Il faut sortir de l’IED (Par Guy Marius Sagna)

Mardi 27 Mars 2018

La marche du 14 novembre 2016 du Front Manko Wattu Senegal avait suscité des réactions telles qu’elle imposa une réunion d’évaluation. Il me semble que la marche du 9 février 2018, la manifestation du 9 mars et le rassemblement du 22 mars 2018 de l’Initiative pour des Elections Démocratiques (IED) nous imposent un bilan à mi-parcours. Bilan rendu d’autant plus nécessaire que l’histoire risque de s’accélérer avec la volonté de Macky et de ses alliés de changer la constitution pour pouvoir s’assurer un deuxième mandat. L’IED doit relever un double défi externe mais aussi interne. Tout en édifiant le rapport de forces qui permettra d’imposer la tenue d’élections démocratiques (défi externe) peut-on sauvegarder l’unité des organisations membres de l’IED ? L’IED est incapable de relever ce double défi. L’IED opprime et musèle les organisations qui travaillent à un autre Sénégal.
 
L’IED : entre respect de la parole donnée et syndrome Manko Wattu Senegal

Eléments du contexte qui me paraissent pertinents pour mon propos :
 
1-Départ de Wade et du PDS par une mobilisation citoyenne contre l’irrespect de la parole donnée et les attouchements faits à la constitution : « Touche pas à ma constitution » et « Ma waxoon waxeet »
 
2-Mobilisation pour le Non au référendum de 2016 aux cris de « Gor ca wax ja » et « Niani Ban na » contre le « Ma waxoon waxett » version Macky and Co.
 
3-Création de Manko Wattu Senegal (MWS) autour de trois (03) questions : pour un processus électoral démocratique, la gestion démocratiques des ressources naturelles et la protection des lanceurs d’alerte. MWS va se briser quand certains se croyant plus intelligents que les autres ont voulu imposer le passage du front autour de ces trois (03) questions à une coalition électorale.
 
Certains ont pu penser - l’auteur de ces lignes en fait partie - que des femmes et des hommes organisées ou pas ont été utilisés dès le départ par d’autres pour légitimer une organisation, la rendre crédible aux yeux de l’opinion, la faire connaître, la faire adopter par les Sénégalais pour la transformer en coalition électorale ensuite en étant prêt à se séparer de celles et ceux qui ont été utilisés à cet effet.
 
C’est ainsi que le RND, Taxaw Temm, Act, Pastef et Yoonu Askan wi pour ne citer que ces organisations ont rappelé que MWS n’avait pas été créé pour être une coalition électorale et ont refusé de participer à cette OPA (Opération Publique d’Accaparement) en utilisant partie ou tout de MWS comme dénomination de leurs listes de candidats aux législatives.

Mais cela n’empêcha pas la guerre des Manko qui elle eût effectivement lieu prouvant si besoin en était ce qui précède. Ainsi il y a eu la Coalition gagnante Manko Wattu Senegal, la Coalition Manko Taxawu Senegal, la Coalition Manko Wattu Senegal. Et Modou Diagne Fada qui affirma : « J’ai été l’un des pionniers de ceux qui ont donné le nom Manko. Donc je ne laisserai ce nom à personne », eût sa Coalition Manko Yeesal Senegal. Quatre « manko ». Seules Act, RND, Pastef, Taxaw Temm et Yoonu Askan Wi ont eu la décence de ne pas utiliser la chose de tous.
 
Cela créa une situation où personne ne faisant plus confiance à l’autre chacun y est allé seul pour tenter de limiter la casse d’un hold-up électoral programmé.
 
4-Avant que Manko Wattu Senegal ne meurt de sa belle mort, il y a eu les événements du 16 Novembre 2016. Contrairement à ce qui avait été décidé la veille au bureau de Malick Gackou, des leaders ont tenté de forcer le barrage policier au niveau de la RTS et la répression démarra.
 
Ce qui montre que les uns et les autres ont tiré des leçons des éléments ci-dessus évoqués est que l’organisation qui nous regroupe actuellement pour des élections transparentes a été baptisée d’un nom inutilisable électoralement parlant : Initiative pour des Elections Démocratiques (IED). Du moins ce choix n’est pas fortuit. Le deuxième élément est que jusqu’à présent, on ne parle pas de coordonnateur de Manko.

Ce nom (IED)  et l’absence de coordonnateur sont les résultats de la méfiance légitime et persistante née de l’expérience notamment de Manko. D’où, notre objectif n’est pas seulement de mobiliser ou de juger les performances de l’IED en termes de manifestations massives. Le défi à relever est celui de la sauvegarde, de la pérennisation de l’IED. Cela passe par la restauration, la consolidation de la confiance et de l’unité. Pas avec des mots mais en pansant les maux.
 
Par ce qui suit nous attirons l’attention sur des pratiques qui ne vont pas dans la perspective du respect de l’identité de l’IED et de la dissipation des suspicions.
 
Souvenons-nous : l’IED n’est pas une coalition électorale
 
1-les deux commissions de l’IED sont présidées par le PDS
 
2-nous avons noté plusieurs fois une campagne pour Karim Wade dans des AG où la presse était présente. Cela a été également le cas lors du meeting du 22 mars 2018.
 
3-Le jour de la manifestation : bataille des pancartes, des banderoles avec des « Karim président », « Sonko 2019 », « Abdoul Mbaye candidat ». Les champions de l’indiscipline ce jour furent des manifestants se déclarant karimistes qui dès leur arrivée ont dit à qui voulaient les entendre qu’aucune banderole ne sera devant les leurs. Ils agirent conformément à leur promesse. Et ce qui devait arriver arriva : indiscipline partout. Rebelote lors du meeting du 22 mars 2018 mais cette fois-ci sans indiscipline.
 
4-le camion sonorisé passait en boucle le tube de campagne du candidat Wade en 2007 lors de la marche du 9 février 2018 : « Gorgi doyalu nu, sopi doli nu… ». Malgré les critiques, ce fut également le cas lors du meeting du 22 mars 2018.
 
5-quand le camion sonorisé fut transformé en tribune pour la prise de parole, lors de la marche des représentants des différentes organisations, il y avait au moins trois membres du PDS qui n’avaient rien à y faire. Lors du meeting du 22 mars 2018, la tribune était celle du comité directeur du PDS. Cinq (05) des huit (08) intervenants lors de ce meeting étaient membres du PDS.
 
6-Lors du meeting, au moins un intervenant a dit : « les Sénégalais regrettent le départ du président Wade. ». Ce point de vue exprimé est un point de vue politique de fond. Il est une critique de celles et ceux qui ont voté contre Wade et le PDS. Certaines organisations membre de l’IED en sont. Comment les autres forces politiques membres de l’IED peuvent-elles accepter cela ?
 
7-Tout comme des leaders de MWS avaient sciemment préparé et mis en œuvre un plan consistant à forcer les barrages policiers lors de la marche du 14 Novembre 2016 pour déclencher des troubles à mettre sur le dos de Macky Sall, le 09 mars 2018 alors qu’il ne s’agissait que de déposer des lettres à quatre endroits différents certains leaders ont transformé ces dépôts en tentative de sit’in devant le ministère de l’intérieur. Du moins il y a eu deux compréhensions de l’esprit et de la lettre de la décision prise par l’IED la veille.
Une hirondelle ne fait pas le printemps. Nous en avons sept (07).
 
Et le PDS ne va pas changer ce comportement. Ses plus proches alliés ne vont pas le critiquer pour cela. Au contraire ils embouchent la même trompette que lui : « le PDS est un parti de masse qui ne peut pas contrôler ses militants et donc il faut que les autres soient indulgents à son endroit ». Cette impossibilité pour le PDS de contrôler ses membres et ses excroissances (karimistes) doit-elle imposer aux autres forces à souffrir une campagne électorale dans les activités de l’IED, à accepter l’expression de discours politiques appréciant des événements politiques comme ceux de 2012, à subir une véritable OPA ? C’est pourquoi il faut sortir de l’IED.
 
Pourquoi et comment il faut sortir de l’IED ?
 
Il faut formuler une critique aux forces acquises à l’idée de la transformation structurelle du Sénégal. Elles n’ont jamais rendu suffisamment audible leur discours sur la démocratie. Elles ont contribué à faire accepter l’idée que la démocratie c’est le processus électoral et les trois élections (présidentielle, législatives, locales). Elles y ont contribué en ayant pas un discours autonome. Sur ce point, toujours engluées dans les fronts démocratiques (des ascendants du Front pour la Régularité et la Transparence des Elections aux descendants de celui-ci), elles ont subi la loi des partis dominants dans ces fronts : les libéraux avant 2000, les socio-démocrates et les libéraux entre 2000 et 2012.
 
Il y a eu un équilibre des forces dans MWS. Depuis l’implosion de MWS, la débâcle des législatives et l’avènement de l’IED, c’est les libéraux et leurs alliés anciennement au pouvoir qui dictent leur loi et définissent le discours sur la démocratie. Cela est une catastrophe que d’être à la remorque des autres familles politiques sur toutes les questions, mais également sur les questions de démocratie.
 
Car, par exemple, si c’est le PDS et ses alliés anciennement au pouvoir avant 2012 qui définissent et portent le discours, comme c’est le cas actuellement, dans l’IED il ne faut pas espérer que le discours de l’IED rappelle la responsabilité du PDS (bulletin unique, « raaw gaddu », caution, arrêté Ousmane Ngom…) sur les questions autour desquelles les démocrates se battent actuellement et exigent des autocritiques publiques du PDS et de ses alliés sur ces questions.

Il ne faut pas espérer que le discours de l’IED montre le lien entre processus électoral et système économique. Il ne faut pas espérer que le propos dominant soit de montrer au peuple que le processus électoral n’est que la plus infime partie du débat sur la démocratie. Il ne faut pas attendre de l’IED qu’elle propose le référendum d’initiative citoyenne, le mandat impératif, des indemnités de session indexées au coût du transport, du logement en lieu et place des salaires de députés…
 
Les comportements du PDS et de ses alliés anciennement au pouvoir dans l’IED rappelés plus haut, ainsi que le discours dominant de l’IED qui n’est pas un discours alternatif sur la démocratie et le processus électoral exigent que les organisent ayant un projet alternatif sortent de l’IED.
 
Il y a deux manières de sortir de l’IED. Précisons que cette sortie de l’IED ne remet pas en cause la nécessité de l’unité des démocrates sur les questions démocratiques.
 
La première manière de sortir de l’IED c’est en y restant tout en tentant de corriger dans le fonctionnement interne ce qui le peut et en développant un discours alternatif en dehors de l’IED. Ce que l’IED ne pouvant porter et dire…le dire dans un autre cadre. L’inconvénient de cette formule est qu’elle habitue certains sénégalais à vous voir tant de fois avec les autres familles politiques que cela peut semer la confusion chez les électeurs y compris les plus avertis.
 
Cette habitude sera utilisée par certains pour dire « voilà, regardez, c’est eux qui ne veulent pas d’une candidature unique de l’opposition. Il faut les sanctionner ». Or c’est un secret de polichinelle que de dire qu’il ne peut y avoir de candidature unique de l’opposition. D’ailleurs de plus en plus nous entendons au sein de l’IED des discours du genre « notre seul adversaire c’est Macky Sall. Le candidat de l’opposition qui sera au deuxième tour devrait avoir le soutien des autres». Et ceux de l’opposition qui ne veulent pas changer le système mais juste changer de président ils sont quoi ? Cela rappelle les stériles et vaines tentatives de transformation de MWS en coalition électorale dès sa création.
 
La deuxième manière de sortir de l’IED c’est en en étant plus membre pour avoir son autonomie d’action et de ton et en ayant des jonctions ponctuelles sur certaines questions mais surtout au besoin sur le terrain. En n’effet, rien n’empêche de frapper ensemble en marchant séparément.
 
Celles et ceux qui cherchent à frayer un autre Sénégal doivent refuser sur le plan politique et idéologique le monopartisme électoral et la domination politique des membres de ce monopartisme électoral. Qu’est-ce le monopartisme électoral ? C’est un ensemble d’organisations, d’individus du pouvoir comme de l’opposition qui malgré leurs nuances, leurs divergences se ressemblent fondamentalement. Ils tentent tous d’atteindre des objectifs à court terme poser en débat, en discussion le cadre axiale sur lequel repose la démocratie semi coloniale en général, le processus électoral qui lui correspond en particulier.
 
Dakar, le 26 mars 2018
Guy Marius Sagna
 
 
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