"Vous voulez voir à quoi ressemblent des milliards de dollars en gestation?" P.J. Okocha, jean et baskets aux pieds, s'engouffre dans une petite maison moderne perdue dans la campagne d'Abeokuta, dans le sud du Nigeria. Derrière la porte s'étalent un millier de semis de patate douce.
"Avec ça, nous pouvons produire des millions d'autres semis", lance le jeune homme dans un large sourire.
A 34 ans, Peter Okocha Junior, aka P.J., a déjà investi dans les transports portuaires et dans le développement de la région pétrolière du Delta, où sa famille a fait fortune. Mais son eldorado à lui sera vert, il en est convaincu.
"J'ai toujours voulu investir dans l'agriculture, mais je ne savais pas comment", raconte-t-il à l'AFP. "Un jour, en traînant sur Twitter, je suis tombé sur un chercheur agronome et je lui ai écrit 'Salut mon frère, ça te dirait qu'on change le monde ensemble?'"
En quelques mois, leur compagnie PS Nutrac était née. Deux ans plus tard, des dizaines de milliers de plantes poussent sous des serres de bambous, cultivées à l'infini en aéroponie, c'est-à-dire sans terre et grâce à un ingénieux système d'aération et d'arrosage, une forme de culture hors-sol rare dans les pays en développement.
Cet après-midi de juin, les employés de PS Nutrac ont réuni un groupe de petits agriculteurs de la ville voisine pour les former sur les nouvelles variétés bio de patate douce qu'ils ont développées.
Tous les jeunes du village ont quitté la campagne pour aller "vivre en ville", explique Chef Awufe Ademola, la soixantaine et propriétaire d'une petite exploitation d'un peu plus de trois hectares.
Assis en rangs, les fermiers traditionnels ont le dos courbé et les mains calleuses. Face à eux, les formateurs ont tous moins de 35 ans.
- Défi alimentaire -
"On est tous jeunes et on veut rendre l'agriculture plus rentable et plus sexy", souffle P.J. Okocha. "La moyenne d'âge des agriculteurs est de 60 ans, il est nécessaire que la nouvelle génération retourne à la terre (...) et les technologies et l'automatisation peuvent rendre le secteur plus attractif pour les jeunes", lance-t-il.
Le défi alimentaire est immense: le Nigeria compte 180 millions d'habitants et devrait être le 3ème pays le plus peuplé au monde en 2050.
Après la découverte de gigantesques réserves d'or noir dans les années 1950, les dirigeants successifs et les investisseurs privés n'ont eu qu'une obsession, le pétrole, négligeant les autres secteurs économiques.
L'accès des produits agricoles aux mégalopoles de plusieurs millions d'habitants se fait grâce à des camions hors d'âge sur des routes défoncées. Il n'existe pas assez de hangars de stockage, encore moins réfrigérés, et les usines de transformation restent rares.
Pour ne prendre que l'exemple des agrumes, le Nigeria en produit près de 4 millions de tonnes chaque année... mais 60% des fruits pourrissent. Et le pays importe pour 315 millions de dollars de jus concentré par an, soit 91% de sa consommation (USDA Gain Report, 2009).
Une aberration économique qui fait toutefois rêver, aujourd'hui, les investisseurs.
"Les opportunités qu'offre l'agriculture sont au-delà de l'imagination", explique Buffy Okeke-Ojiudu, 34 ans et heureux propriétaire de 200 hectares d'exploitation d'huile de palme dans le sud-est depuis deux ans.
"Les futurs milliardaires de ce pays seront des fermiers ou des gens qui investissent dans les nouvelles technologies ou l'énergie renouvelable. Et à la différence du pétrole, ce sont des secteurs qui créent de l'emploi", se targue celui qui n'est autre que le petit-fils du premier ministre de l'Agriculture de l'ère post-coloniale.
- Ancien trader -
Mais le retour à la terre n'est pas simple. Le principal problème pour les chefs d'entreprise au Nigeria est l'accès aux prêts bancaires, encore plus dans l'agriculture, considérée comme un secteur "risqué".
"Les taux d'intérêt sont souvent à deux chiffres et il faut des garanties de prêts à 150% de la somme empruntée, ça n'a aucun sens. Conséquence: ceux qui investissent dans l'agriculture le font sur leur fonds propres. Ce sont ceux qui sont déjà riches", explique celui qui fut trader aux Etats-Unis et en Angleterre.
Seyi Oyenuga, lui aussi, a passé l'essentiel de sa vie entre Chicago et Washington, avant de rentrer dans le pays de son père il y a trois ans: il a troqué sa vie américaine et son entreprise de locations d'engins de BTP pour s'installer dans l'Etat d'Oyo (sud-ouest du Nigeria).
Le long de la route, des femmes pilent du manioc séché sur le macadam et les villages semblent endormis. Quasiment toutes les grandes exploitations alentour ont été abandonnées par leurs propriétaires et laissées en friches.
- A la dure -
Mais dans la ferme de Seyi Oyenuga, Atman Farm, on s'active pour recharger les batteries des tracteurs avant d'aller labourer les champs de manioc.
Casquette John Deere sur la tête, chemise vichy bleu ciel et keffieh autour du cou, le fermier soulève à la main des remorques de tracteur avec ses ouvriers, sous un soleil de plomb.
"On a appris à la dure", dit-il.
Négocier avec les chefs traditionnels locaux pour obtenir les titres de propriétés. Creuser au tracteur des sillons dans les champs. Inventer des meules à farine avec des matériaux locaux. Elever des pylônes électrique pour connecter l'usine...
Cette année, il ambitionne de planter du manioc sur 400 hectares, cinq fois plus que l'année dernière, à la première récolte. Et ce n'est qu'un début: il s'est donné à peine dix ans pour atteindre son but ultime de cultiver 2.000 hectares.
"C'est difficile, mais c'est vraiment passionnant", souffle Seyi Oyenuga en s'essuyant le front. "Je suis capable désormais de faire des choses que je n'aurais jamais imaginé possibles".
"Avec ça, nous pouvons produire des millions d'autres semis", lance le jeune homme dans un large sourire.
A 34 ans, Peter Okocha Junior, aka P.J., a déjà investi dans les transports portuaires et dans le développement de la région pétrolière du Delta, où sa famille a fait fortune. Mais son eldorado à lui sera vert, il en est convaincu.
"J'ai toujours voulu investir dans l'agriculture, mais je ne savais pas comment", raconte-t-il à l'AFP. "Un jour, en traînant sur Twitter, je suis tombé sur un chercheur agronome et je lui ai écrit 'Salut mon frère, ça te dirait qu'on change le monde ensemble?'"
En quelques mois, leur compagnie PS Nutrac était née. Deux ans plus tard, des dizaines de milliers de plantes poussent sous des serres de bambous, cultivées à l'infini en aéroponie, c'est-à-dire sans terre et grâce à un ingénieux système d'aération et d'arrosage, une forme de culture hors-sol rare dans les pays en développement.
Des semis de patates douces poussent hors-sol dans la ferme de PJ Okocha, le 5 juin 2018 à Wasinmi, au Nigerian / © AFP / STEFAN HEUNIS
Tous les jeunes du village ont quitté la campagne pour aller "vivre en ville", explique Chef Awufe Ademola, la soixantaine et propriétaire d'une petite exploitation d'un peu plus de trois hectares.
Assis en rangs, les fermiers traditionnels ont le dos courbé et les mains calleuses. Face à eux, les formateurs ont tous moins de 35 ans.
- Défi alimentaire -
P.J. Okocha (d) cofondateur de PS Nutrac et l'ingénieur agronome Gbolahan Falarin (g) inspectent les nouveaux semis, le 5 juin 2018 à Wasinmi, près d'Abeokuta, au Nigeria / © AFP / STEFAN HEUNIS
Le défi alimentaire est immense: le Nigeria compte 180 millions d'habitants et devrait être le 3ème pays le plus peuplé au monde en 2050.
Après la découverte de gigantesques réserves d'or noir dans les années 1950, les dirigeants successifs et les investisseurs privés n'ont eu qu'une obsession, le pétrole, négligeant les autres secteurs économiques.
L'accès des produits agricoles aux mégalopoles de plusieurs millions d'habitants se fait grâce à des camions hors d'âge sur des routes défoncées. Il n'existe pas assez de hangars de stockage, encore moins réfrigérés, et les usines de transformation restent rares.
Pour ne prendre que l'exemple des agrumes, le Nigeria en produit près de 4 millions de tonnes chaque année... mais 60% des fruits pourrissent. Et le pays importe pour 315 millions de dollars de jus concentré par an, soit 91% de sa consommation (USDA Gain Report, 2009).
Une aberration économique qui fait toutefois rêver, aujourd'hui, les investisseurs.
"Les opportunités qu'offre l'agriculture sont au-delà de l'imagination", explique Buffy Okeke-Ojiudu, 34 ans et heureux propriétaire de 200 hectares d'exploitation d'huile de palme dans le sud-est depuis deux ans.
"Les futurs milliardaires de ce pays seront des fermiers ou des gens qui investissent dans les nouvelles technologies ou l'énergie renouvelable. Et à la différence du pétrole, ce sont des secteurs qui créent de l'emploi", se targue celui qui n'est autre que le petit-fils du premier ministre de l'Agriculture de l'ère post-coloniale.
- Ancien trader -
Mais le retour à la terre n'est pas simple. Le principal problème pour les chefs d'entreprise au Nigeria est l'accès aux prêts bancaires, encore plus dans l'agriculture, considérée comme un secteur "risqué".
"Les taux d'intérêt sont souvent à deux chiffres et il faut des garanties de prêts à 150% de la somme empruntée, ça n'a aucun sens. Conséquence: ceux qui investissent dans l'agriculture le font sur leur fonds propres. Ce sont ceux qui sont déjà riches", explique celui qui fut trader aux Etats-Unis et en Angleterre.
Seyi Oyenuga, lui aussi, a passé l'essentiel de sa vie entre Chicago et Washington, avant de rentrer dans le pays de son père il y a trois ans: il a troqué sa vie américaine et son entreprise de locations d'engins de BTP pour s'installer dans l'Etat d'Oyo (sud-ouest du Nigeria).
Le long de la route, des femmes pilent du manioc séché sur le macadam et les villages semblent endormis. Quasiment toutes les grandes exploitations alentour ont été abandonnées par leurs propriétaires et laissées en friches.
- A la dure -
Mais dans la ferme de Seyi Oyenuga, Atman Farm, on s'active pour recharger les batteries des tracteurs avant d'aller labourer les champs de manioc.
Casquette John Deere sur la tête, chemise vichy bleu ciel et keffieh autour du cou, le fermier soulève à la main des remorques de tracteur avec ses ouvriers, sous un soleil de plomb.
"On a appris à la dure", dit-il.
Négocier avec les chefs traditionnels locaux pour obtenir les titres de propriétés. Creuser au tracteur des sillons dans les champs. Inventer des meules à farine avec des matériaux locaux. Elever des pylônes électrique pour connecter l'usine...
Cette année, il ambitionne de planter du manioc sur 400 hectares, cinq fois plus que l'année dernière, à la première récolte. Et ce n'est qu'un début: il s'est donné à peine dix ans pour atteindre son but ultime de cultiver 2.000 hectares.
"C'est difficile, mais c'est vraiment passionnant", souffle Seyi Oyenuga en s'essuyant le front. "Je suis capable désormais de faire des choses que je n'aurais jamais imaginé possibles".