Emmanuel Macron a convoqué en urgence une réunion mardi à l'Élysée avant le vote attendu au Sénat et à l'Assemblée sur le projet de loi immigration, alors que la crise est déclarée au sein du gouvernement et de la majorité, très embarrassée par le soutien apporté au texte par le Rassemblement national.
Le chef de l'État "fait un point de situation avec la Première ministre, les présidents de groupe et les chefs de partis de la majorité", a-t-on appris auprès de l'Élysée.
Le Sénat doit se prononcer à 19H00, l'Assemblée à 21H30. Au Palais-Bourbon, une motion de rejet a déjà été annoncée par le patron du PCF, Fabien Roussel.
La majorité risque une fracture inédite depuis l'accession au pouvoir d'Emmanuel Macron. Selon une source ministérielle, trois membres du gouvernement, Aurélien Rousseau (Santé), Sylvie Retailleau (Enseignement supérieur), et Patrice Vergriete (Logement) "sont allés voir Élisabeth Borne (mardi) et ont mis leur démission dans la balance".
Ils doivent se réunir dans la soirée avec d'autres membres du gouvernement également réfractaires au texte, Rima Abdul Malak (Culture) et Roland Lescure (Industrie), tous figures de la branche gauche de la macronie, selon des sources concordantes.
Le président (Renaissance) de la Commission des Lois, Sacha Houlié, a fait savoir qu'il voterait contre le texte issu de la Commission mixte paritaire (CMP), dont il présidait pourtant les travaux, et qui accorde de larges concessions à la droite.
Allié historique du président, le président du MoDem, François Bayrou, a fait savoir qu'il "n'acceptera pas" un texte sur l'immigration "revendiqué" par le RN, selon des sources concordantes.
La crise est donc ouverte dans le camp du président. Un ministre, sous couvert d'anonymat, explique à l'AFP n'être "pas du tout" à l'aise avec le dénouement et le vote du Rassemblement national.
Le soutien du parti d'extrême droite au texte s'apparente au "baiser de la mort" pour la majorité, s'alarme un député Renaissance, macroniste de la première heure.
"On est dans la main du RN, on a perdu sur tous les tableaux" et Marine Le Pen "a tout gagné", s'exaspère une députée du groupe centriste.
Même le mouvement de jeunesse de Renaissance, les "Jeunes avec Macron", a appelé ministres et parlementaires à ne pas soutenir un texte "inacceptable".
- "L'irréparable" -
Quelques heures auparavant, au beau milieu d'une séance de questions au gouvernement électrique, la nouvelle tombait que le RN voterait pour le texte issu de la CMP, Marine Le Pen revendiquant une "victoire idéologique".
Ce cénacle composé de sept députés et sept sénateurs venait d'annoncer être parvenu un accord sur un texte nettement durci et sans ambiguïté inspiré par la droite. Une victoire aux yeux des Républicains (LR) qui "imposent" ce texte "ferme et courageux", selon le patron du parti Éric Ciotti.
"Un grand moment de déshonneur pour le gouvernement", a au contraire dénoncé le chef des députés socialistes, Boris Vallaud.
Numériquement, les voix du RN pourraient faire pencher la balance, mais politiquement l'équation à résoudre pour la majorité devient extrêmement délicate.
Le groupe centriste Liot, qui ne fait pas partie de la majorité, mais dont le soutien était attendu par l'exécutif, a demandé le retrait du texte, "source de grande fracturation politique".
"Quel spectacle donnons-nous? Notre démocratie est malade", a déploré son président Bertrand Pancher en interpellant la Première ministre Élisabeth Borne lors des traditionnelles Questions au gouvernement.
Beaucoup plus offensif, le président du groupe communiste André Chassaigne a vertement critiqué les concessions faites aux droites: "Vous êtes sur le point de commettre l'irréparable (...) N'ajoutez pas le déshonneur à la compromission", a-t-il lancé à Élisabeth Borne.
"Sortez des slogans, des postures en voulant faire croire, en voulant faire l'amalgame entre notre texte et les positions de l'extrême droite", a répliqué la Première ministre, haussant la voix pour couvrir les protestations de la gauche.
La commission mixte paritaire a finalement réussi à surmonter un obstacle sur le fond entre le camp présidentiel et la droite: instaurer un délai de carence de 5 ans pour que les étrangers puissent accéder aux aides personnalisées au logement (APL).
Un compromis vient réduire à trois mois cette durée pour les étrangers qui travaillent, en exemptant de cette carence les étudiants et les réfugiés.
- "Besoin de main d'œuvre immigrée" -
Le camp présidentiel a validé plusieurs mesures réclamées par la droite, notamment des quotas d'immigration pluriannuels définis au Parlement, le rétablissement d'un délit de séjour irrégulier puni d'une amende. La CMP a également confirmé mardi après-midi que les régularisations de travailleurs sans-papiers se feront au cas par cas et sous la responsabilité des préfets.
Le gouvernement a par ailleurs répondu aux ultimatums des Républicains, avec notamment un engagement écrit à réformer l'aide médicale d'État "en début d'année 2024".
Pour le leader insoumis Jean-Luc Mélenchon, la loi immigration "défigure l'image de la France".
Les opposants à un texte trop dur ont reçu mardi le soutien du Medef, par la voix de son patron Patrick Martin, qui a souligné que l'économie française aurait "massivement" besoin de "main d'œuvre immigrée" dans les prochaines décennies.
Parallèlement, une cinquantaine d'associations, syndicats et ONG, dont la Ligue des droits de l'Homme, dénonçaient le texte "le plus régressif depuis au moins quarante ans" en France. [AFP]