Frappes aériennes sur des migrants à Tripoli : «Des corps, du sang et des bouts de chair partout»

Mercredi 3 Juillet 2019

Tout autour de moi, c'était un massacre». Sur son lit d'hôpital à Tripoli, Al-Mahdi dit avoir échappé «par miracle» à la mort, au lendemain de la frappe aérienne ayant touché de plein fouet un hangar où il était détenu avec 120 autres migrants.
 
«Il y avait des cadavres, du sang et des morceaux de chair partout», raconte mercredi ce Marocain de 26 ans qui s'en sort avec une blessure.
 
Al-Mahdi Hafyan explique qu'un morceau métallique du toit lui a transpercé la cuisse droite.
«Nous avons eu de la chance. Nous étions au fond du hangar», lance à côté de lui un compatriote qui est sorti indemne. «Ce n'est pas le mien», dit-il à propos du sang qui macule son t-shirt.
 
Après l'horreur qu'ils ont vécue, les deux hommes, venus ensemble en Libye pour tenter la traversée de la Méditerranée vers l'Europe, ont déjà un autre souci en tête: comment quitter l'hôpital pour ne pas être reconduit dans un autre centre de détention.
 
«Portes fermées»
 
«Nous voulons sortir d'ici (de l'hôpital), sinon nous allons être emprisonnés de nouveau. Nous voulons rentrer chez nous», martèle Al-Mahdi Hafyan, qui affirme avoir été détenu trois mois dans le centre de migrants de Tajoura, près de la capitale libyenne Tripoli.
 
Dehors dans le couloir, le personnel médical semble débordé.
«Ici c'est seulement pour les gens bombardés par Haftar. Les autres (patients) c'est de l'autre côté», lance un médecin à des patients libyens qui bloquent le passage dans le couloir.
Le docteur fait allusion au maréchal Khalifa Haftar, dont les forces sont accusées par leurs rivales du Gouvernement d'union nationale (GNA) basé à Tripoli, d'avoir mené la frappe contre le centre de migrants.
 
Selon l'ONU, au moins 44 migrants ont été tués et une centaine blessés dans ce centre où étaient détenus quelques 600 migrants, la plupart africains.
 
Ce vaste complexe pénitencier compte plusieurs bâtiments, dont cinq hangars où étaient entassés les migrants qui dormaient lorsque la première frappe a visé un bâtiment à proximité.
«Nous avons eu peur. Nous voulions sortir mais les portes étaient fermées», témoigne Abdelaziz Hussein, un Soudanais.
 
«Un quart d'heure plus tard, une deuxième frappe a touché le hangar N°3. Moi j'étais dans le N°5. C'est là qu'ils (les gardes) nous ont ouvert les portes», raconte ce quadragénaire.
Dans le bâtiment N°3, l'explosion a laissé un cratère de trois mètres de diamètre et un mètre de profondeur. Autour, se mêlent morceaux de ferrailles, débris, vêtements, chaussures, matelas et couvertures maculés de sang.
 
Visiblement sous le choc quelques heures après la frappe, les survivants préfèrent désormais rester à l'extérieur des hangars malgré un soleil de plomb. Les autorités n'ont pas fait évacuer le centre de Tajoura après le drame, des centaines de migrants s'y trouvent encore mercredi.
 
«Constamment en danger»
 
Selon Abdelaziz, un réfugié soudanais, le centre avait pourtant été déjà la cible de raids aériens en mai, dans lequel des migrants avaient été blessés.
 
«Nous sommes constamment en danger», dit-il, affirmant avoir perdu neuf amis dans le raid de mardi soir: des Soudanais de la région du Darfour, en proie à la guerre, qui étaient venus en Libye pour échapper comme lui aux violences dans leur pays.
 
«Ce que nous avons vu hier soir est horrible. Des cadavres, des corps démembrés, des blessés qui saignent. Il y a avait du sang partout».
 
Abdelaziz s'en prend au Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). «S'ils sont morts, c'est à cause du HCR qui n'arrête pas de nous promettre de sortir d'ici».
«Je suis enregistré (comme réfugié) par le HCR. Je suis là depuis trois ans à attendre qu'on me trouve un pays» d'accueil.
 
Radhouan Abdallah n'a que 17 ans. Il est du Darfour aussi. Tajoura, c'est son cinquième centre de détention.
 
«On m'a arrêté à Sabratha (ouest) le 26 octobre 2017. Depuis, on m'a transféré de centre en centre».
 
Son salut, dit-il, c'est que le HCR lui trouve un pays d'accueil. «Si je sors d'ici, je n'ai nulle part où aller (...) Je risque d'être arrêté de nouveau, torturé ou tué», ajoute-t-il. (afp/nxp)
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