Ibrahima Sène (Pit) : « Le Sénégal ne peut atteindre une croissance forte et stable en dehors d’une Cedeao à monnaie commune. »

Lundi 6 Février 2017

Avec un taux de croissance qui tend à s’installer autour de 6%, est-ce suffisant pour soutenir que l’économie sénégalaise est en bonne santé ?
Avec un taux de croissance qui est passé de 3,5% en 2013, puis à 4,3% en 2014, ensuite à 6,5% en 2015, et à 6,8% en 2016, il est incontestable que l’économie sénégalaise est dans une tendance de croissance forte. Mais le taux de croissance à lui seul ne suffit pas pour statuer sue la santé économique d’un pays.
 
Les fruits espérés de cette économie en croissance se font-ils sentir maintenant ou faut-il attendre encore une certaine période ?
Dans le secteur privé moderne, la répartition des fruits de la croissance a évolué comme suit comparativement à 2011, selon la « Banque des Données économiques et Financières » (BDEF) du Ministère de l’économie et des Finances :
 
                                                               2011                                    2015
 
Part des Salaires                             46,6%                                  50,5%
Part du capital                                47,2%                                  42,0%
Part de l’Etat                                    6,2%                                    7,3%
 
Donc, il est clair que les fruits de cette croissance dans le secteur privé moderne ont été bien ressentis par les salariés et par l’Etat. Dans le secteur public, l’accroissement de la part de l’Etat dans la valeur ajoutée du secteur privé moderne lui a permis de baisser l’impôt sur le revenu, notamment chez les salariés du secteur public, pendant que l’impôt sur les bénéfices des sociétés était augmenté, passant de 25% à 30%. Dans le secteur agricole, l’accroissement des subventions pour les semences, l’engrais et le matériel agricole et de technologie post-récolte, accompagné d’une pluviométrie favorable, s’est répercuté par l’augmentation des productions qui ont permis, avec la hausse des prix producteurs, à améliorer les revenus du monde rural. Cependant, malgré tous ces acquis en termes de croissance et de meilleure répartition des fruits de celle-ci, l’analyse de la « Pauvreté subjective » en 2015 entreprise par le ministère de l’Économie et des Finances montre que tout cela est encore insuffisant pour vaincre la pauvreté.
 
C’est-à-dire ?
C’est-à-dire que les résultats de cette analyse ont montré que : 25,8% des Sénégalais sont très pauvres ; 30,7% sont pauvres ; 41,5% sont moyens ;  1,8% sont riches et 0,2% sont très riches.
Cette stratification de la société montre qu’avec 56,2% de Sénégalais qui se déclarent pauvres et très pauvres, il reste encore beaucoup à faire pour arriver à une croissance et à une répartition de ses fruits en mesure d’éradiquer la pauvreté. Le Plan Sénégal émergent (Pse) table sur une croissance de 7% stable et durable et des politiques d’inclusion sociale comme la « Bourse familiale », la « Couverture maladie universelle », le PUDC, le PUMA et le Programme de modernisation des Villes Secondaires, et des Cités Religieuses, pour réduire significativement la pauvreté. Avec la découverte et l’exploitation des ressources en pétrole, gaz, fer, or, zircon, qui s’ajoutent aux phosphates, les perspectives d’une croissance forte et durable sont à la portée du Sénégal, s’il parvient en même temps à éradiquer les entraves structurelles à celle-ci.
 
Y a-t-il des leviers structurants sur lesquels peut reposer durablement cette croissance ? Un secteur agricole dynamique, avec notamment l’arachide, suffit-il pour y arriver ?
Le secteur agricole adossé sur une industrie de fabrication de matériels agricoles et de technologie post-récolte, et de transformation des productions agricoles et animales en produits finis, peut être, au-delà de l’arachide, un secteur structurant de croissance durable et stable. De même que le secteur minier, pétrolier et gazier constitue aussi un levier structurant pouvant contribuer à rendre plus forte cette croissance durable et stable. Mais pour ce faire, notre économie devrait sortir de la Zone Franc pour s’orienter résolution vers une Zone monétaire CEDEAO, avec une monnaie commune arrimée à un panier de Devises, et surtout, éviter que les APE ne détruisent les acquis de notre intégration économique sous-régionale, en y créant des zones douanières différentes entre pays signataires d’une part, et pays non signataires, d’autre part. Le Sénégal ne peut atteindre une croissance forte, stable et durable en mesure de réduire significativement la pauvreté et le chômage en dehors d’une Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest (Cedeao) dotée d’une monnaie commune.
 
Sur les 4 à 5 dernières années, comment jugez-vous la politique d’endettement du gouvernement sénégalais ?
Selon le « Cadre de Viabilité de la Dette » (CVD) du Comité national de la dette publique (CNDP), les seuils ci-dessous sont fixés pour le Sénégal en accord avec les institutions de Bretton Woods.  Ces seuils sont : Service de la dette extérieure sur exportations : inférieur ou égal à 25% ; Service de la dette extérieure  sur recettes fiscales : inférieur ou égal à 22%.
Or, l’évaluation faite pour le Sénégal en 2014, au démarrage du PSE, avait  montré que notre pays était respectivement à  6,5% contre un seuil de 25%, et à 8,6% pour un seuil de 22%. Donc, l’option de financer le PSE par des Ressources propres et par des Emprunts concessionnels à la place des Investissements directs étrangers (IDE), est un choix de souveraineté nationale, qui irrite les institutions de Bretton Woods. C’est ce choix qui a permis de bénéficier de prêts chinois  de plus long terme, avec de bas taux d’intérêt, et de Sukuk (obligations de type islamique) sans taux d’intérêt aucun, qui à terme vont réduire significativement le poids des remboursements de la dette extérieure sans entraver notre capacité d’emprunt. De même, le profilage de la dette intérieure en cours qui privilégie  les « Obligations d’Etat » au détriment des « Bons de Trésor » à plus court terme et plus coûteux, constitue un autre aspect de la politique d’endettement prudente du Gouvernement, qui est plus efficace pour  solutionner les  besoins de financement des Programmes du PSE, tout en renforçant notre souveraineté économique.
 
Le ministre de l’Économie et des Finances juge cet endettement soutenable. Quels sont les secteurs qui absorbent réellement cet argent emprunté ?
Dans le Budget 2017, l’endettement est constitué « d’Emprunt Projet » de 222 milliards déjà obtenus, et « d’Emprunt – Programmes »  d’un montant de 629 milliards Frs CFA, à rechercher sur le marché financier,  pour le financement notamment du déficit public. Donc, il n’est pas fondé de se demander quels sont les secteurs qui profitent de l’endettement puisque les « Emprunts Projets » sont déjà obtenus dans l’Endettement passé pour des Projets dans des Secteurs déjà retenus, tandis que  les  « Emprunts Programmes » sont des « Dettes nouvelles » destinées à financer le déficit budgétaire. C’est ainsi qu’en 2017, le financement extérieur de 1066 milliards dont 215 milliards de « Dons », 222 milliards « d’Emprunts Projets » et 629 milliards « d’Emprunts Programmes », a servi au financement des projets et programmes d’investissements pour  437 milliards de FCFA, dont des prêts à des conditions concessionnelles pour un montant de 222 milliards de FCFA (50,8%), et de subventions pour un montant de 215 milliards de FCFA (49,2%). Donc la véritable question qui devrait être posée, c’est plutôt de savoir à quels secteurs profitent ces dépenses budgétaires qu’il a fallu équilibrer par le recours à l’endettement de 629 milliards.
 
L’endettement est-il soutenable ?
Cet endettement est soutenable tant qu’il est remboursable sans entraver nos capacités d’investissement public. Les secteurs qui ont principalement bénéficié de ces dépenses budgétaires peuvent être identifiés dans la Loi des Finances de 2017. C’est ainsi que les « Dépenses de Fonctionnement » retenues sont de ­756,9 milliards, soit une augmentation de 1,5%, dont 343,9 milliards  qui sont exécutés par l’Etat, et qui sont communément appelés « Dépenses de train de vie de l’Etat ». Elles ont baissé de 2,8% par rapport à 2016. Celles qui y sont consacrées au « Transfert » en faveur  des Agences, et des Universités, notamment, et celles consacrées aux  Subventions, sont de  413 milliards, soit une hausse de 5,3%. Selon les normes en vigueur au Sénégal, les « Ressources Internes » désignent les ressources budgétaires dont le Trésor est comptable assignataire, autrement dit, celles qui sont exécutées selon les procédures nationales. Elles se répartissent comme suit : recettes budgétaires qui sont composées des recettes fiscales et des recettes non fiscales d’un montant de 2 084,1 milliards de FCFA ; dons budgétaires : 35 milliards de FCFA ; recettes exceptionnelles : 63 milliards de FCFA. Les dépenses d’investissement sur Ressources propres sont de 788,2 milliards, soit une augmentation de 29% par rapport à 2016.
La part de celles-ci sur l’Investissement public total est passée de 28% en 2000 à 56% 2016 et à 64% en 2017, élevant ainsi, considérablement, le coefficient de notre souveraineté budgétaire. Donc en 2017, la première destination des ressources budgétaires du Gouvernement, ce sont les Investissements, dans lesquels la priorité a été accordée à l’investissement dans le secteur agricole avec  153,947 milliards, de la Santé, avec 122,942 milliards, de la Sécurité, avec 110,880 milliards, et de l’Éducation, avec 96,824 milliards, totalisant 61,4% des Investissements totaux sur ressources propres.
 
Fallait-il réduire ces dépenses ou celles destinées aux autres secteurs pour réduire ce nouvel endettement ?
Le débat reste ouvert. Il est loisible à tout un chacun de faire son choix et de l’expliquer au peuple. En tous cas, le Gouvernement de BBY du Président Macky Sall a fait un choix d’Indépendance nationale, de croissance forte et durable, qu’il s’agit de conforter en se libérant des entraves structurelles de l’économie sénégalaise, et de justice sociale et inclusive dans la répartition des fruits de la croissance. (Propos recueillis par A. Mbow & M. Dieng)
 
 
 
 
 
 
 
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