L'élection de Andres Manuel Lopez Obrador, peut-être un tournant dans la guerre antidrogue au Mexique

Lundi 2 Juillet 2018

CHILPANCINGO, Mexique (Reuters) - Depuis douze ans, les autorités mexicaines mènent une guerre sans merci contre les cartels de la drogue. Des milliers de soldats et de policiers sont déployés à travers le pays pour affronter les narcotrafiquants.

Elu dimanche à la présidence, le candidat de gauche Andres Manuel Lopez Obrador, qui ne prendra ses fonctions qu'en décembre, a promis durant la campagne électorale d'adopter une autre approche, évoquant même d'éventuelles négociations et une amnistie pour certains collaborateurs des cartels.

"La stratégie actuelle n'a pas fait baisser l'insécurité et la violence. Il faut donc en changer", a déclaré "AMLO" dimanche soir, peu après l'annonce de sa large victoire.

"Plus que l'usage de la force, nous allons nous attaquer aux causes de l'insécurité et de la violence", a-t-il ajouté, en annonçant des consultations avec des groupes de défense des droits de l'homme, des dirigeants religieux et des représentants des Nations unies en vue de préparer "un plan de paix et de réconciliation".

Pour l'instant, ses propositions restent vagues. Mais la simple idée d'une amnistie, ne serait-ce que pour les criminels les moins impliqués dans les crimes des cartels, se heurtera sans aucun doute à une forte opposition, tant dans le monde politique que dans le public.

Olga Sanchez, qui devrait devenir ministre de l'Intérieur dans l'équipe de Lopez Obrador, a souligné que le nouveau pouvoir allait aborder autrement la lutte contre les narcotrafiquants, quelles que soient les oppositions.

La réponse militaire lancée en 2006, affirme-t-elle, a peut-être permis de mettre hors d'état de nuire plusieurs barons de la drogue mais elle n'a pas empêché plus de 200.000 assassinats.

"MESURES SPECTACULAIRES"

"Dès que nous serons au pouvoir, nous prendrons des mesures spectaculaires", a-t-elle assuré à Reuters avant l'élection de dimanche.

Certaines de ces mesures, a-t-elle ajouté, devront être prises de manière progressive, comme la réduction des forces militaires engagées contre les cartels. A plus long terme, elle a évoqué des pistes comme la dépénalisation de la marijuana et la culture de l'opium à des fins médicales.

Pour évaluer les chances de succès d'une paix négociée, son équipe a étudié l'accord conclu en Colombie entre le gouvernement et les ex-guérilleros marxistes des Farc (Forces armées révolutionnaires de Colombie).

Des mesures législatives pourraient être prises pour offrir une porte de sortie aux trafiquants les moins impliqués qui reconnaîtraient leurs erreurs. Des commissions seraient créées pour enquêter sur les atrocités commises et des indemnités pourraient être versées aux victimes.

Les mesures de clémence ne concerneraient que les paysans et auxiliaires des cartels qui n'ont pas commis de meurtres.

Olga Sanchez a précisé que tout plan d'amnistie serait soumis à référendum. S'il est approuvé, il sera alors soumis au vote du Congrès.

Reste que l'éventualité d'une amnistie, même partielle, choque beaucoup de Mexicains, dont 70% sont opposés à une telle mesure, selon un récent sondage.

"Je veux voir les coupables derrière les barreaux, pas en liberté", s'insurge ainsi Laura Flores, dont le mari Daniel Velasquez, a été assassiné en 2015.
 
UN ÉVÊQUE FACE AUX BARONS DE LA DROGUE

Elle vit dans l'Etat de Guerrero, sur le Pacifique, l'une des zones du pays les plus touchées par la violence. C'est ici que Lopez Obrador a lancé pour la première fois son idée d'amnistie, lors d'un discours en décembre dernier.

Selon la DEA, les services antidrogue américains, 93% de l'héroïne circulant aux Etats-Unis proviennent de l'Etat de Guerrero.

Un évêque de la région, Mgr Salvador Rangel, s'est fait depuis 2016 l'avocat d'une autre politique envers les narcotrafiquants, partant du constat que les cartels font la loi dans certaines zones.

Agé de 72 ans, l'évêque de Chilpancingo-Chilapa a donc pris sur lui de rencontrer des barons de la drogue pour les exhorter à mettre fin à la violence.

"Je leur ai demandé d'arrêter les assassinats, les enlèvements, les extorsions", a-t-il expliqué lors d'une récente interview. "Heureusement, ils m'ont entendu", assure-t-il.

Pourtant, entre le 8 septembre 2017 et le 25 juin, au moins 14 candidats aux élections législatives qui se tenaient également dimanche ont été assassinés, un record national, selon l'agence Etellekt.

Interrogé sur cette "nouvelle approche" dans la guerre de la drogue prônée par Lopez Obrador, Leo Silva, ancien responsable de la DEA au Mexique aujourd'hui à la retraite aux Etats-Unis, une amnistie serait "une insulte pour tout le travail que la DEA et le gouvernement du Mexique ont fait dans la lutte contre la drogue".
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