audience nationale estime que M. Puigdemont, accusé d’avoir dirigé cette organisation dans l’ombre, pourrait être accusé de « terrorisme ».
La semaine dernière, les socialistes ont donc été contraints de revenir sur leur parole en acceptant un amendement destiné à ce que l’amnistie bénéficie aussi aux personnes accusées de « terrorisme », à condition que les faits reprochés ne constituent pas « une violation grave des droits de la personne humaine ».
Dans l’intention de contourner cet amendement, le magistrat a mis en avant deux jours plus tard les blessures d’un policier lors des troubles de 2019, et donc une violation grave de ses droits, amenant Junts à réclamer mardi une nouvelle rédaction du projet de loi.
Dans une deuxième affaire, un magistrat de Barcelone soupçonnant Carles Puigdemont d’avoir cherché à obtenir le soutien du Kremlin à une éventuelle indépendance de la Catalogne, a assuré disposer de « données » confirmant les « relations personnelles étroites » entre des proches de l’indépendantiste et des personnes occupant à l’époque « des fonctions diplomatiques ou (ayant) des liens avec les services secrets russes ».
Cette enquête pourrait déboucher sur des poursuites pour « trahison », qui ne seraient pas couvertes par l’amnistie.
Si Junts obtient ce qu’il demande et vote finalement le texte, il passera au Sénat où l’attend une autre offensive, politique cette fois.
Le Parti Populaire (PP), principale formation de l’opposition de droite, y dispose de la majorité absolue et a modifié le règlement de la chambre haute pour ralentir au maximum l’examen du texte, qu’il amendera pour obliger à le faire repasser devant les députés en vue d’être voté définitivement. [AFP]