LANSANA GAGNY SAKHO (DG OFOR): «Il est temps que les gens paient l’eau à Touba »

Dimanche 2 Octobre 2016

Pour régler définitivement la question de l’accès à l’eau potable dans le monde rural, l’Etat a décidé de  déléguer  la gestion à des privés. C’est dans ce cadre que l’Ofor a été créé. Son Directeur général, Lansana Gagny Sakho, revient sur les grands axes de cette réforme tout en n’occultant pas la question brûlante de l’eau à Touba.
 
L’Etat veut réformer l’hydraulique rurale. Quels en sont les grands axes ?
La mise en place de l’Ofor  a démarré depuis 1984 où l’Etat avait commencé à mettre en œuvre la réforme. Au fil des années, tous  les investissements ayant été faits, on s’est rendu compte qu’il y une césure très importante en matière d’approvisionnement en eau pour les populations du monde rural. Il y avait également des problèmes sur l’eau d’élevage et d’agriculture. C’est dans ce cadre  que l’Etat a engagé  la réforme. L’objectif principal, c’est d’arriver à avoir le même service de qualité que nous avons dans l’urbain et dans le monde rural. C’est cela, le pendant essentiel de la réforme.
 
Pourquoi la mise en œuvre a-t-elle tardé à se faire ?
En fait, la mise en œuvre a commencé depuis 1984, C’est un processus. Et  là, nous sommes  arrivés dans une phase de maturation. Ce que nous voulons faire en réalité, c’est voir ce qui a très bien marché dans l’urbain et de le mettre en application dans le monde rural. La qualité de l’eau est un problème dans le monde rural certes, mais ce qui est plus difficile, c’est l’accès à l’eau. Je dis souvent que ceux qui souffrent le plus dans le monde rural, ce sont les femmes et les enfants. Vous allez au Fouta, vous avez des femmes qui marchent 20 kilomètres par jour pour  chercher de l’eau. Vous avez des enfants que ne vont pas du tout à l’école parce qu’ils accompagnent leur maman ou parce qu’il faut faire la corvée d’eau.  Pour ce qui est de l’agriculture et  de l’élevage, il y avait de l’eau mais  à des prix qui ne permettent pas d’avoir des filières compétitives. C’est pourquoi on a lancé la réforme.  Le 1er octobre 2014, l’Ofor est mis en place et c’est vraiment une phase terminale.
 
Récemment, les ministres de l’Hydraulique et de l’Economie et des Finances ont fait une tournée dans le Ferlo pour faire l’état des lieux des forages. Qu’en est-il ?
La situation des forages, on va en parler à deux niveaux. Il y a ceux qui sont gérés par les associations des usagers du forage (Asufor) qui sont dans une situation intermédiaire de professionnalisation. Au niveau de ces forages, on a les mêmes problèmes liés aux prix qui sont très élevés dans certains cas de figure. Il y a de gros problèmes de qualité mais aussi des problèmes d’accès. Il y a quelques exceptions comme le forage de Cayar qui marche très bien,  comme deux ou trois autres qui marchent bien également. De façon globale, la situation est très difficile, ces populations souffrent beaucoup. L’autre partie, c’est les forages qui sont gérés par un opérateur  privé où nous sommes parvenus à faire baisser le prix de l’eau, où le problème de la  continuité du service est définitivement réglé, mais surtout où le problème de la qualité de l’eau est réglé. Nous allons engager deux étapes. Là, nous allons passer en délégation de service publicles régions de Thiès et de Diourbel. C’est 239 forages, une population de 2,5 millions de personnes qui vont sortir de tous ces problèmes. Tant que nous avons un système de gestion  par les Asufor, cela va être assez difficile. L’autre problème important, c’est qu’on était dans les Omd devenus Odd qui mettent essentiellement l’accent sur la qualité et la proximité du point d’eau. Pour vous, avoir un robinet chez vous est une banalité ; mais dans le monde rural, c’est un luxe. Quand on va dans cette logique des Odd, il faut forcément que nous changions d’approche. Le processus est en cours et je suis très optimiste. D’ici fin 2017, on aura fait des progrès considérables.
 
Dans le dispositif actuel, quelle est la place des Asufor qui avaient fini d’occuper une place incontournable dans la gestion de l’eau ?
Les Asufor n’ont pas pour rôle de gérer des forages mais un rôle de représentation des usagers des forages. C’est cela qui est dans les textes réglementaires. A un certain moment, il y a eu des dérives. On n’a pas pu tout contrôler. Les Asufor ne disparaissent pas, elles  vont rester mais avec un statut de représentation pour défendre les consommateurs. Quand vous prenez le secteur de l’urbain, vous avez un contrat entre la Sde et la Sones avec ce qu’on appelle une régulation par contrat, avec une définition nette des rôles et responsabilités de chaque partie. Ce que nous allons faire dans le monde rural est complètement différent. On va faire une délégation de service public mais il y aura justement une troisième partie, les Asufor et les collectivités locales. Elles vont jouer un  rôle d’arbitre et de régulateur entre l’Ofor et le secteur privé qui va arriver.
 
Il y a des Asufor qui ont véritablement fonctionné,c’est le cas à Taïba Ndiaye par exemple. Leur modèle de gestion est-il pris en compte dans le nouveau dispositif ?
Effectivement.  On a regardé ce qu’elles font. Il y a des Asufor qui marchent très bien. Nous avons 1500 forages au Sénégal, ce qui équivaut à 1 500 Asufor. Naturellement, sur ces 1500,  tout ne peut pas être mauvais. On nedoit pasavoir deux ou trois Asufor qui fonctionnent bien. On doit avoir 100 Asufor qui fonctionnent, mais la réforme est globale. On ne peut pas être dans une  logique de dire «laisser ces gens-là gérer». La gestion communautaire n’est pas compatible avec  la possibilité d’avoir une agriculture compétitive et un système d’élevage compétitif avec de l’eau potable. Il faut prendre les choses de façon globale. La deuxième chose qu’il faut dire également, c’est que les forages appartiennent à l’Etat du Sénégal.  C’est l’Etat qui avait dit aux Asufor «je vous les confie, pas la gestion mais pour que vous fassiez la représentation ». Maintenant, l’Etat a dit qu’il faut qu’on trouve un système permettant d’améliorer  l’’accès à l’eau potable des populations. C’est pour cela qu’on a introduit la réforme. (…) On parle de Taïba Ndiaye et de Cayar, mais personne ne peut vous dire que l’eau qui est servie  à ces populations  est potable parce que cette eau n’est pas mesurée. L’objectifest très simple c’est la qualité de service que nous avons  dans les villes, avoir la même chose dans le monde rural. Nous sommes tous des sénégalais. On ne doit plus parler d’hydraulique rurale et d’hydraulique urbaine.  C’est un non-sens.
 
Dans la plupart des forages ruraux, l’eau n’est pas consommable ; elle est souvent destinée au bétail, à l’agriculture et aux travaux domestiques. Qu’est-ce qui va changer avec l’Ofor ?
Ce qui va concrètement changer avec l’arrivée de l’Ofor, c’est que nous aurons un interlocuteur. Si l’eau n’est pas potable, nous savons à qui nous adresser. Ce qui va changer aussi, c’est qu’on va  se battre pour avoir de l’eau à un prix abordable pour l’agriculture et pour l’élevage. Vous allez dans le Tassette, l’eau pour l’agriculture est vendu à 300 F Cfa le mètre cube, à 400 F Cfa dans le Kédougou et le Sédhiou alors que la tranche sociale dans les villes est de 200 F Cfa.  C’est tout cela qu’il faut arrêter et corriger.Il y a des choses qu’on doit dépasser si on veut arriver à un développement économique et social
 
Est-ce que pouvez revenir sur  les grandes lignes de  la lettre mission l ’Ofor ?
La lettre de mission, c’est deux choses. Mettre en délégation de service public la gestion hydraulique du monde rural avec trois pendants essentiels : la qualité de l’eau, la continuité du service et des prix en cohérence avec le pouvoir d’achat des populations du monde rural. Il y a aussi des projets importants que nous sommes en train de mener. On va faire sur une année 286 forages grâce à un programme important financé par la coopération chinoise. C’est la première fois qu’on a au Sénégal un projet d’une telle envergure et piloté par un établissement public. Cela va changer fondamentalement beaucoup de choses.  Si vous prenez la partie Sud du pays(Sédhiou, Ziguinchor,  Kolda),c’est  la région la moins dotée en forages. Ce programme va permettre  de combler le gap qui existe avec les autres régions.
 
L’autre difficulté, c’est l’entretien et le dépannage des forages. On nous signale que le forage de Thionck-Essyl est en panne depuis presque 4 ans. Etes-vous au courant de cette situation ?
Je suis bien au courant de cette situation. Il y a des dizaines de forages qui sont en panne depuis très longtemps. C’est pourquoi nous devons passer en délégation de service public. Qu’est-ce qui se passe en réalité ?  L’argent qui est généré par la vente de l’eau doit servir  à réparer les forages en panne. C’est le principe. L’Etat ne devait plus y mettre de l’argent. Mais ce qui se passe dans la majorité des forages, c’est qu’il n’y a aucune traçabilité de cet argent. Dès qu’il y a une panne qui arrive, le forage s’arrête et on appelle l’Etat  pour demander un groupe électrogène ou de l’aide. En réalité, ce n’est  pas le rôle de l’Etat mais nous ne pouvons pas laisser les populations sans eau. Toutefois, il arrive que les pannes soit très complexes et qu’on ne puisse pas les régler dans l’immédiat. Maintenant, si vous avez un opérateur privé, sa  responsabilité est qu’il n’y ait plus de forage en  panne. Dans la zone où nous avons mis une délégation de service public depuis le 1er juillet 2014, on ne m’a pas appelé une seule fois pour me signaler un manque d’eau. Nous avons 1500 forages, nous ne pouvons pas continuer à avoir 1500 interlocuteurs.
 
Quel est le contenu du cahier de charges des privés délégataires de service public ?
C’est un appel d’offres international que nous lançons, ouvert aux entreprises sénégalaises et étrangères. Le processus peut durer six à un an pour montrer que c’est assez rigoureux parce que vendre de l’eau ce n’est pas vendre des cacahouètes. Le cahier de charges c’est quoi ? D’abord, assurer la continuité du service public. Un forage ne doit  pas tomber en panne plus de 48 heures. Et c’est contractuel. Ensuite, il faut que la qualité de l’eau  qui est servie aux populations soit conforme aux normes  bactériologiques. Personne ne doit boire cette eau et tomber malade. En troisièmelieu, il faut développer des programmes qui permettent aux populations d’accéder à l’eau potable. Ce sont là trois choses importantes que nous n’avons pas actuellement dans le monde rural. C’est le sens de cette réforme qui est une première en Afrique. (A suivre)
 
Y a-t-il des entreprises sénégalaises qui ont des chances de gagner ces marchés et de remplir correctement leur mission ?
La première délégation de service public a été gagnée par une entreprise  sénégalaise et  une entreprise hollandaise. Mais une entreprise sénégalaise qui peut seule gérer une délégation de service public hydraulique, ça n’existe pas, à part la Sde. Encore une fois, gérer une délégation de service public dans l’eau, ce n’est pas acheter une pompe ou vendre des cacahouètes. C’est  complétement différent. Donc les entreprises se sont mises ensemble,en consortium, et ont gagné.  La deuxièmedélégation de service public pour la zone Thiès –Diourbel, elle a été remportée par une entreprise canadienne associée à une entreprise sénégalaise. C’est l’occasion de dire que nous privilégions le transfert de compétence. Là, nous avons lancé un deuxième appel d’offres et nous avons beaucoup de réponses.Mais systématiquement, vous avez le savoir-faire qui se combine avec le local.
 
Et les conducteurs de forage ?
C’est un autre aspect essentiel de la réforme. Vous avez 1500 conducteurs  de forage. Ces gens sont payés entre 30 et 80 mille F Cfa par mois,ils travaillent 7 jours sur 7 et ils n’ont pas de contrat de travail. Dans la première délégation de service public, quand l’opérateur est arrivé, la première chose qu’il a  faite, c’est de recruter ces gens et de payer la retraite pour eux. Il n’y a pas que l’aspect amélioration de l’accès à l’eau potable mais il y a des aspects sociaux qui sont très importants et qui seront pris en compte. Avec la première délégation de service public Thiès-Diourbel,plus de 300 emplois directs vont être crées.
 
Parlons du cadre institutionnel de la gestion de l’hydraulique rurale. Il  y a le ministère de l’Hydraulique, le Secrétariat d’Etat, le Pudc, l’Ofor.Est-ce que cela n’annonce pas des conflits de compétence… ?
(il coupe). Il n’y aura aucun problème de coordination. D’abord, l’Ofor est sous la double tutelle des ministères de l’Hydraulique et de l’Economie et des Finances. Le Pudc travaille pour l’Ofor, etje pèse bien mes mots. LePudc fait des forages et les met à la disposition de l’Ofor pour exploitation. Donc il n’y a aucun conflit entre ces eux entités. D’ailleurs on a un contrat de partenariat car il y a une complémentarité entre elles. Le secrétariat d’Etat à l’Hydraulique rurale est un démembrement du ministère de l’Hydraulique et de l’Assainissement. L’architecture  est claire, elle ne souffre d’aucune ambigüité.
 
Et pourtant, on peut penser à des doublons car toutes ces structures que vous citez font quasi la même chose…
C’est une bonne remarque. Le Pudc ne gère pas. Il fait des forages et donne à l’Ofor qui assure l’exploitation. Le gros problème que nous avons dans tout le pays, c’est celui des marchés publics. La femme qui marche 15 km par jour, elle a besoin d’eau ; je ne vais pas lui dire d’attendre encore un an parce qu’il y a quelqu’un qui a introduit un recours. Le Pudc permet d’aller très vite et de régler les problèmes. Il y a ce qu’on appelle au niveau du Pudc un sous-comité technique qui s’occupe du volet hydraulique, il est dirigé par un représentant de l’Ofor. Donc, il ne peut y avoir de conflit ou de collusion mais plutôt une complémentarité entre le PUDC et l’OFOR.
 
On ne peut occulter la question de l’eau à Touba. Lors du dernier Magal, vous disiez qu’il est temps que les gens y commencent à payer l’eau. Est-ce que vous maintenez toujours cette position ?
Pourquoi devrais-je varier dans ma position ? Touba, c’est deux millions de personnes. Logiquement,peut-on laisser une ville de deux millions de personnes au Sénégal ne pas payer l’eau ? Est-ce tenable économiquement ?Ensuite, c’est une question de santé publique. Différer le paiement de l’eau à Touba, c’est différer un problème de santé publique. Allez à Salémata : les gens sont très pauvres, mais ils paient le mètre cube d’eau à 400 F Cfa.. Il faut juste trouver la bonne architecture. Je pense qu’il y a un travail de communication et d’information très importante à faire auprès du khalife général des mourides.
 
Est-ce que vous avez commencé ce travail de communication ?
Nous avons commencé ce travail de communication  mais je pense que c’est même  pris  en charge par les plus hautes autorités pays. Cette situation n’est pas tenable. On est en train de construire l’autoroute Ila Touba. Quand elle sera terminée, Touba peut même devenir la première ville du pays. L’Etat du Sénégal n’a pas les ressources financières pour cela. Aujourd’hui on dit qu’on ne paie pas l’eau à Touba mais en réalité on paie l’eau parce que quand vous allez à Touba, vous ne buvez pas l’eau du forage,vous achetez de l’eau. 90% des gens achètent l’eau à Touba. Est-ce que vous savez que les stations-services, les boulangeries, les usines à glace ne paient pas l’eau à Touba ? Cela veut dire qu’une personne peut développer une activité industrielle à Touba mais qu’elle ne paie pas l’eau. On peut comprendre que, autour de la grande mosquée, on trouve des artifices pour mettre de l’eau potable, de l’eau zam-zam. Mais en dehors de cela, il est temps qu’on réfléchisse sur cette problématique parce que cette situation n’est pas tenable. Je pense que tout le monde en est conscient, il faut un travail de communication et d’information très important. C’est seulement dans ce cadre qu’on pourra faire payer l’eau à Touba, en tenant compte de la spécificité de la ville,avec une démarche inclusive.
 
Est-ce que vous faites de la politique ?
Non.Qu’est-ce qu’on appelle faire de la politique en réalité ?
 
Vous n’êtes pas un politicien professionnel ?
(Rire). Je ne sais pas ce qu’on appelle politicien professionnel.  Mais je  me  bats pour ma communauté.
 
Vous n’êtes pas membre de l’Apr ?
Si être membre de l’APR, c’est travailler pour améliorer les conditions de vie des populations, si être membre de l’APR c’est travailler à la réélection de son Excellence le Président Macky SALL, OUI je suis membre de l’Apr.
 
Donc vous faites de la politique…
Non je ne fais pas de politique dans la compréhension que nous en avons au Sénégal. J’ai bénéficié de la confiance du Chef de l’Etat et mon objectif, c’est de réussir ma mission en améliorant  structurellement les politiques d’accès à l’eau en milieu rural…

 
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