Exploitation des ressources naturelles en Afrique : Le Pentagone accuse, le Forum de Tana met en perspective

Dimanche 5 Mars 2017

La gestion des ressources naturelles sur le continent démontre de grandes distorsions. Entre des populations laissées pour compte, des compagnies et multinationales puissantes et impitoyables, et des Etats faibles et corrompus dans leurs structures, le Département américain de la Défense (DoD) et le Forum de Tana sur la sécurité en Afrique, de manière indirecte, établisse un diagnostic et des visions dont la prise en compte consacrerait un vrai changement de paradigme dans un secteur où les ressources ne sont pas inépuisables. 
 
 
Selon le « Rapport spécial n°3» du Centre d’études stratégiques de l’Afrique (Cesa), un organe du Département de la Défense des Etats-Unis, « 70% environ des pays riches en ressources au niveau mondial tombent dans la catégorie d’autocraties. » Cette estimation est un indicateur pertinent de l’importance vitale acquise par la découverte des ressources naturelles, en particulier en Afrique, auprès des décideurs politiques et des multinationales.
 
Ainsi, « le flux constant des revenus issus des ressources naturelles finance le patronage et les structures de sécurité sur lesquelles les gouvernements se reposent pour rester au pouvoir sans le soutien du peuple », ajoute le document du Pentagone. Il s’en suit un double constat. D’une part, « pratiquement sans aucune exception, dans les pays africains riches en ressources naturelles, le secteur public est victime d’une forte corruption. » Et d’autre part, « les pays reposant lourdement sur l’exportation de pétrole et de minéraux sont plus exposés au risque de conflits que les pays pauvres en ressources naturelles. »
 
Il est avéré que l’Afrique est le continent le plus riche au monde en termes de ressources. Plus de vingt pays y sont détenteurs de gigantesques gisements minéraux et pétroliers.
 
« Pourtant, remarque-t-on, les conditions de vie de la plupart de ses citoyens restent déplorables, en partie dues à l’inéquitable distribution des revenus provenant de ces ressources. » L’enquête du Pentagone révèle que « les cinq premiers pays producteurs de pétrole de l’Afrique subsaharienne se classent dans le dernier tiers à l’échelle mondiale pour ce qui est de la mortalité infantile. » En outre, « les deux producteurs les plus importants du continent, l’Angola et le Nigeria, se classent parmi les dix derniers dans cette catégorie. »
 
La Guinée Equatoriale est le quatrième grand producteur de pétrole en Afrique. Une position de rente qui lui a rapporté 2 229 milliards de francs Cfa de recettes. Avec un PIB par habitant de 14 176 $ (source FMI) largement au-dessus de la plupart des Etats africains, et une population en dessous du million d’habitants, la Guinée Equatoriale n’est pourtant qu’à la 138e place (sur 188 pays) de l’Indice de développement humain du Pnud.
 
Et d’après l’étude du Cesa, elle « arrive au tout dernier rang pour les dépenses publiques consacrées à l’éducation, et presque au dernier rang en termes de dépenses de santé par habitant. » Des inégalités notables se retrouvent également chez un autre pays producteur, l’Angola. Selon le Cesa, « les 10% les plus pauvres de la population angolaise ne représentent que 0,6% du revenu total, tandis que les 10% les plus riches contrôlent 44,7% de la richesse du pays. »
 
Ces distorsions potentiellement déstabilisatrices et déclencheurs de mouvements violents de revendications politiques et sociales peuvent constituer « un frein à la croissance économique, puisque l’inégalité économique sape le développement des marchés, limite les opportunités d’investissement et prive les pauvres de tout accès aux outils et ressources dont ils ont besoin pour améliorer leur productivité. » D’où l’urgence que des correctifs soient mis en œuvre afin de changer le cours des choses.
 
Dans cette perspective, le 6e Forum de Haut niveau sur la Sécurité en Afrique prévu à Tana du 22 au 23 avril 2017 devrait être un excellent cadre de réflexion et sans doute d’action autour de la problématique ainsi posée. D’autant plus d’ailleurs que l’édition de cette année sera focalisé sur le thème: « Gouvernance des ressources naturelles en Afrique. » Il sera donc question de la responsabilité des Etats dans l’administration optimale des revenus tirés du business des ressources naturelles, extractives, etc.
 
A cet effet, les recommandations attendues du Forum 2017, à défaut d’être contraignantes pour les Etats africains, pourraient suggérer une démarche globale et cohérente qui viserait à leur (re)donner une souveraineté stratégique sur leurs richesses naturelles. La protection de celles-ci s’appuierait alors sur plusieurs piliers relevés dans les documents de préparation du Forum.
 
Ce sont : « une renégociation des concessions conclues avec des sociétés transnationales ; la gestion responsable des recettes ; notamment en termes de promotion de la transparence, de reddition des comptes, d’éthique et de responsabilité sociale ; des investissements dans de nouvelles infrastructures tournées vers l’avenir dans le secteur des ressources naturelles… »
 
Les Etats africains ont également la possibilité de recourir à certains instruments internationaux auxquels ils adhèrent volontairement, comme l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (Itie), « Publiez ce que vous payez » (Publish What You Pay), le Processus de Kimberley qui identifie les bonnes pratiques dans le commerce mondial du diamant, sans oublier le système d’aide juridique à la négociation de contrats complexes instauré par le G20 en faveur des pays en développement.
 
La « Note de cadrage » de Tana 2017 est sans appel : « le continent (africain) est toujours incapable de revoir ou de contrôler la logique et les mécanismes qui déterminent ce qu’il peut produire, son coût ainsi que sa clientèle. »
 
D’autres recommandations émanent aussi du Centre d’études stratégiques de l’Afrique. Ainsi, l’accès à l’information pour les citoyens sur les revenus engendrés par l’exploitation des ressources naturelles et extractives est jugée hautement souhaitable. « La transparence est la première ligne de défense contre la corruption et la mauvaise gestion » de ce secteur.
 
Ensuite, est jugée nécessaire « la création d’institutions de contrôle interne solides à chaque maillon de la chaîne de valeur des industries extractives » aux côtés du renforcement des organes législatifs en mesure de « jouer un rôle crucial dans le contrôle interne effectif des industries extractives. » Dans ce travail qui fait appel à des compétences transversales, les services d’Etat ont le devoir de « protéger la société civile et la presse indépendante à agir comme un instrument de surveillance… »
 
D’après la note de cadrage du Forum de Tana 2017, « il sera intéressant d’explorer des stratégies permettant aux gouvernements et institutions de l’Afrique de mieux négocier mes contrats, les licences et les concessions ; d’encourager les investissements du secteur privé ; de collaborer avec des partenaires externes pour certifier et suivre les ressources minérales. » Car, finalement, il faudra bien « se préparer à l’épuisement inévitables de certaines ressources naturelles.» (Par Momar DIENG)
 
 
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