L'association anticorruption Anticor perd son agrément, des élus des oppositions s'indignent

Vendredi 23 Juin 2023

Sans ce feu vert, elle ne pourra plus déposer de plainte avec constitution de partie civile. L'association est impliquée dans 159 procédures, dont les enquêtes visant le secrétaire général de l'Élysée Alexis Kohler et le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti.
 
Deux anciens membres d'Anticor avaient saisi la justice, contestant l'arrêté renouvelant son agrément en 2021, signé par le Premier ministre Jean Castex et non par le ministre de la Justice, justement en raison du dossier l'impliquant. 
 
La justice a annulé, vendredi 23 juin, l'arrêté renouvelant l'agrément judiciaire qui permettait à Anticor d'intervenir en justice dans des dossiers de lutte contre la corruption. Cela fait craindre aux dirigeants de l'association "des impacts très négatifs" pour plusieurs affaires politico-financières en cours. "L'agrément a été annulé" par le tribunal administratif de Paris, "avec effet rétroactif au 2 avril 2021", date du dernier renouvellement de l'agrément, précise à l'AFP Élise Van Beneden, présidente d'Anticor depuis 2020.
 
Sans l'agrément, il sera très difficile pour l'association de déclencher de nouvelles poursuites, puisqu'elle ne peut plus déposer de plaintes avec constitution de partie civile, sauf à démontrer un "préjudice personnel et direct". Cela signifie aussi qu'elle n'est plus partie civile dans les affaires où elle s'était constituée après avril 2021. 

Le Mondial au Qatar, Alstom-General Electric, Benalla 

Anticor, créée en 2002, était impliquée jusqu'alors dans 159 procédure en cours. Entre autres, l'attribution du Mondial de football au Qatar, l'enquête pour prise illégale d'intérêts visant le secrétaire général de l'Élysée Alexis Kohler, ou celle contre le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti devant la Cour de justice de la République. C'est en raison de ce dernier dossier que le renouvellement avait été signé par l'ex-Premier ministre Jean Castex, et non par le ministre de la Justice, après des mois d'incertitude.

Plus récemment, des poursuites ont été déclenchées par une plainte d'Anticor dans le dossier de la cession de la branche énergie d'Alstom à General Electric, ou encore dans les contrats russes d'Alexandre Benalla. Selon deux spécialistes de la procédure pénale, très peu de dossiers seraient menacés d'annulation pure et simple. Mais certains points de la procédure pourraient être contestés et l'avancée des informations judiciaires reposerait entièrement sur le juge d'instruction. 

Anticor va contester la décision 
 
Or "il y a des instructions où on est très actif, en lien avec les lanceurs d'alerte anonymes, qui nous donnent des documents qu'on fait parvenir au juge d'instruction. On peut aussi lui glisser des pistes" pour suggérer certaines auditions de témoins, explique Élise Van Beneden. Anticor entend contester la décision devant la cour administrative d'appel de Paris et déposer rapidement "une demande de nouvel agrément". 

"La légitimité d'Anticor à bénéficier d'un agrément ne fait aucun doute. L'exécutif doit assurer au plus vite (son) renouvellement" avec "un arrêté juridiquement inattaquable", estime Transparency International, l'une des deux autres associations titulaires d'un agrément anticorruption, avec Sherpa. 

Soutiens d'élus LR, RN et LFI

Anticor devait tenir une conférence de presse à Paris vendredi, en présence de "députés qui soutiennent l'association", le patron des députés LR Olivier Marleix et l'élue LFI Raquel Garrido. D'autres élus ont exprimé leur soutien sur Twitter. "Sans Anticor, combien de scandales de corruption n'auraient pas vu le jour ?", s'est interrogée l'eurodéputée LFI Manon Aubry, qui dénonce une "décision scandaleuse et incompréhensible".
 
La cheffe de file des députés LFI Mathilde Panot y voit "une nouvelle attaque contre les libertés associatives", tandis que l'eurodéputé Gilbert Collard (Reconquête) estime que "cela va faire l'agrément de tous les corrompus". 

Deux anciens membres dissidents d'Anticor avaient saisi la justice en juin 2021. Ils estimaient la procédure de renouvellement irrégulière et jugeaient que l'association ne remplissait pas les conditions exigées : activités indépendantes et désintéressées, information des membres sur la gestion... À l'audience, le 12 juin, la rapporteuse publique avait estimé que l'arrêté était "clairement entaché" d'une "erreur de droit".

"La question politique derrière, c'est que les associations anticorruption dérangent énormément"

La loi "ne prévoit nullement la possibilité pour l'administration de passer outre le non-respect" des conditions nécessaires pour l'agrément, "au prétexte que l'association prendrait l'engagement de s'y conformer pour l'avenir", avait-elle argumenté. 
 
La rapporteuse publique avait aussi minimisé la portée d'une annulation de l'agrément. Elle estimait que "l'intérêt général (...) ne serait pas affecté", puisqu'"une fois les poursuites engagées, le ministère public n'a pas la possibilité d'y renoncer". 

"L'agrément a justement été créé parce qu'il y a un problème avec le procureur de la République. La question politique derrière, c'est que les associations anticorruption dérangent énormément", regrette Me Élise Van Beneden, qui avait déjà vu des motifs politiques dans le laborieux renouvellement de 2021. 
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