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INFLATION DE DEPUTES – De l’inefficacité institutionnelle aux visées politiciennes

Mardi 17 Janvier 2017

Du magistère de Senghor à celui de Macky Sall en passant par ceux d’Abdou Diouf et de Me Wade, l’Assemblée nationale a vu le nombre des députés augmenter. Efficacité institutionnelle ou visées politiques ? En tout cas, à chaque Président, son nombre à la veille de chaque joute électorale. Ce qui prouve qu’au-delà de certaines considérations d’ordre institutionnel, les calculs politiques sont de rigueur.
 
Le Sénégal, devenu indépendant en 1960, allait bâtir une Nation avec des Institutions fortes. Pour la première fois, nous allions avoir une Assemblée nationale élue par des Sénégalais et pour les Sénégalais. Très vite, le Président Senghor et son régime avaient retenu un nombre de 80 députés. Ce qui a changé en 1978, puisque le nombre a été revu à la hausse avec 100 députés. Abdou arrive au pouvoir en janvier 1980 à la faveur de l’article 35 de la Constitution et institue  le multipartisme illimité. Une occasion pour aller dans le sens d’une seconde augmentation des membres de la Représentation nationale qui passe à 120, puis 140 en 1998.
 
Seulement, ce nombre a été réduit lors de la première alternance démocratique intervenue en 2000. En effet, devenu président de la République, Me Abdoulaye Wade réduit le nombre des députés de 140 à 120 avant de suivre un chemin contraire en 2007 : 150. Un nombre qui vient d’être bouleversé par une autre majorité parlementaire mécanique, celle du président Macky Sall. A la prochaine législature, le Sénégal comptera 165 députés dont 15 dits dédiés à la diaspora, les Sénégalais de l’extérieur.
 
« Il faudrait diminuer les émoluments des députés en proportion des coûts induits par cet élargissement.» (Ibrahima Sène)
Au vu de la démarche des Présidents qui se sont succédé à la tête du pays, on note que cette inflation de députés a bien des motivations. Et au-delà d’une certaine efficacité institutionnelle, elle ne manque pas de visées politiques. C’est l’avis de Bamba Ndiaye, député sous la onzième législature et secrétaire général du Mouvement populaire socialiste/Sellal (Mps).
 
« En 1998, le Parti socialiste (Ps) avait augmenté le nombre de députés pour minimiser les querelles de tendances et éviter le vote-sanction parce qu’il y avait des responsables qui se regardaient en chiens de faïence. Ce qui n’était le cas pour Me Wade lorsqu’il s’est agi d’augmenter à nouveau le nombre en 2007 après l’avoir réduit en 2001 », explique le leader du Mps.
 
« Mais avec ce régime, l’augmentation est inspirée par des calculs électoralistes. Il ne faut pas oublier que la diaspora est considérée par l’Alliance pour la République (Apr) comme une chasse-gardée. Il faut attendre de voir comment la diaspora va réagir car on pourrait assister à des surprises. Cette hausse du nombre de députés n’est pas opportune au vu des nombreux problèmes à caractère social et il y a de nouvelles charges qui sont très mal perçues.»
 
Prenant la balle au rebond, Ibrahima Sène du Parti de l’indépendance et du travail (Pit), un parti allié du président Sall, croit savoir que «le renforcement du processus de la démocratisation de nos institutions républicaines exige l’élargissement régulier de la Représentation nationale en fonction de l’évolution démographique et des particularités de la répartition géographique de la population.» Donc, indique-t-il, «élargir la Représentation nationale est toujours un pas vers plus d’équité sociale.» Mais comme cela a un coût, propose-t-il, et « pour alléger les difficultés des populations, il faudrait diminuer les émoluments des députés en proportion des coûts induits par cet élargissement.»
 
« Augmenter le nombre de députés découle d’un souci d’une plus grande représentation de la nation » (El hadj Momar Sambe)
Revenant sur les périodes qui ont vu le nombre des députés augmenter, El Hadji Momar Sambe du Rassemblement des travailleurs africains-Sénégal (Rta-S) signale que sous Senghor, «pendant 18 ans, soit près de 4 législatures, le nombre de députés est resté à 80. Ensuite, il y a eu un changement intervenu en 1978 plus de 10 ans après, dans les conditions politiques de l’institution du multipartisme limité à 3 courants d’abord en 1974 puis à 4 en 1976, en plus de l’accroissement de la population.»
 
A l’en croire, «les conditions politiques de la deuxième variation intervenue en 1983 sont constituées par l’ouverture démocratique et le multipartisme illimité, insufflés par Abdou Diouf, certainement comme mesure d’accompagnement à sa réforme politique. Le changement suivant n’est intervenu qu’en 1998, 15 ans (3 législatures) après le changement précédent. Et si on reste toujours sur l’analyse objective, on peut convoquer ici, outre le croît démographique, les circonstances de la régionalisation instaurée en 1996 qui a engendré la création de 10 régions.»
 
Poursuivant, M. Sambe rappelle qu’«en 2001, avec l’arrivée du Pds au pouvoir porté par une vague populaire forte, Abdoulaye Wade a voulu, surtout par populisme, satisfaire une revendication populaire en supprimant le Sénat et en revoyant à la baisse le nombre de députés de 140 à 120. En 2007, le Président Wade reviendra sur ses décisions de 2001, en ramenant le Sénat et en faisant passer le nombre de députés de 120 à 140, après les législatives. Cette augmentation ne correspond pas exactement à la réforme administrative qu’il a entreprise, en février 2008, avec l’érection de 03 départements en régions (Kaffrine, Sédhiou et Kédougou), après celle de Matam devenue région en 2004, et avec l’institution de 8 arrondissements en départements.»
 
En 2017, le vote à l’assemblée nationale de la loi disposant de l’augmentation du nombre de députés de 150 à 165, en perspective des législatives de cette année, correspond, selon le patron du Rta-S «à la décision issue du Référendum de mars 2016 de faire représenter la diaspora à l’Assemblée nationale, mesure conforme aux conclusions des Assises nationales. Les 15 députés doivent représenter une diaspora de plus de deux millions de Sénégalais dont il faut faire prendre en compte leurs préoccupations spécifiques.»
 
Au total, note-t-il, «l’on peut soutenir que, dans le cours de l’histoire de l’Assemblée nationale, l’augmentation du nombre de députés est liée à des situations politiques déterminées.» Donc, «loin d’être partisanes, les mesures d’augmentation du nombre de députés découlent plutôt d’un souci d’une plus grande représentation de la nation, donc d’une plus grande efficacité de l’Institution afin que celle-ci puisse prendre en charge les préoccupations des populations vivant des situations spécifiques dans les différents terroirs de la nation et comprendre également une présence plus variée des partis politiques.»
 
«Logique alimentaire» (Madièye Mbodj)
De son côté, Madièye Mbodj du Mouvement pour l’autonomie populaire (Yonou Askan-Wi) est d’avis que l’augmentation des députés est suscitée par des raisons particulières. « Il prévaut au plus haut sommet de notre Etat une logique alimentaire consistant à créer des postes de sinécure rien que pour caser une clientèle politique.» A preuve, clame-t-il, «l’augmentation du nombre de députés se fait toujours en période électorale : de 80 à 100 en 1978, 120 en 1988, 140 en 1998, 150 en 2007, et aujourd’hui 165 en prévision des législatives de 2017. En 2001, le nombre était passé de 140 à 120 : pourtant la population sénégalaise avait bien augmenté  entre 1998 et 2001 !»
 
Une manière de faire comprendre que «l’argument le plus pertinent n’est pas le critère démographique, mais bien la volonté politique de procéder à l’allocation la plus rationnelle possible de nos ressources nationales en fonction des priorités et urgences dictées par le sort de la majorité des Sénégalais et Sénégalaises.» Dans cette lancée, Madièye Mbodj rappelle qu’en 2001, Wade, «pour répondre à la demande sociale pressante mise en avant par les femmes et les jeunes mobilisés pour le changement, s’était senti contraint de réduire le nombre des députés. Il fera rapidement le contraire en 2007 ! »
 
Quinze ans plus tard, « Macky Sall est dans le même schéma avec la suppression du Sénat après la deuxième alternance, institution en 2016 d’un Sénat maquillé sous le nom de Haut conseil des collectivités territoriales (Hcct). Puis, en cadeau de nouvel an, passage à 165 députés sous le fallacieux prétexte d’assurer la représentation des Sénégalais de la diaspora !»
 
A ses yeux, «la pauvreté ambiante, la lancinante question de l’emploi des jeunes, l’enjeu du développement endogène articulé à l’industrialisation et à la révolution agricole, les perturbations incessantes dans le service public de l’éducation et de la santé, tous ces défis majeurs entre autres ne valent rien face aux petits calculs politiciens  de ceux qui gouvernent le Sénégal.» C’est pourquoi, il persiste à déclarer qu’il «est donc plus que désolant de le constater, mais malheureusement il y a une fâcheuse propension chez nos dirigeants à confondre, dans leur logique alimentaire, renforcement de la démocratie et inflation budgétivore des Institutions.»
 
«Dans notre Constitution, il n’a pas été déterminé le nombre des députés, mais…» (Doudou Wade)
Dans ce débat concernant l’augmentation du nombre des députés, Doudou Wade, président du Groupe parlementaire des Libéraux et démocrates sous la précédente législature donne une piste de solution. « La raison principale de cette instabilité du nombre de parlementaires, c’est que dans le cadre de la République du Sénégal et notamment dans l’organisation des Institutions, il n’a pas été déterminé, de manière tangible, dans la Constitution le nombre de députés. Si c’était fait comme en France où la Constitution dit qu’il faut 577 députés, à cet instant, vous avez plus de difficultés pour modifier ce nombre. »
 
Poursuivant, il fait savoir que « cela ne dépend que de la loi organique, du Code électoral, mais dans sa partie non organique. Car il est possible dès demain qu’une nouvelle majorité décide de tout changer. Par conséquent, dans ce que nous appelons l’équilibre des Institutions, il faut arriver à ce niveau. Sinon, tout dépendra des Présidents et de la majorité qui domine l’Assemblée nationale. Ce qui veut dire que tous les ans, l’on peut réduire ou augmenter le nombre des députés.»
 
Toutefois, Doudou Wade insiste sur le fait que l’on ne peut plus avoir le même nombre de députés avec huit ou dix millions d’habitants et rester à ce même niveau avec quatorze millions de Sénégalais. « Et comme les députés sont les représentants des départements dans le cadre du scrutin majoritaire, si vous augmentez les régions, vous devez également augmenter le nombre des départements. Donc, vous serez obligés d’augmenter le nombre des députés.»
 
Une analyse qui le pousse à soutenir que « nous avons des démarches en fonction de nos besoins politiques pour modifier le nombre. Mais si nous réglons le problème de la territorialisation de notre pays, avoir des découpages définitifs, nous pouvons dire dans la Constitution que le nombre de députés est ceci ou cela de manière définitive.»
 
Les raisons d’une baisse en 2001
Revenant sur la diminution intervenue en 2001, Wade note qu’il y a toujours une relance politique autour de la cohésion nationale. «Il faut poser des  actes pour fédérer un certain nombre de personnes autour de l’essentiel. D’ailleurs, à chaque fois qu’un nouveau régime arrive, il y a des changements qui se font pour mettre les gens sur un même courant pour un consensus national. En 2000, nous avions ramené le nombre des députés à 120 parce que les Sénégalais avaient formulé une telle demande», dit-il.
 
« En 2001, nous avions une nouvelle Constitution. Nous avions aussi dit au niveau de l’organisation de l’Assemblée nationale, où le règlement intérieur indiquait que pour avoir un groupe parlementaire, il fallait avoir le 1/10 de l’effectif de l’Assemblée qui fait douze députés, que le Parti socialiste (Ps) risque de ne pas avoir de groupe suite à des problèmes intervenus au niveau de son organisation de groupe et que pour nous, il n’était pas normal que le premier parti au Sénégal qui avait conduit le pays à l’indépendance, le parti de Senghor et de Mamadou Dia, de Caroline Faye, d’Adja Arame Diène première femme analphabète à l’Assemblée nationale, ne devait pas manquer de groupe parlementaire à l’Assemblée nationale. Donc, nous avions fait un régime de faveur pour pousser la démocratie et la représentativité parlementaire dans notre pays pour pouvoir installer un dialogue. Cela a permis d’avoir une Assemblée apaisée, responsable et qui se regroupait autour des consensus d’ordre national.»
 
«En 1998, le député du Tchad en guerre gagnait plus que le député du Sénégal»
Parlant de l’évolution des émoluments des députés, Doudou Wade révèle qu’en 1998, un député du Tchad alors en guerre gagnait plus qu’un député sénégalais. Une situation anormale qu’il fallait très vite régler, surtout que seuls les membres du Bureau de l’Assemblée nationale disposaient de véhicules de fonction. «Le député gagnait en 1998 autour de 400.000 francs CFA en plus des dessous de table. C’est-à-dire que l’Assemblée n’avait pas le courage de payer officiellement un montant plus élevé. Nous étions dans une situation de non transparence totale», défend-il.
 
Tenant à éclairer la lanterne des Sénégalais, il ajoute : « Quand nous sommes arrivés au pouvoir, nous avions fait une étude et l’augmentation des salaires a été élargi à l’ensemble des députés. La délégation qui était partie négocier avec le Président était composée de ma modeste personne, du président de l’Assemblée nationale et des deux présidents de groupe qui étaient Ousmane Tanor Dieng et Madieyna Diouf. En cette période, le député du Tchad qui était en guerre était mieux payé que le député du Sénégal. Ce que le Président Wade avait accepté en revoyant à la hausse le salaire des députés.» Seulement, Doudou Wade relève que l’on ne peut tout faire avec un salaire de 1,2 million francs CFA.
 
«Les 15 sièges de la diaspora semblent disproportionnés» (Ndiaga Sylla)
L’autre constat fait sur l’augmentation du nombre des députés, vient de Ndiaga Sylla, expert électoral. Selon lui, «les 15 sièges prévus pour la diaspora semblent disproportionnés par rapport aux estimations du nombre de Sénégalais établis à l'extérieur (2.500.000). La diaspora deviendra ainsi la deuxième "région" du Sénégal après Dakar qui, avec ses quatre départements, totalisait déjà 17 sièges.» 
 
Pourtant, croit savoir M. Sylla, «il aurait suffit de réduire le plafond fixé à sept sièges à pourvoir au maximum dans un département pour en récupérer cinq (5). Cela serait parfaitement justifié dès lors qu'à l'exception de Dakar (7), Pikine (6) et Mbacké (5), nul autre département ne se retrouve avec plus de 2 sièges. Or, la vérité est que nombreux sont les compatriotes qui ne peuvent reconnaître les députés élus sur une liste de leur département.»

Sous ce rapport, relate M. Sylla, «les 5/10 nouveaux sièges s'ajouteront aux 5 susvisés ; ce qui reviendrait à 10 sièges au total pour la Diaspora. Ainsi, les 5 autres postes seraient affectés à la liste proportionnelle.» (Abdoulaye Mbow)
 
 
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