Pour la première fois, le budget de l'Etat français prévoit six millions d'euros pour "restituer" à des populations de pays étrangers des avoirs saisis dans des affaires de "biens mal acquis" par leurs dirigeants. Mais la somme, modeste, risque de ne pas être utilisée en 2024.
Poussé par des ONG, le Parlement a créé en 2021 ce mécanisme de "restitution". La ligne budgétaire était cependant restée vide jusqu'à ce projet de loi de finances 2024.
Cette fois, 6,1 millions d'euros de crédits proviennent de la vente d'avoirs saisis dans l'affaire Teodoro Nguema Obiang Mangue, surnommé "Teodorin", vice-président de Guinée équatoriale et fils aîné du chef de l'Etat de ce petit pays pétrolier d'Afrique centrale.
Teodorin Obiang a été définitivement condamné en juillet 2021 par la justice française à trois ans de prison avec sursis et 30 millions d'euros d'amende dans le cadre d'un procès pour "biens mal acquis".
La somme correspond à "la vente de biens meubles corporels de luxe", indique à l'AFP l'Agrasc, l'agence chargée de la gestion et du recouvrement des avoirs saisis et confisqués.
Mais le plus dur reste à faire. Le mécanisme de restitution prévoit de financer, après un dialogue avec les autorités, des projets de développement dans le pays concerné, en lien avec des ONG locales.
En Guinée équatoriale, "la difficulté saute aux yeux", convient le député Marc Le Fur (Les Républicains, droite), dans un rapport consacré à l'aide publique au développement. "M. Obiang est toujours vice‑président et son père, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, a été réélu à la tête du pays avec un score officiel triomphal de 94,9% en novembre 2022, pour un sixième mandat".
"Parvenir à rétrocéder à bon escient une somme issue d'avoirs confisqués à la famille Obiang, alors que le régime équato-guinéen (...) fait partie des plus fermés au monde, relève de la gageure", glisse-t-il dans un euphémisme.
- "Pas débuté" -
Interrogée par l'AFP, une source diplomatique indique que "le dialogue avec les autorités équato-guinéennes pour l'allocation de cette somme (...) n'a pas encore formellement débuté, dans l'attente" de l'adoption définitive du budget avant Noël.
Et il faudrait s'appuyer sur des partenaires fiables sur le terrain, alors que nombre de militants associatifs reconnus par les ONG vivent en expatriation.
Selon une circulaire signée par la Première ministre française Elisabeth Borne en novembre 2022, au bout d'un délai de deux ans, s'il n'y a pas d'accord avec le pays concerné, la France peut décider seule des modalités de restitution sur place.
Chez l'ONG Transparency, qui a poussé pour la création du dispositif, "on est préparé" à ce que la restitution ne soit "pas exécutée en 2024. Il ne faut pas se précipiter. L'existence même de la ligne budgétaire est une bonne nouvelle", dit son porte-parole Benjamin Guy.
Mais avec six millions d'euros, "on est très loin du compte des biens mal acquis confisqués en France". Pour la Guinée équatoriale, "il y a l'hôtel particulier de l'avenue Foch" à Paris, qui a été confisqué, "mais où la Guinée équatoriale a installé son ambassade", rappelle-t-il, pointant une situation diplomatique "épineuse".
Les restitutions pourraient aussi concerner d'autres pays à l'avenir.
"Des ventes de biens immobiliers sont en cours et d'autres sont prévues dans le dossier al-Assad", relève l'Agrasc. Oncle du dirigeant syrien Bachar al-Assad, Rifaat al-Assad a été définitivement condamné en France en septembre 2022 à quatre ans de prison pour s'être bâti frauduleusement un patrimoine évalué à 90 millions d'euros.
Dans cette affaire, l'Agrasc mentionne des "cessions en cours d'un petit hôtel particulier avenue de Lamballe" dans le très chic 16e arrondissement de Paris et de "deux tours de bureaux à Lyon" (centre-Est).
Là encore, les discussions diplomatiques s'annoncent délicates si une restitution s'engage.
A ce stade, "l'importance politique du programme" de "restitution des +biens mal acquis+ semble inversement proportionnelle à sa dotation budgétaire", commente le député Marc Le Fur. [AFP]