« On ne peut pas mourir deux fois », dit Mikhaïlo, qui a tout perdu et fume sa cigarette dans les ruines de Roubijné, en attendant que la guerre passe ou qu’il meure sous l’un des obus qui pleuvent en continu sur la ville en pleine bataille.
Kremina, la ville voisine sur le front du Donbass, dans l’est de l’Ukraine, est tombée il y a cinq jours. Roubijné est sur le fil, alors que l’armée russe a lancé ces derniers jours une offensive pour s’emparer du Donbass.
Après un mois de frappes, les troupes russes ont pris pied dans la partie nord de la ville, le sud est encore en grande partie tenu par les forces ukrainiennes, ont constaté samedi des journalistes de l’AFP.
L’artillerie ukrainienne réussit pour l’instant à contenir leur progression. Ses frappes font monter dans le ciel des panaches de fumée plus au-dessus de la plus haute cheminée de l’usine chimique de la ville. Les barres d’immeubles désertées par les familles ouvrières disparaissent dans la nuée.
Pour accéder à Roubijné, ville de 60 000 habitants avant la guerre, il faut passer une série de points de contrôle gardés par des soldats dispersés et laisser passer les blindés « Kozak », qui foncent renforcer les lignes.
À l’intérieur apparaît une cité en miettes. Chaque bâtiment, sans exception, porte les stigmates des coups reçus : aucune vitre n’a résisté au déluge de tirs croisés. Les rues sont des champs de débris perforées de cratères.
Les immeubles sont soit endommagés, soit calcinés, soit éventrés. On en voit ouverts par le toit ou bien en deux sur la façade, comme des maisons de poupées.
« Je veux ma maison »
Et les derniers à vouloir rester, sont comme dans chaque ville du front, les plus fragiles.
À la hauteur du seul rond-point du sud de Roubijné, ils ne sont plus que 12 habitants dans une cave à survivre sous le tapis des bombes. Mikhaïlo traîne dans ses sandales abîmées jusqu’à l’abri.
Sur le seuil, un groupe d’hommes, les uns assis, les autres debout, fait tourner une cigarette en laissant s’éteindre le réchaud à bois. Les escaliers mènent à un dédale de pièces plongées dans le noir. Une première alcôve est éclairée d’une mèche qui trempe dans une conserve remplie d’huile.
À côté de la flamme vacillante, un poste de radio fait crépiter la chanson américaine You’re in the army now du groupe anglais Status Quo, devenue un classique de toutes les jeunesses enrôlées du monde.
Dans la pièce d’à côté, un cierge éclaire le visage de six vieillards allongés sur des lits de camp.
Lioudmila, 63 ans, qui vit dans cette cave depuis le 15 mars, indique que « ceux qui sont restés sont ceux qui n’avaient nulle part où aller en Ukraine ».
« Ma mère aura 90 ans en août, je ne peux pas la porter de mes propres mains et l’amener à la voiture », dit-elle.
« Que tous ceux qui ont commencé cette guerre se rassemblent dans notre sous-sol pour venir y faire leurs négociations. Qu’ils viennent écouter les bombardements et s’asseoir à la lueur des bougies. Et alors ils prendront enfin une décision », lance Lioudmila, en tentant d’apaiser les râles de sa mère.
« Je veux ma maison », l’interrompt sa mère enroulée comme une momie dans une couverture.
La vieille femme refuse de monter jusqu’aux escaliers de l’abri. Elle a « trop peur » et aussi trop de souvenirs qui remontent, « de la Seconde Guerre mondiale, de la faim » qu’elle revit depuis sa cave et sa nuit ininterrompue.
« Tout est irréel »
Le témoin historique de la ville, le somptueux Palais de la culture, pilonné, ne tient plus que par la façade. À l’intérieur, l’écran de la salle de cinéma désuète est en lambeaux, les strapontins écroulés comme des dominos.
Dans la salle de réception, l’immense lustre d’apparat s’est fracassé sur la moquette rouge. Les costumes des spectacles des enfants pendent dans des armoires renversées. La salle de piano sans vitre est remplie de plâtre.
Iouri Fomine, 62 ans, ingénieur à la retraite, erre dans les couloirs vides du palais détruit, un roman polonais et son stylo à la main.
« Tous les jours quand j’étais gamin je venais soit au cinéma, soit emprunter un livre », raconte-t-il. « Une enfance si heureuse, tant de nostalgie… »
« Je n’étais pas préparé mentalement à cette guerre, j’ai l’impression que tout est irréel, que l’on vit dans une dimension parallèle, mais en fait on vit dans la réalité que produit le cerveau malade du président de la Fédération de Russie », lâche-t-il.
Comme souvent dans cette région tordue par le conflit séparatiste, Mikhaïlo, qui tient son bout de banc sous les bombes, estime lui que « peu importe qui gagne, la guerre doit cesser au plus vite ».
Et que dira-t-il au premier soldat russe qu’il croisera ? « Bonjour, avez-vous une cigarette ? », répond-il très content de sa blague. (AFP)
Kremina, la ville voisine sur le front du Donbass, dans l’est de l’Ukraine, est tombée il y a cinq jours. Roubijné est sur le fil, alors que l’armée russe a lancé ces derniers jours une offensive pour s’emparer du Donbass.
Après un mois de frappes, les troupes russes ont pris pied dans la partie nord de la ville, le sud est encore en grande partie tenu par les forces ukrainiennes, ont constaté samedi des journalistes de l’AFP.
L’artillerie ukrainienne réussit pour l’instant à contenir leur progression. Ses frappes font monter dans le ciel des panaches de fumée plus au-dessus de la plus haute cheminée de l’usine chimique de la ville. Les barres d’immeubles désertées par les familles ouvrières disparaissent dans la nuée.
Pour accéder à Roubijné, ville de 60 000 habitants avant la guerre, il faut passer une série de points de contrôle gardés par des soldats dispersés et laisser passer les blindés « Kozak », qui foncent renforcer les lignes.
À l’intérieur apparaît une cité en miettes. Chaque bâtiment, sans exception, porte les stigmates des coups reçus : aucune vitre n’a résisté au déluge de tirs croisés. Les rues sont des champs de débris perforées de cratères.
Les immeubles sont soit endommagés, soit calcinés, soit éventrés. On en voit ouverts par le toit ou bien en deux sur la façade, comme des maisons de poupées.
« Je veux ma maison »
Et les derniers à vouloir rester, sont comme dans chaque ville du front, les plus fragiles.
À la hauteur du seul rond-point du sud de Roubijné, ils ne sont plus que 12 habitants dans une cave à survivre sous le tapis des bombes. Mikhaïlo traîne dans ses sandales abîmées jusqu’à l’abri.
Sur le seuil, un groupe d’hommes, les uns assis, les autres debout, fait tourner une cigarette en laissant s’éteindre le réchaud à bois. Les escaliers mènent à un dédale de pièces plongées dans le noir. Une première alcôve est éclairée d’une mèche qui trempe dans une conserve remplie d’huile.
À côté de la flamme vacillante, un poste de radio fait crépiter la chanson américaine You’re in the army now du groupe anglais Status Quo, devenue un classique de toutes les jeunesses enrôlées du monde.
Dans la pièce d’à côté, un cierge éclaire le visage de six vieillards allongés sur des lits de camp.
Lioudmila, 63 ans, qui vit dans cette cave depuis le 15 mars, indique que « ceux qui sont restés sont ceux qui n’avaient nulle part où aller en Ukraine ».
« Ma mère aura 90 ans en août, je ne peux pas la porter de mes propres mains et l’amener à la voiture », dit-elle.
« Que tous ceux qui ont commencé cette guerre se rassemblent dans notre sous-sol pour venir y faire leurs négociations. Qu’ils viennent écouter les bombardements et s’asseoir à la lueur des bougies. Et alors ils prendront enfin une décision », lance Lioudmila, en tentant d’apaiser les râles de sa mère.
« Je veux ma maison », l’interrompt sa mère enroulée comme une momie dans une couverture.
La vieille femme refuse de monter jusqu’aux escaliers de l’abri. Elle a « trop peur » et aussi trop de souvenirs qui remontent, « de la Seconde Guerre mondiale, de la faim » qu’elle revit depuis sa cave et sa nuit ininterrompue.
« Tout est irréel »
Le témoin historique de la ville, le somptueux Palais de la culture, pilonné, ne tient plus que par la façade. À l’intérieur, l’écran de la salle de cinéma désuète est en lambeaux, les strapontins écroulés comme des dominos.
Dans la salle de réception, l’immense lustre d’apparat s’est fracassé sur la moquette rouge. Les costumes des spectacles des enfants pendent dans des armoires renversées. La salle de piano sans vitre est remplie de plâtre.
Iouri Fomine, 62 ans, ingénieur à la retraite, erre dans les couloirs vides du palais détruit, un roman polonais et son stylo à la main.
« Tous les jours quand j’étais gamin je venais soit au cinéma, soit emprunter un livre », raconte-t-il. « Une enfance si heureuse, tant de nostalgie… »
« Je n’étais pas préparé mentalement à cette guerre, j’ai l’impression que tout est irréel, que l’on vit dans une dimension parallèle, mais en fait on vit dans la réalité que produit le cerveau malade du président de la Fédération de Russie », lâche-t-il.
Comme souvent dans cette région tordue par le conflit séparatiste, Mikhaïlo, qui tient son bout de banc sous les bombes, estime lui que « peu importe qui gagne, la guerre doit cesser au plus vite ».
Et que dira-t-il au premier soldat russe qu’il croisera ? « Bonjour, avez-vous une cigarette ? », répond-il très content de sa blague. (AFP)