J'entends souvent que les femmes ont moins d’humour que les hommes. Si cela est vrai, c’est qu’elles seraient moins portées à se consoler de ce qu’elles sont, d’autant qu’elles peuvent sortir d’elles-mêmes plus facilement.
L’humour, c’est mon pouvoir de me consoler, d’en être là où j’en suis, et ce, avec une feinte particulière (mais quel rire est sans feinte ?), une feinte qui consiste à valoriser ma misère pour éviter qu’on me plaigne, peut-être aussi pour détourner le mauvais sort, pour le dissuader. Me prendre en dérision me permet de me reprendre, de rebondir encore et toujours. On dit précisément d’un rire qu’il est «communicatif », et comme le dit fort justement Pagnol, « rire exige une société, du moins un dialogue ».
Rire de soi permet de faire taire les meurtrissures de l'ego et d'amorcer le dialogue avec soi, de l’empêcher d’agir et de neutraliser ses effets en nous, en particulier son insatiable avidité aussi mauvaise pour nous que pour les autres et son impatience à posséder ou à rejeter. Elle nous fait prendre conscience que nous ne sommes pas l’ego, mais que nous le produisons, et que nous pouvons donc nous libérer de son emprise.
Et le fait de savoir rire de tout, de soi et des autres permet, que l'on soit dans une posture assez ambiguë ou dédoublée du fait qu'on est dans la misère, de se consoler (comme on console un autre), on se hisse à la place de celui qui s’en est sorti et qui en parle supérieurement. On est les deux. Ça fait sourire comme si l’on jouait un petit tour au destin.
Alors, l'humour est vital. Il nous permet, comme tout sourire le fait, d'exprimer nos humeurs. Il y a un lien profond entre l'humain, l'humeur et l'humour. L'expression de l'humeur se traduit sur nos visages par des sourires, mais ce sourire peut être cruel lui aussi comme rire. L'humour est plutôt la manière de jouer avec le négatif, d'une manière délibérément positive et tendre. Il n'y a pas d'humour sans tendresse et il n'y a pas de tendresse sans humour.
Il n'y a pas de tendresse sans sourire, la tendresse qui nous a constitué au début de nos vies, qui continue à nous accompagner pour le meilleur, et toujours contre le pire. Cette tendresse se manifeste toujours par la face positive du sourire et de l'humour que l'on dit à juste titre partagé.
Pour essayer néanmoins quelques angles d’attaque de l’humour, soumettons-le au pianocktail de Boris Vian (1963). En fond de base, il y a l’humour comme construit inhérent aux sociétés humaines, ajoutons-y un rapport particulier au réel (décalé, supérieur, analytique), des formes multiples (théâtral ou ordinaire, comique ou grinçant, résigné ou conquérant), puis des effets (affectifs, cognitifs, motivationnels ou comportementaux), et l’on obtient le précipité d’un élément constitutif des rapports sociaux, une dimension des communications plutôt positive dans son ensemble. Dans ses contours collectifs, lorsqu’il est partagé ou reconnu de tous, l’humour est institution ou profession, thérapie et catharsis.
A consommer donc sans modération. Une cuillerée le matin, une cuillerée le soir… En s'arrogeant le droit de se moquer de soi même et en arrachant à l’autre l’initiative de se moquer de vous et même de vous consoler, l'humour ne peut que rejoindre votre propre consolation, celle que vous esquissez.
Khady Gadiaga, 09 décembre 2024