Yaya Jammeh, en janvier 2017 lors de son départ en exile en Guinée Equatoriale
(Banjul, le 12 mars 2021) – « Les témoignages devant la commission de vérité gambienne mettant en cause l'ancien président Yahya Jammeh dans l'exécution sommaire en 2005 de quelque 59 migrants ouest-africains devraient conduire à l’établissement des responsabilités pénales, ont déclaré Human Rights Watch et TRIAL International aujourd'hui.
Du 24 février au 11 mars, les témoins se sont succédé devant la Commission Vérité, Réconciliation et Réparations (TRRC) gambienne. Selon eux, les migrants qui voulaient se rendre en Europe, en provenance du Congo, de la Côte d'Ivoire, du Ghana, du Liberia, du Nigeria, du Sénégal, de la Sierra Leone et du Togo, ainsi que leur intermédiaire gambien, ont été détenus par des hauts responsables des services de sécurité de Jammeh avant d’être pour la plupart assassinés par les « Junglers », une unité militaire tristement célèbre, qui recevait ses ordres directement de l’ex-président.
« Des sources bien renseignées ont impliqué Yahya Jammeh dans le meurtre de citoyens de neuf pays d'Afrique de l'Ouest », a déclaré Reed Brody, conseiller juridique à Human Rights Watch. « Tous ces pays, le Sénégal comme la Gambie, le Ghana, le Nigeria et les autres États concernés, devraient soutenir une enquête pénale et, le cas échéant, la poursuite de Jammeh et d'autres individus responsables du massacre des migrants et d'autres crimes graves commis par son gouvernement. »
Au cours de leur enquête de 2018, Human Rights Watch et TRIAL International ont rassemblé un grand nombre d'informations sur le massacre. Ces informations n'avaient jusqu'alors jamais été exposées publiquement ou racontées en une seule fois. Voici ce que les deux organisations ont relevé comme étant particulièrement important.
Le nombre exact de migrants tués n'est toujours pas connu. Gibril Ngorr Secka, ancien directeur des opérations de l'Agence nationale de renseignement (National Intelligence Agency, NIA), a présenté à la TRRC une liste de 51 personnes établie dans un poste de police, parmi lesquelles des citoyens du Ghana (39), de la Sierra Leone (3), du Togo (2), de Côte d'Ivoire (2), du Sénégal (2), du Liberia (1), du Nigeria (1) et du Congo (1). Outre ces noms qui forment la première liste officielle de disparus, le groupe comprenait également d'autres migrants, dont huit Nigérians qui auraient été arrêtés et tués. Lors des audiences, les noms des trois migrants sénégalais ont été identifiés. Il s’agit de Mamadou Korka Diallo, Ismaïla Lakhoune et Pape Diouf.
Des témoins, dont l'ancien chef d'état-major de l’armée gambienne et d'anciens officiers supérieurs de la NIA ont déclaré que le chef de la police de l'époque, Ousman Sonko – actuellement détenu en Suisse et sous enquête pour crimes contre l'humanité – aurait informé Jammeh que des personnes avaient été appréhendées sur une plage près du port de Barra, situé en face de la capitale Banjul. Après avoir parlé avec Jammeh pendant plusieurs minutes, Sonko aurait donné l'ordre à des officiers de transporter les migrants, soupçonnés d'être des mercenaires, au quartier général de la marine à Banjul. Plusieurs témoins ont déclaré qu'il était clair que les hommes et les deux femmes étaient des migrants et non des mercenaires, car ils n'avaient ni armes ni rien de suspect. Selon ces témoins, tous les chefs des services de sécurité gambiens – de la police, de l'armée, de la marine, de la NIA et de la Garde Nationale – se seraient alors retrouvés au quartier général de la marine, ainsi que plusieurs « Junglers ». Ils auraient alors battu les migrants, les traitant « comme des animaux », à en croire le témoignage d'un officier. Les migrants auraient ensuite été répartis dans divers centres de détention autour de Banjul.
Les corps exposés de huit migrants ont été retrouvés le lendemain matin, le 23 juillet 2005, près de Ghanatown, juste à l'extérieur de Banjul. Selon Pa Amady Jallow, alors coordinateur de la cellule anti-criminalité, les corps présentaient des signes de mauvais traitements ; leurs crânes avaient été fracturés, le sang et la cervelle suintaient des plaies ouvertes. Jallow a déclaré que lorsqu'il a rapporté cette information au chef de la police Ousman Sonko, ce dernier semblait ne pas être intéressé et a raccroché le téléphone à trois reprises, avant que son adjoint n'informe Jallow qu'il était transféré à la circulation avec effet immédiat. Jallow a également déclaré avoir été informé des années plus tard par un autre officier de police que neuf autres Nigérians avaient été enterrés dans une fosse commune près de l'endroit où Jallow avait vu les corps exposés. La TRRC a déclaré qu'elle avait l'intention d'effectuer des recherches sur ce site.
En juillet 2019, trois anciens Junglers ont témoigné devant la TRRC qu'ils avaient, avec 12 autres Junglers, exécuté les migrants restants sur ordre de Jammeh. Ce sont ainsi entre 40 et 45 personnes qui ont été exécutées et jetées dans un puits dans la région sénégalaise de Casamance, près de Kanilai, le village natal de Jammeh. Selon l'un des officiers, Omar Jallow, Solo Bojang, le Jungler qui dirigeait l’opération, a dit à ses hommes que « ces personnes sont des mercenaires, l'ordre de ... Jammeh est de tous les exécuter ». Plusieurs autres témoignages confirment que les Junglers étaient sous le contrôle direct de l'ancien président. Comme le résume Alieu Jeng, un ancien Jungler, « Je ne pense pas qu'il y ait eu quoi que ce soit que l'équipe ait fait qui n'ait pas été l'ordre de Yahya Jammeh. »
L'ancien ministre de l'Intérieur, Baboucarr Jatta, a confirmé cette version des faits en acceptant l'affirmation du conseiller juridique principal de la TRRC, Essa Faal, selon laquelle les meurtres étaient une « exécution d'État, conduite par des soldats du palais présidentiel ». Jatta a déclaré qu'il pensait que les soldats avaient agi sous les ordres de Jammeh.
Les témoignages recueillis par la TRRC décrivent également les efforts persistants déployés pour dissimuler le crime, en particulier en amont de la mission d'enquête menée en 2008 par les Nations Unies et la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), lorsque le gouvernement gambien a nommé une task force ministérielle pour traiter avec les enquêteurs.
L'ancien chef d'état-major de l’armée gambienne Assan Sarr a déclaré qu’à l’arrivée de l'équipe d'enquête de l'ONU/CEDEAO en 2008, il a reçu l’ordre de ne pas « compromettre ou ternir l'image du pays ». Un officier de police de Barra a aussi déclaré que vers décembre 2005, Ousman Sonko lui aurait demandé de falsifier les écritures du poste de police de Barra du 22 juillet 2005, lorsque les migrants avaient été initialement arrêtés. Des copies du registre où l'entrée du 22 juillet a été supprimée ont été présentées à la TRRC.
Les témoignages devant la TRRC corroborent les conclusions d'un rapport publié en 2018 par Human Rights Watch et TRIAL International, basé sur des entretiens avec 30 anciens responsables gambiens. « Maintenant que les informations que nous avions recueillies ont été confirmées, il est d'autant plus important que Jammeh soit appelé à faire face à ses responsabilités », a déclaré Emeline Escafit, conseillère juridique pour TRIAL International. « Le temps est maintenant venu de rendre justice aux victimes et à leurs familles. »
Les récents témoignages jettent un doute supplémentaire sur le rapport de l'ONU et de la CEDEAO, qui aurait conclu que le gouvernement gambien n'était pas « impliqué directement ou indirectement » dans les assassinats et les disparitions, et que des « éléments incontrôlés » au sein des services de sécurité gambiens, « agissant pour leur propre compte », en étaient responsables. Le rapport des Nations Unies et de la CEDEAO n'a cependant jamais été rendu public, malgré les demandes répétées des victimes et de cinq experts des Nations Unies.
Parmi les victimes qui ont témoigné devant la TRRC lors de la session qui s’achève, figurent le Ghanéen Martin Kyere, seul survivant connu des meurtres perpétrés le long de la frontière entre la Gambie et le Sénégal, ainsi qu’Adama Conteh, veuve de la victime gambienne Lamin Tunkara, et le Nigérian Kehinde Enagameh, dont le frère, Paul Omozemoje Enagameh, figurait parmi les personnes tuées selon une enquête menée par le Nigeria.
Depuis le début des audiences en janvier 2019, la commission vérité gambienne a également entendu des témoignages selon lesquels Jammeh serait impliqué dans des viols et agressions sexuelles , aurait forcé des Gambiens séropositifs à abandonner leurs traitement en faveur de celui qu’il proposait, était responsable d'avoir ordonné l'assassinat et la torture d'opposants politiques, ainsi que des « chasses aux sorcières » au cours desquelles des centaines de personnes étaient arbitrairement détenues. Jammeh vit en exil en Guinée équatoriale depuis son départ de Gambie en janvier 2017.
La TRRC, qui rendra son rapport en juillet 2021, est chargée « d'identifier les présumés responsables et de recommander des poursuites à l'encontre des personnes qui portent la plus haute responsabilité dans les violations et abus des droits humains ». Le gouvernement gambien devra ensuite décider de la suite à donner à ces recommandations. »
Source : Reed Brody, conseiller juridique à Human Right Watch (page Facebook)
Du 24 février au 11 mars, les témoins se sont succédé devant la Commission Vérité, Réconciliation et Réparations (TRRC) gambienne. Selon eux, les migrants qui voulaient se rendre en Europe, en provenance du Congo, de la Côte d'Ivoire, du Ghana, du Liberia, du Nigeria, du Sénégal, de la Sierra Leone et du Togo, ainsi que leur intermédiaire gambien, ont été détenus par des hauts responsables des services de sécurité de Jammeh avant d’être pour la plupart assassinés par les « Junglers », une unité militaire tristement célèbre, qui recevait ses ordres directement de l’ex-président.
« Des sources bien renseignées ont impliqué Yahya Jammeh dans le meurtre de citoyens de neuf pays d'Afrique de l'Ouest », a déclaré Reed Brody, conseiller juridique à Human Rights Watch. « Tous ces pays, le Sénégal comme la Gambie, le Ghana, le Nigeria et les autres États concernés, devraient soutenir une enquête pénale et, le cas échéant, la poursuite de Jammeh et d'autres individus responsables du massacre des migrants et d'autres crimes graves commis par son gouvernement. »
Au cours de leur enquête de 2018, Human Rights Watch et TRIAL International ont rassemblé un grand nombre d'informations sur le massacre. Ces informations n'avaient jusqu'alors jamais été exposées publiquement ou racontées en une seule fois. Voici ce que les deux organisations ont relevé comme étant particulièrement important.
Le nombre exact de migrants tués n'est toujours pas connu. Gibril Ngorr Secka, ancien directeur des opérations de l'Agence nationale de renseignement (National Intelligence Agency, NIA), a présenté à la TRRC une liste de 51 personnes établie dans un poste de police, parmi lesquelles des citoyens du Ghana (39), de la Sierra Leone (3), du Togo (2), de Côte d'Ivoire (2), du Sénégal (2), du Liberia (1), du Nigeria (1) et du Congo (1). Outre ces noms qui forment la première liste officielle de disparus, le groupe comprenait également d'autres migrants, dont huit Nigérians qui auraient été arrêtés et tués. Lors des audiences, les noms des trois migrants sénégalais ont été identifiés. Il s’agit de Mamadou Korka Diallo, Ismaïla Lakhoune et Pape Diouf.
Des témoins, dont l'ancien chef d'état-major de l’armée gambienne et d'anciens officiers supérieurs de la NIA ont déclaré que le chef de la police de l'époque, Ousman Sonko – actuellement détenu en Suisse et sous enquête pour crimes contre l'humanité – aurait informé Jammeh que des personnes avaient été appréhendées sur une plage près du port de Barra, situé en face de la capitale Banjul. Après avoir parlé avec Jammeh pendant plusieurs minutes, Sonko aurait donné l'ordre à des officiers de transporter les migrants, soupçonnés d'être des mercenaires, au quartier général de la marine à Banjul. Plusieurs témoins ont déclaré qu'il était clair que les hommes et les deux femmes étaient des migrants et non des mercenaires, car ils n'avaient ni armes ni rien de suspect. Selon ces témoins, tous les chefs des services de sécurité gambiens – de la police, de l'armée, de la marine, de la NIA et de la Garde Nationale – se seraient alors retrouvés au quartier général de la marine, ainsi que plusieurs « Junglers ». Ils auraient alors battu les migrants, les traitant « comme des animaux », à en croire le témoignage d'un officier. Les migrants auraient ensuite été répartis dans divers centres de détention autour de Banjul.
Les corps exposés de huit migrants ont été retrouvés le lendemain matin, le 23 juillet 2005, près de Ghanatown, juste à l'extérieur de Banjul. Selon Pa Amady Jallow, alors coordinateur de la cellule anti-criminalité, les corps présentaient des signes de mauvais traitements ; leurs crânes avaient été fracturés, le sang et la cervelle suintaient des plaies ouvertes. Jallow a déclaré que lorsqu'il a rapporté cette information au chef de la police Ousman Sonko, ce dernier semblait ne pas être intéressé et a raccroché le téléphone à trois reprises, avant que son adjoint n'informe Jallow qu'il était transféré à la circulation avec effet immédiat. Jallow a également déclaré avoir été informé des années plus tard par un autre officier de police que neuf autres Nigérians avaient été enterrés dans une fosse commune près de l'endroit où Jallow avait vu les corps exposés. La TRRC a déclaré qu'elle avait l'intention d'effectuer des recherches sur ce site.
En juillet 2019, trois anciens Junglers ont témoigné devant la TRRC qu'ils avaient, avec 12 autres Junglers, exécuté les migrants restants sur ordre de Jammeh. Ce sont ainsi entre 40 et 45 personnes qui ont été exécutées et jetées dans un puits dans la région sénégalaise de Casamance, près de Kanilai, le village natal de Jammeh. Selon l'un des officiers, Omar Jallow, Solo Bojang, le Jungler qui dirigeait l’opération, a dit à ses hommes que « ces personnes sont des mercenaires, l'ordre de ... Jammeh est de tous les exécuter ». Plusieurs autres témoignages confirment que les Junglers étaient sous le contrôle direct de l'ancien président. Comme le résume Alieu Jeng, un ancien Jungler, « Je ne pense pas qu'il y ait eu quoi que ce soit que l'équipe ait fait qui n'ait pas été l'ordre de Yahya Jammeh. »
L'ancien ministre de l'Intérieur, Baboucarr Jatta, a confirmé cette version des faits en acceptant l'affirmation du conseiller juridique principal de la TRRC, Essa Faal, selon laquelle les meurtres étaient une « exécution d'État, conduite par des soldats du palais présidentiel ». Jatta a déclaré qu'il pensait que les soldats avaient agi sous les ordres de Jammeh.
Les témoignages recueillis par la TRRC décrivent également les efforts persistants déployés pour dissimuler le crime, en particulier en amont de la mission d'enquête menée en 2008 par les Nations Unies et la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), lorsque le gouvernement gambien a nommé une task force ministérielle pour traiter avec les enquêteurs.
L'ancien chef d'état-major de l’armée gambienne Assan Sarr a déclaré qu’à l’arrivée de l'équipe d'enquête de l'ONU/CEDEAO en 2008, il a reçu l’ordre de ne pas « compromettre ou ternir l'image du pays ». Un officier de police de Barra a aussi déclaré que vers décembre 2005, Ousman Sonko lui aurait demandé de falsifier les écritures du poste de police de Barra du 22 juillet 2005, lorsque les migrants avaient été initialement arrêtés. Des copies du registre où l'entrée du 22 juillet a été supprimée ont été présentées à la TRRC.
Les témoignages devant la TRRC corroborent les conclusions d'un rapport publié en 2018 par Human Rights Watch et TRIAL International, basé sur des entretiens avec 30 anciens responsables gambiens. « Maintenant que les informations que nous avions recueillies ont été confirmées, il est d'autant plus important que Jammeh soit appelé à faire face à ses responsabilités », a déclaré Emeline Escafit, conseillère juridique pour TRIAL International. « Le temps est maintenant venu de rendre justice aux victimes et à leurs familles. »
Les récents témoignages jettent un doute supplémentaire sur le rapport de l'ONU et de la CEDEAO, qui aurait conclu que le gouvernement gambien n'était pas « impliqué directement ou indirectement » dans les assassinats et les disparitions, et que des « éléments incontrôlés » au sein des services de sécurité gambiens, « agissant pour leur propre compte », en étaient responsables. Le rapport des Nations Unies et de la CEDEAO n'a cependant jamais été rendu public, malgré les demandes répétées des victimes et de cinq experts des Nations Unies.
Parmi les victimes qui ont témoigné devant la TRRC lors de la session qui s’achève, figurent le Ghanéen Martin Kyere, seul survivant connu des meurtres perpétrés le long de la frontière entre la Gambie et le Sénégal, ainsi qu’Adama Conteh, veuve de la victime gambienne Lamin Tunkara, et le Nigérian Kehinde Enagameh, dont le frère, Paul Omozemoje Enagameh, figurait parmi les personnes tuées selon une enquête menée par le Nigeria.
Depuis le début des audiences en janvier 2019, la commission vérité gambienne a également entendu des témoignages selon lesquels Jammeh serait impliqué dans des viols et agressions sexuelles , aurait forcé des Gambiens séropositifs à abandonner leurs traitement en faveur de celui qu’il proposait, était responsable d'avoir ordonné l'assassinat et la torture d'opposants politiques, ainsi que des « chasses aux sorcières » au cours desquelles des centaines de personnes étaient arbitrairement détenues. Jammeh vit en exil en Guinée équatoriale depuis son départ de Gambie en janvier 2017.
La TRRC, qui rendra son rapport en juillet 2021, est chargée « d'identifier les présumés responsables et de recommander des poursuites à l'encontre des personnes qui portent la plus haute responsabilité dans les violations et abus des droits humains ». Le gouvernement gambien devra ensuite décider de la suite à donner à ces recommandations. »
Source : Reed Brody, conseiller juridique à Human Right Watch (page Facebook)