L’Afrique, éternel parent pauvre du commerce international

Samedi 10 Septembre 2016

Potentiel levier de la transformation structurelle et la croissance en Afrique, la structuration des échanges commerciaux souffre d’un déficit patent de cohérence, d’équilibre et d’équité à l’échelle continentale. La faute à une industrialisation poussive, des marchés enclavés, des accords multilatéraux aux relents léonins et impérialistes, autant de facteurs cumulés à une vraie crise de leadership politique à l’échelle continentale. Décryptage.
 
Thèse géopolitique usitée dès les années 1950 pour exprimer les déséquilibres inhérents aux échanges commerciaux entre les pays industrialisés et les pays les moins avancés, la détérioration des termes de l’échange présente une série de résurgences qui marquent jusqu’à présent la charpente de l’économie mondiale. Cette thématique a parcouru, en filigrane, le panel organisé de manière conjointe par le Centre de recherches économiques appliquées (Crea) et l’Ecole doctorale des sciences juridiques, politiques, économique et de gestion (Edjpeg) de l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad) – articulé autour des voies et moyens à emprunter en vue de faire du commerce un levier pour la transformation structurelle et la croissance en Afrique.
 
Appelés à mener les débats, le professeur Kako Nubupko, directeur de la francophonie économique et numérique, ainsi que le docteur Cheikh Tidiane Dièye, directeur exécutif du Centre africain pour le commerce, l’intégration et le développement (Enda Cacid) ont abondé dans le même sens. Tous deux soulignant la nécessité pour les Etats africains de «s’industrialiser davantage et d’optimiser l’intégration et le commerce intra régional» pour tirer leur épingle du jeu de la mondialisation.
 
A la lueur de ce constat, l’accent a été mis sur les négociations bilatérales et multilatérales, le renforcement des échanges transfrontaliers ainsi que sur la (bonne) gouvernance des ressources naturelles à l’échelle continentale. Ceci, «afin que les politiques d’intégration régionale en gestation soient bâties autour de l’impératif de faire desdites ressources le principal levier pour garantir le progrès économiques et social des populations africaines».
 
Dans cette dynamique, les panélistes ont souligné «l’impératif d’appuyer les Etats et  les institutions régionales pour accroitre leurs capacités à conclure des accords commerciaux qui défendent les intérêts nationaux et les populations pauvres». Ils ont également déploré, en présence du professeur Ahmadou Aly Mbaye, la faiblesse de la contribution africaine dans les échanges commerciaux mondiaux et dans les négociations commerciales.
 
«Effets pervers de la désindustrialisation»
Assurant que «le moment de construction de la politique commerciale de chaque pays est essentiel», le Docteur Cheikh Tidiane Dièye a indiqué que «le débat est souvent mal posé parce qu’on le voit seulement sous l’angle d’une querelle idéologique où certains disent qu’il faut protéger les marchés tandis que d’autres préconisent de les libéraliser». 

Sous ce rapport, il a assuré que «ce qui est constant, si on regarde l’économie politique dans les phases récentes, c’est que toutes les économies qui ont réussi à émerger, qui ont réussi à créer les conditions de leur transformation structurelle, sont celles qui ont amalgamé un nombre infini d’instruments à des moments différents selon les contextes, selon les  changements dans leur pays, dans leur région où dans le monde».
 
Dans un autre registre, le directeur exécutif du Cacid a déploré la phase de désindustrialisation consécutive aux indépendances. «Là où malheureusement dans nos pays africains on a eu beaucoup de difficultés, c’est qu’on a eu un début d’industrialisation plus ou moins précaire après les indépendances, et finalement lorsqu’on nous a forcé à l’ouverture alors que les structures de production n’étaient pas suffisamment bien installées, on s’est exposé alors que ce n’était pas le moment de le faire», a-t-il fait remarquer.

Ainsi, «la concurrence a disloqué notre tissu industriel à tel point qu’on est tombé aujourd’hui dans une phase de désindustrialisation plus ou moins profonde (…) Lorsque vous êtes dans un environnement international ou chaque pays organise sa politique et essaie de tirer profit des opportunités des autres marchés, chacun a les mêmes intérêts et il faut créer des conditions de négociation pour que chacun puisse en tirer profit».
 
«Blocages à l’Omc, haro sur les Ape»
Selon le Docteur Dièye, «la tendance, c’est qu’avec le blocage actuel dans les négociations multilatérales à l’Organisation mondiale du commerce (Omc),  un fait marquant de l’actualité de ces dernières années, c’est l’apparition de ce qu’on appelle les méga accords commerciaux régionaux». Explication : «ce sont des accords qui vont certainement bouleverser ou dessiner le prochain visage de l’économie mondiale mais l’Afrique est quasiment exclue de ces blocs. Elle a certes mis en place un processus autour de la zone de libre-échange continentale. C’est le meilleur instrument pour qu’elle puisse faire face aux effets négatifs de ces méga accords commerciaux régionaux. Malheureusement - inconstance ou incohérence africaine – l’Afrique fait autre chose qui va détruire cette zone de libre échange en signant les accords de partenariat économiques».
 
Selon un grand nombre d’observateurs et d’experts du commerce international, les Ape aujourd’hui en gestation, s’ils sont signés et mis en œuvre par les différentes régions africaines, vont contrarier ou entraver tous les effets positifs que l’on pourrait tirer de la zone de libre-échange économique continentale, «et ce sont les recherches de la commission économique pour l’Afrique qui l’ont démontré», a précisé le Dr Dièye.
 
«Crise de leadership»
Pour sa part, en évoquant la problématique de l’industrialisation, le professeur Kako Nubupko a élevé la filière cotonnière en cas d’école. Ancien membre de la commission de l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa), et ancien ministre togolais en charge de la Prospective et de l’Evaluation des politiques économiques, il dénonce le faible taux d’industrialisation dans ce secteur, en dépit des engagements solennels pris dans ce sens par des chefs d’Etat dont il n’a pas manqué de déplorer l’attitude. Il a souligné le caractère non équitable du commerce international et plaidé en faveur d’une transformation de nos matières premières sur le continent pour renforcer le tissu économique.
 
«Constatant en 2003 que les 97% de la fibre de coton était exportés sans être transformés, les chefs d’Etat s’étaient réunis en effet sous la tutelle de la commission de l’Uemoa et ils avaient fixé l’objectif de transformer au moins 25% de cette matière première à l’horizon 2010. Nous sommes présentement en 2016 et jusqu’à présent seulement 3% de la fibre de coton sont transformés sur le continent», s’est insurgé le Pr Nubupko. «C’est une aberration, d’autant plus que les chefs d’Etat ne se sont plus jamais réunis depuis 2003 pour assurer le suivi de cette mesure», a-t-il déploré, non sans fustiger ce qu’il assimile à une vraie crise de leadership à l’échelle continentale. (Mohamed Ndjim)
 
 
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