Depuis quelques temps, on constate des prises de positions de plus en plus soutenues sur l’opportunité de la poursuite de la coopération monétaire avec le Trésor français. Dans le débat qui est posé aujourd’hui, la réflexion porte sur l’opportunité des accords de coopération pour les pays de la zone CFA et à ce sujet deux groupes s’opposent radicalement.
Le premier groupe favorable à la poursuite de la coopération monétaire avec la France considère le système CFA comme une aubaine car l’existence des zones monétaires africaines au sein de la zone Franc a permis aux pays membres d’avoir une discipline macroéconomique et une stabilité des prix comparativement à certains pays africains disposant de la souveraineté monétaire. Pour le second groupe, le système CFA maintient les pays africains de la CEMAC et de l’UEMOA dans une servitude monétaire volontaire qui appauvrit les pays. Il faut donc en sortir le plus vite possible et créer une nouvelle monnaie. Pour mieux comprendre ces prises de position, il est donc fondamental d’analyser l’impact des accords qui fondent tout le système CFA sur nos économies.
Selon les accords de 1972 et de 1973, la France, par le biais de son Trésor public, garantit théoriquement les FCFA contre un dépôt de la moitié des devises des pays de la zone Franc CFA dans les comptes du Trésor français. En règle générale, les réserves des pays sont gérées par une banque centrale. En confiant la gestion de la moitié de ses réserves au département chargé de trouver des fonds pour financer les dépenses publiques françaises, les deux banques centrales africaines se privent de la possibilité d’investir plus de 13 000 milliards de FCFA en bons du Trésor ou obligations émises par des pays étrangers. Comme toute institution rationnelle, le trésor français ne se privera pas de réinvestir ces devises en obligations étrangères rapportant suffisamment pour rémunérer les dépôts des pays africains.
Même si ces dépôts sont faibles par rapport aux besoins de l’économie française, personne ne peut nier les avantages qu’en tire la France. En quelque sorte, les pays africains financent depuis des années une partie du déficit de la France et c’est d’ailleurs pour cela que la France n’a jamais souhaité que la BCE garantisse les FCFA, ni laisser la BCEAO gérer ses propres devises. En cas de crise budgétaire dans la zone Franc, la France, avec ses déficits et son taux d’endettement élevé, ne pourra pas intervenir pour renflouer les caisses des États en difficultés. Il faudra comme en 1994 procéder à un ajustement interne qui, s’il s’avère insuffisant, aboutira à une dévaluation des FCFA.
Ainsi, nous pouvons affirmer avec certitude que cette garantie de convertibilité en contrepartie d’un dépôt de la moitié de nos devises dans les caisses du trésor français n’est que virtuelle, elle n’existe pas en pratique. Elle existe théoriquement mais en réalité ce sont les pays africains membres de la zone CFA qui garantissent eux-mêmes leur propre monnaie. La BCEAO peut bel et bien gérer sa propre monnaie puisqu’elle le fait indirectement, et s’affranchir de la servitude volontaire. Il est incompréhensible que nos pays acceptent la gestion de leurs réserves de changes par un trésor public et non une banque centrale comme c’est la tradition un peu partout dans le monde. C’est pour cela que les accords de coopération avec le Trésor français devraient être qualifiés d’accords budgétaires.
L’obligation de couverture des engagements à vue de la banque centrale par 20% au moins des avoirs extérieurs reste le critère le plus déterminant des accords de coopération. Elle permet la centralisation des réserves auprès du service financier de l’État français et contraint la conduite de la politique monétaire de la BEAC et de la BCEAO. En tant que mécanisme clé de la zone, la garantie de convertibilité détermine la politique monétaire à travers le niveau des réserves exigés et, de ce fait, encadre la création monétaire au sein des deux zones économique et monétaire.
L’objectif principal de la politique monétaire dans les deux zones est la stabilité des prix mais les statuts des deux banques centrales précisent que sans préjudice à cet objectif, la BEAC et la BCEAO peuvent intervenir pour soutenir l’activité économique. Sur le plan des accords monétaires avec la France, si la couverture de l’émission est inférieure à 20%, il faudra augmenter sensiblement les taux directeurs des banques centrales dans les trois mois consécutifs. Donc la défense du taux de change passe par des taux d’intérêt élevés. Cette politique est contreproductive car elle limite l’accès au crédit dans la zone, compromet toute possibilité de croissance élevée et remet en cause toute poursuite des objectifs de développement fixé par les différents gouvernements dans leur programme d’émergence.
Il est clair que cette stratégie de politique monétaire imposant un écart positif entre les taux d’intérêt des pays africains de la zone franc et ceux de la zone Euro pour stabiliser le taux de change est une stratégie qui donne en pratique la priorité à la défense de la valeur externe de la monnaie au détriment des objectifs internes des banques centrales. Par ces accords contraignants de domination monétaire, la BCEAO et la BEAC perdent tout contrôle sur leur politique monétaire. Le maintien de la parité fixe avec l’Euro en tout temps nécessite, pour la zone franc CFA, des taux d'intérêt beaucoup plus élevés que ceux de la BCE afin de contrer les pressions à la baisse sur les FCFA causées par la faiblesse des recettes d'exportation.
Dans la pratique, ces niveaux élevés de taux vont réduire l’accès au crédit et ralentir la croissance économique. Face à une telle situation, l’absence d’autonomie de la politique monétaire conduite par les deux banques centrales aurait pu être compensée au moins, en partie, par un système bancaire solide maîtrisé par les nationaux et au service du financement de l’économie.
Contrairement à ce que soutiennent les défenseurs du système CFA, la fixité du taux de change ne peut pas protéger la zone franc CFA contre l’instabilité des marchés mondiaux de produits de base, assurer un développement du commerce communautaire, une forte croissance, contre l’évolution conjoncturelle de la demande des pays développés. La faiblesse du commerce communautaire peut s’expliquer en partie par les contraintes de domination imposées dès le départ par la création de deux monnaies à acronymes identiques mais non convertibles directement, la spécialisation des économies sur la production de produits de base, et les accords de domination monétaire.
Pour un commerçant sénégalais qui vend un bien au Cameroun par exemple, l’importateur camerounais ne pourra pas payer directement son vendeur sénégalais en FCFA CEMAC. Il aura besoin de convertir son FCFA de l’Afrique Centrale en Euro d’abord puis en FCFA UEMOA. Cette contrainte de convertibilité réduit en partie toute chance de développement du commerce au sein de la zone Franc FCFA. Il est aussi impossible d’échanger des FCFA contre des Euro en Europe auprès de n’importe quelle banque ou bureau de change, même auprès de la Banque de France. Ce qui montre clairement que la convertibilité du FCFA n’est pas illimitée et automatique à l’intérieur de la zone Franc dont la France est membre. En pratique le FCFA est convertible mais géographiquement en Afrique.
Les anti-CFA, eux, s’appuient sur les inconvénients d’un ancrage qui apprécie le FCFA. Un Euro qui s’apprécie déprime nos maigres exportations en l’absence de croissance de la productivité. Dans ce cas, les pays CFA en quête de développement et structurellement faibles ne pourraient pas faire face à la concurrence des pays d’Asie et des économies émergentes dont les monnaies sont souvent dévaluées ou sous-évaluées. A l’opposé, pour les pro-CFA, une monnaie forte réduit le coût des importations. Donc si les autorités font le choix d’une économie importatrice à la place d’une économie de production et de transformation, il est préférable d’avoir un FCFA fort et mettre une croix sur tous programmes de développement visant à augmenter la production locale et les exportations.
Tant que cet ancrage fixe demeure et que l’Euro reste une monnaie forte, la zone FCFA subira les conséquences des choix politiques en Europe. Donc si l’Euro continue de s’apprécier très fortement par rapport au dollar US et les autres grandes devises comme le Yen et le Yuan, les pays membres de la zone Franc doivent s’attendre à ce que le FCFA fasse l’objet de diverses pressions comme c’est le cas actuellement en Afrique centrale en raison de sa compétitivité réduite et des crises budgétaires.
La fixité du taux de change n’élimine donc pas complètement le risque de change, comme le soulignent certains défenseurs du FCFA. Le fait de ne pas avoir la même monnaie au sein de la zone monétaire Franc-Euro entraîne bel et bien des coûts même si le taux de change est fixe. La prime de risque est incorporée aux taux d’intérêt nationaux de la zone FCFA qui a le poids économique le plus faible. C’est pour cela d’ailleurs que les taux d'intérêt dans la zone Franc CFA devraient être constamment supérieurs aux taux de la BCE pour compenser ce risque.
Même si le système FCFA présente des avantages de stabilité, il est nettement prouvé par beaucoup d’analystes que les inconvénients qu’un tel système présente sont préjudiciables au fonctionnement des économies nationales et à la croissance. Cette absence de gain économique et social de la zone franc pousse certains à demander une sortie du franc CFA et la création d’une nouvelle monnaie autour des pays membres de la CEDEAO, une modification complète du régime de change fixe en un autre régime de change plus flexible. Des voix se sont élevées pour réclamer un régime de changes flottants par rapport à une monnaie autre que l’Euro, d’autres pour un ancrage à un panier de monnaies.
L'argument le plus souvent évoqué par certains économistes en faveur d'un taux de change flottant est qu'il donnerait aux pays membres de la zone Franc CFA la possibilité de mener une politique monétaire indépendante. Cela est tout à fait vrai mais il ne règle en rien la question des choix économiques à mettre en place car avec un taux de change flottant, on peut toujours poursuivre le même objectif d’inflation bas et stable. Le réel avantage que peut nous procurer un taux de change flottant est l’obtention de conditions monétaires adaptées à notre propre situation économique. Grâce au flottement des FCFA, la zone Franc sera capable de réagir non seulement aux chocs extérieurs asymétriques mais également de tenir compte des différences entre les politiques économiques nationales si elle disposait d’un marché interbancaire des changes solide.
Cependant, il faut noter que ce raisonnement économique favorable à l’adoption d’un régime de change flottant ne peut être obtenu que si le pays qui l’adopte dispose d’un système bancaire solide, d’un bon fonctionnement du marché interbancaire des changes, d’une dépendance moins importante aux importations. Or dans les pays de la zone Franc CFA, le système bancaire n’est pas développé et le marché des changes n’existe pas. Donc avant toute modification du régime de change actuel, il faudra s’assurer de l’existence d’un secteur financier solide et bien développé.
Ce sont des préalables importants à l’adoption d’un régime de changes flottants sinon une modification du régime de change en flottement pur pourrait nuire aux économies de la zone CFA. Les exemples du Nigéria et du Ghana sont des cas concrets. L’absence de marchés financiers profonds et d’un système bancaire solide empêchent à ces deux géants de la CEDEAO de soutenir le régime de change flottant. Ils se retrouvent avec une monnaie qui s’est beaucoup dépréciée et des taux d’inflation en hausse (18,45% pour le Nigéria et 14% pour le Ghana). Leur banque centrale n’a pas le choix de mener dans ce cas une politique des taux d’intérêt élevés afin de lutter contre cette inflation excessive même si l’économie est en phase de contraction.
Donc tant que nos économies restent importatrices, les avantages d’un régime de change fixes l’emportent sur ceux d’un régime de change flottant. Il serait très risqué de changer la nature du régime de change actuel sans au préalable changer les structures productives, financières des économies, mettre en place les institutions nécessaires à la gestion du nouveau régime de change.
Toutes les questions posées aujourd’hui par les populations sont d’un grand intérêt et suffisent à justifier la tenue d’un débat public neutre afin de réfléchir en commun sur les décisions concernant le fonctionnement des deux zones monétaires. Si l’objectif des Banques centrales est de garantir une meilleure stabilité externe de la monnaie et éliminer, en même temps, les pressions sur l’inflation, il faudra réfléchir sérieusement sur le régime de change le plus adapté à nos économies et sur les réformes à mettre en place pour améliorer la gouvernance économique, les structures productives et financières.
Ce n’est pas parce que le FCFA peut s’apprécier en termes réels ou est une monnaie coloniale que des voix doivent s’élever pour son bannissement pur et simple au profit d’une monnaie africaine ou d’une monnaie de la CEDEAO. Le mal des pays africains de la zone CFA ne se trouve pas uniquement sur la monnaie. Le problème est beaucoup plus complexe et nécessite une analyse profonde et de la rigueur. Même si on sortait définitivement de ce système, il faut noter que le développement ne se ferait pas le lendemain par un coup de baguette magique car tout est à reconstruire dans nos pays.
Le débat, aujourd’hui, est très mal posé et les solutions préconisées par les activistes panafricanistes sont le plus souvent dictées par un certain nationalisme haineux qui l’emporte sur la raison. Une sortie mal pensée et sans les institutions capables de faire fonctionner le nouveau système monétaire risque de poser de très sérieux problèmes. La monnaie de la CEDEAO n’est pas non plus une solution d’urgence. Au sein de cette union monétaire autour de la CEDEAO, le système monétaire qui va prévaloir sera celui du pays qui domine économiquement, à savoir le Nigeria.
A mon avis, la meilleure solution pour l’instant serait de mettre en place des réformes qui nous libèreraient des accords de domination monétaire qui fondent tout système monétaire autour des FCFA et de demeurer au sein des unions économiques et monétaires avec des banques centrales qui émettent des FCFA convertibles en changes fixes entre elles. Nous disposons de personnels qualifiés et d’infrastructures solides au sein de la BCEAO pour définir et conduire la politique monétaire de manière autonome et responsable.
Rompre définitivement avec les accords monétaires de 1972 et de 1973 avec la France suffit largement comme un début d’indépendance dans le choix des politiques budgétaire et monétaire, ensuite nous pourrons discuter entre Africains de l’organisation du système monétaire sans la présence d’un représentant français qui est considéré comme un résidu colonial. Toute autre réflexion menant vers l’inconnu et l’incertain ou prônant une thérapie de choc se révélerait risquée au regard de la configuration des structures productives et bancaires, de la spécialisation des économies, de la gouvernance économique et financière, de l’État de droit, de l’absence d’institutions solides et performantes, et du niveau de pauvreté de nos économies.
Maintenant, on a désormais le choix entre les propositions d’un activisme émotionnel déraisonné et les mesures et réformes économiques dictées par la rationalité. La seule urgence qui vaille aujourd’hui c’est la sortie des accords de coopération monétaire de 1972 et de 1973, rien de plus.
Fodé Sira Sarr
Docteur en Sciences économiques
Le premier groupe favorable à la poursuite de la coopération monétaire avec la France considère le système CFA comme une aubaine car l’existence des zones monétaires africaines au sein de la zone Franc a permis aux pays membres d’avoir une discipline macroéconomique et une stabilité des prix comparativement à certains pays africains disposant de la souveraineté monétaire. Pour le second groupe, le système CFA maintient les pays africains de la CEMAC et de l’UEMOA dans une servitude monétaire volontaire qui appauvrit les pays. Il faut donc en sortir le plus vite possible et créer une nouvelle monnaie. Pour mieux comprendre ces prises de position, il est donc fondamental d’analyser l’impact des accords qui fondent tout le système CFA sur nos économies.
Selon les accords de 1972 et de 1973, la France, par le biais de son Trésor public, garantit théoriquement les FCFA contre un dépôt de la moitié des devises des pays de la zone Franc CFA dans les comptes du Trésor français. En règle générale, les réserves des pays sont gérées par une banque centrale. En confiant la gestion de la moitié de ses réserves au département chargé de trouver des fonds pour financer les dépenses publiques françaises, les deux banques centrales africaines se privent de la possibilité d’investir plus de 13 000 milliards de FCFA en bons du Trésor ou obligations émises par des pays étrangers. Comme toute institution rationnelle, le trésor français ne se privera pas de réinvestir ces devises en obligations étrangères rapportant suffisamment pour rémunérer les dépôts des pays africains.
Même si ces dépôts sont faibles par rapport aux besoins de l’économie française, personne ne peut nier les avantages qu’en tire la France. En quelque sorte, les pays africains financent depuis des années une partie du déficit de la France et c’est d’ailleurs pour cela que la France n’a jamais souhaité que la BCE garantisse les FCFA, ni laisser la BCEAO gérer ses propres devises. En cas de crise budgétaire dans la zone Franc, la France, avec ses déficits et son taux d’endettement élevé, ne pourra pas intervenir pour renflouer les caisses des États en difficultés. Il faudra comme en 1994 procéder à un ajustement interne qui, s’il s’avère insuffisant, aboutira à une dévaluation des FCFA.
Ainsi, nous pouvons affirmer avec certitude que cette garantie de convertibilité en contrepartie d’un dépôt de la moitié de nos devises dans les caisses du trésor français n’est que virtuelle, elle n’existe pas en pratique. Elle existe théoriquement mais en réalité ce sont les pays africains membres de la zone CFA qui garantissent eux-mêmes leur propre monnaie. La BCEAO peut bel et bien gérer sa propre monnaie puisqu’elle le fait indirectement, et s’affranchir de la servitude volontaire. Il est incompréhensible que nos pays acceptent la gestion de leurs réserves de changes par un trésor public et non une banque centrale comme c’est la tradition un peu partout dans le monde. C’est pour cela que les accords de coopération avec le Trésor français devraient être qualifiés d’accords budgétaires.
L’obligation de couverture des engagements à vue de la banque centrale par 20% au moins des avoirs extérieurs reste le critère le plus déterminant des accords de coopération. Elle permet la centralisation des réserves auprès du service financier de l’État français et contraint la conduite de la politique monétaire de la BEAC et de la BCEAO. En tant que mécanisme clé de la zone, la garantie de convertibilité détermine la politique monétaire à travers le niveau des réserves exigés et, de ce fait, encadre la création monétaire au sein des deux zones économique et monétaire.
L’objectif principal de la politique monétaire dans les deux zones est la stabilité des prix mais les statuts des deux banques centrales précisent que sans préjudice à cet objectif, la BEAC et la BCEAO peuvent intervenir pour soutenir l’activité économique. Sur le plan des accords monétaires avec la France, si la couverture de l’émission est inférieure à 20%, il faudra augmenter sensiblement les taux directeurs des banques centrales dans les trois mois consécutifs. Donc la défense du taux de change passe par des taux d’intérêt élevés. Cette politique est contreproductive car elle limite l’accès au crédit dans la zone, compromet toute possibilité de croissance élevée et remet en cause toute poursuite des objectifs de développement fixé par les différents gouvernements dans leur programme d’émergence.
Il est clair que cette stratégie de politique monétaire imposant un écart positif entre les taux d’intérêt des pays africains de la zone franc et ceux de la zone Euro pour stabiliser le taux de change est une stratégie qui donne en pratique la priorité à la défense de la valeur externe de la monnaie au détriment des objectifs internes des banques centrales. Par ces accords contraignants de domination monétaire, la BCEAO et la BEAC perdent tout contrôle sur leur politique monétaire. Le maintien de la parité fixe avec l’Euro en tout temps nécessite, pour la zone franc CFA, des taux d'intérêt beaucoup plus élevés que ceux de la BCE afin de contrer les pressions à la baisse sur les FCFA causées par la faiblesse des recettes d'exportation.
Dans la pratique, ces niveaux élevés de taux vont réduire l’accès au crédit et ralentir la croissance économique. Face à une telle situation, l’absence d’autonomie de la politique monétaire conduite par les deux banques centrales aurait pu être compensée au moins, en partie, par un système bancaire solide maîtrisé par les nationaux et au service du financement de l’économie.
Contrairement à ce que soutiennent les défenseurs du système CFA, la fixité du taux de change ne peut pas protéger la zone franc CFA contre l’instabilité des marchés mondiaux de produits de base, assurer un développement du commerce communautaire, une forte croissance, contre l’évolution conjoncturelle de la demande des pays développés. La faiblesse du commerce communautaire peut s’expliquer en partie par les contraintes de domination imposées dès le départ par la création de deux monnaies à acronymes identiques mais non convertibles directement, la spécialisation des économies sur la production de produits de base, et les accords de domination monétaire.
Pour un commerçant sénégalais qui vend un bien au Cameroun par exemple, l’importateur camerounais ne pourra pas payer directement son vendeur sénégalais en FCFA CEMAC. Il aura besoin de convertir son FCFA de l’Afrique Centrale en Euro d’abord puis en FCFA UEMOA. Cette contrainte de convertibilité réduit en partie toute chance de développement du commerce au sein de la zone Franc FCFA. Il est aussi impossible d’échanger des FCFA contre des Euro en Europe auprès de n’importe quelle banque ou bureau de change, même auprès de la Banque de France. Ce qui montre clairement que la convertibilité du FCFA n’est pas illimitée et automatique à l’intérieur de la zone Franc dont la France est membre. En pratique le FCFA est convertible mais géographiquement en Afrique.
Les anti-CFA, eux, s’appuient sur les inconvénients d’un ancrage qui apprécie le FCFA. Un Euro qui s’apprécie déprime nos maigres exportations en l’absence de croissance de la productivité. Dans ce cas, les pays CFA en quête de développement et structurellement faibles ne pourraient pas faire face à la concurrence des pays d’Asie et des économies émergentes dont les monnaies sont souvent dévaluées ou sous-évaluées. A l’opposé, pour les pro-CFA, une monnaie forte réduit le coût des importations. Donc si les autorités font le choix d’une économie importatrice à la place d’une économie de production et de transformation, il est préférable d’avoir un FCFA fort et mettre une croix sur tous programmes de développement visant à augmenter la production locale et les exportations.
Tant que cet ancrage fixe demeure et que l’Euro reste une monnaie forte, la zone FCFA subira les conséquences des choix politiques en Europe. Donc si l’Euro continue de s’apprécier très fortement par rapport au dollar US et les autres grandes devises comme le Yen et le Yuan, les pays membres de la zone Franc doivent s’attendre à ce que le FCFA fasse l’objet de diverses pressions comme c’est le cas actuellement en Afrique centrale en raison de sa compétitivité réduite et des crises budgétaires.
La fixité du taux de change n’élimine donc pas complètement le risque de change, comme le soulignent certains défenseurs du FCFA. Le fait de ne pas avoir la même monnaie au sein de la zone monétaire Franc-Euro entraîne bel et bien des coûts même si le taux de change est fixe. La prime de risque est incorporée aux taux d’intérêt nationaux de la zone FCFA qui a le poids économique le plus faible. C’est pour cela d’ailleurs que les taux d'intérêt dans la zone Franc CFA devraient être constamment supérieurs aux taux de la BCE pour compenser ce risque.
Même si le système FCFA présente des avantages de stabilité, il est nettement prouvé par beaucoup d’analystes que les inconvénients qu’un tel système présente sont préjudiciables au fonctionnement des économies nationales et à la croissance. Cette absence de gain économique et social de la zone franc pousse certains à demander une sortie du franc CFA et la création d’une nouvelle monnaie autour des pays membres de la CEDEAO, une modification complète du régime de change fixe en un autre régime de change plus flexible. Des voix se sont élevées pour réclamer un régime de changes flottants par rapport à une monnaie autre que l’Euro, d’autres pour un ancrage à un panier de monnaies.
L'argument le plus souvent évoqué par certains économistes en faveur d'un taux de change flottant est qu'il donnerait aux pays membres de la zone Franc CFA la possibilité de mener une politique monétaire indépendante. Cela est tout à fait vrai mais il ne règle en rien la question des choix économiques à mettre en place car avec un taux de change flottant, on peut toujours poursuivre le même objectif d’inflation bas et stable. Le réel avantage que peut nous procurer un taux de change flottant est l’obtention de conditions monétaires adaptées à notre propre situation économique. Grâce au flottement des FCFA, la zone Franc sera capable de réagir non seulement aux chocs extérieurs asymétriques mais également de tenir compte des différences entre les politiques économiques nationales si elle disposait d’un marché interbancaire des changes solide.
Cependant, il faut noter que ce raisonnement économique favorable à l’adoption d’un régime de change flottant ne peut être obtenu que si le pays qui l’adopte dispose d’un système bancaire solide, d’un bon fonctionnement du marché interbancaire des changes, d’une dépendance moins importante aux importations. Or dans les pays de la zone Franc CFA, le système bancaire n’est pas développé et le marché des changes n’existe pas. Donc avant toute modification du régime de change actuel, il faudra s’assurer de l’existence d’un secteur financier solide et bien développé.
Ce sont des préalables importants à l’adoption d’un régime de changes flottants sinon une modification du régime de change en flottement pur pourrait nuire aux économies de la zone CFA. Les exemples du Nigéria et du Ghana sont des cas concrets. L’absence de marchés financiers profonds et d’un système bancaire solide empêchent à ces deux géants de la CEDEAO de soutenir le régime de change flottant. Ils se retrouvent avec une monnaie qui s’est beaucoup dépréciée et des taux d’inflation en hausse (18,45% pour le Nigéria et 14% pour le Ghana). Leur banque centrale n’a pas le choix de mener dans ce cas une politique des taux d’intérêt élevés afin de lutter contre cette inflation excessive même si l’économie est en phase de contraction.
Donc tant que nos économies restent importatrices, les avantages d’un régime de change fixes l’emportent sur ceux d’un régime de change flottant. Il serait très risqué de changer la nature du régime de change actuel sans au préalable changer les structures productives, financières des économies, mettre en place les institutions nécessaires à la gestion du nouveau régime de change.
Toutes les questions posées aujourd’hui par les populations sont d’un grand intérêt et suffisent à justifier la tenue d’un débat public neutre afin de réfléchir en commun sur les décisions concernant le fonctionnement des deux zones monétaires. Si l’objectif des Banques centrales est de garantir une meilleure stabilité externe de la monnaie et éliminer, en même temps, les pressions sur l’inflation, il faudra réfléchir sérieusement sur le régime de change le plus adapté à nos économies et sur les réformes à mettre en place pour améliorer la gouvernance économique, les structures productives et financières.
Ce n’est pas parce que le FCFA peut s’apprécier en termes réels ou est une monnaie coloniale que des voix doivent s’élever pour son bannissement pur et simple au profit d’une monnaie africaine ou d’une monnaie de la CEDEAO. Le mal des pays africains de la zone CFA ne se trouve pas uniquement sur la monnaie. Le problème est beaucoup plus complexe et nécessite une analyse profonde et de la rigueur. Même si on sortait définitivement de ce système, il faut noter que le développement ne se ferait pas le lendemain par un coup de baguette magique car tout est à reconstruire dans nos pays.
Le débat, aujourd’hui, est très mal posé et les solutions préconisées par les activistes panafricanistes sont le plus souvent dictées par un certain nationalisme haineux qui l’emporte sur la raison. Une sortie mal pensée et sans les institutions capables de faire fonctionner le nouveau système monétaire risque de poser de très sérieux problèmes. La monnaie de la CEDEAO n’est pas non plus une solution d’urgence. Au sein de cette union monétaire autour de la CEDEAO, le système monétaire qui va prévaloir sera celui du pays qui domine économiquement, à savoir le Nigeria.
A mon avis, la meilleure solution pour l’instant serait de mettre en place des réformes qui nous libèreraient des accords de domination monétaire qui fondent tout système monétaire autour des FCFA et de demeurer au sein des unions économiques et monétaires avec des banques centrales qui émettent des FCFA convertibles en changes fixes entre elles. Nous disposons de personnels qualifiés et d’infrastructures solides au sein de la BCEAO pour définir et conduire la politique monétaire de manière autonome et responsable.
Rompre définitivement avec les accords monétaires de 1972 et de 1973 avec la France suffit largement comme un début d’indépendance dans le choix des politiques budgétaire et monétaire, ensuite nous pourrons discuter entre Africains de l’organisation du système monétaire sans la présence d’un représentant français qui est considéré comme un résidu colonial. Toute autre réflexion menant vers l’inconnu et l’incertain ou prônant une thérapie de choc se révélerait risquée au regard de la configuration des structures productives et bancaires, de la spécialisation des économies, de la gouvernance économique et financière, de l’État de droit, de l’absence d’institutions solides et performantes, et du niveau de pauvreté de nos économies.
Maintenant, on a désormais le choix entre les propositions d’un activisme émotionnel déraisonné et les mesures et réformes économiques dictées par la rationalité. La seule urgence qui vaille aujourd’hui c’est la sortie des accords de coopération monétaire de 1972 et de 1973, rien de plus.
Fodé Sira Sarr
Docteur en Sciences économiques