Tout juste nommé, le nouveau premier ministre français Michel Barnier a essuyé samedi les tirs croisés de la gauche, qui avait appelé à manifester pour dénoncer « un coup de force », et de l’extrême droite, qui dit le placer « sous surveillance ».
C’est le baptême du feu pour Michel Barnier, 73 ans, ex-négociateur en chef de l’Union européenne pour le Brexit et membre du parti de droite Les Républicains, finalement choisi par le président Emmanuel Macron pour former le prochain gouvernement, près de deux mois après les législatives et au terme d’un long suspense.
Quelques jours après sa nomination, il a dû faire face à des manifestations à l’appel de La France insoumise (gauche radicale), notamment à Paris où un cortège a réuni 26 000 personnes selon la police, 160 000 selon les organisateurs.
Samedi soir, les autorités ont recensé 110 000 manifestants dans le pays, contre 300 000 selon les initiateurs du mouvement.
La colère était d’abord tournée contre Emmanuel Macron et son « coup de force démocratique », selon les mots des initiateurs de la marche, furieux de ne pas voir nommée à Matignon Lucie Castets, candidate d’une gauche unie au sein du Nouveau Front Populaire, forte de 193 députés et arrivée en tête des législatives.
Aucune majorité absolue ne s’est néanmoins dégagée du scrutin anticipé de juillet, laissant l’Assemblée nationale divisée en trois blocs : gauche, centre droit et extrême droite.
« La démocratie, ce n’est pas seulement l’art d’accepter d’avoir gagné, c’est aussi l’humilité d’accepter de perdre », a lancé le patriarche Insoumis Jean-Luc Mélenchon à l’adresse d’Emmanuel Macron, juché sur un camion dans le cortège de la capitale.
« Ce que Macron nous offre ce n’est pas une cohabitation, c’est une provocation », a tancé sur BFMTV la cheffe des écologistes Marine Tondelier, promettant de ne pas se « résigner », depuis le rassemblement de Lille (Nord) — l’un des 150 revendiqués dans le pays.
Geneviève, une retraitée de 68 ans défilant dans les rues de Marseille (Sud-Est), s’est dite indignée d’un « énorme déni de démocratie qui sature la population ». « On ne se sent pas entendu depuis des mois, ce n’est plus possible ».
Les grandes centrales syndicales et le Parti socialiste (PS) n’avaient pas relayé l’appel à manifester samedi.
La présidence française a assuré que le choix de Michel Barnier avait été dicté par sa capacité à « rassembler le plus largement » dans un paysage politique morcelé.
Mais dans le cortège parisien, Alexandra Germain, 44 ans, cheffe de projet, se montrait amère : « c’est une dictature qui se met en place ».
« Sous surveillance »
La pression n’est pas venue que de la gauche samedi. Le président du Rassemblement national (RN, extrême droite) Jordan Bardella a exigé de M. Barnier que « les sujets du Rassemblement national » soient pris en compte par un futur gouvernement étiqueté comme « fragile ».
Si le RN a jusque-là fait savoir qu’il jugerait M. Barnier « sur pièces », et n’entendait pas tenter de le renverser à l’Assemblée nationale avant de connaître le contenu de son programme, le ton s’est durci, le parti exploitant son contingent de 126 députés (142 avec ses alliés).
« Nous aurons sans doute un rôle d’arbitre dans les prochains mois et à compter d’aujourd’hui », a rappelé le chef du RN.
« Je crois qu’à compter de ce jour, M. Barnier est un premier ministre sous surveillance […] d’un parti politique qui est désormais incontournable dans le jeu parlementaire », a-t-il ajouté, tout en assurant plus tard sur TF1 ne pas vouloir participer « au désordre institutionnel et au chaos démocratique ».
« Moi, je suis sous la surveillance de tous les Français », a rétorqué M. Barnier en marge de son premier déplacement en tant que chef du gouvernement, à l’hôpital Necker à Paris.
À l’adresse de la gauche, il a récusé les mots de « coup de force, qu’il n’a pas lieu de prononcer ». « On n’est pas dans cet état d’esprit là : l’esprit, c’est de rassembler autour d’un projet d’action gouvernementale », a-t-il encore plaidé. [AFP]