Nous devons rester dans la zone CFA, nous ne devons ni mettre en place une monnaie nationale, ni travailler à court et moyen terme sur la matérialisation d’une monnaie de la CEDEAO.
Le débat sur le franc CFA est régulièrement remis au goût du jour soit par les hommes politiques soit par les intellectuels du continent. Cette monnaie suscite des débats passionnés, des proclamations politiques aussi simplistes que péremptoires. De quoi s’agit-il lorsqu’on parle du franc CFA ?
Lorsque les Etats africains accédèrent à l’indépendance, il fut nécessaire de définir leurs relations monétaires entre eux, avec la France et avec le reste du monde : à l’exception de la Guinée puis du Mali, qui choisirent d’avoir une monnaie totalement indépendante, les relations monétaires des autres Etats furent issues directement de la situation antérieure et prolongeaient l’existence de trois monnaies émises respectivement en Afrique de l’Ouest, de l’Est et du Madagascar. Elles constituaient le système de change des Etats indépendants de la zone franc. Mais la zone n’est pas seulement un système de change, elle est aussi une zone de coopération économique (UEMOA, CEMAC).
Le système de change des pays africains de la zone franc comportait traditionnellement trois caractères :
– Le premier avait trait au régime de convertibilité : entre les pays de la zone franc, le principe était celui d’une totale liberté des changes, tandis qu’à l’égard de l’extérieur la réglementation des changes était identique ;
– Le taux de change entre la France et les pays de la zone franc était fixe ; autrement dit le taux de change des pays membres de la zone à l’égard du reste du monde était défini par l’intermédiaire du taux de change du franc français ;
– Pour assurer la fixité du change et la convertibilité, les réserves monétaires étaient « mises en commun » ; les pays africains devaient détenir leurs réserves monétaires en francs et la France garantissait la valeur des monnaies africaines par rapport au franc. Ce caractère se concrétisait par l’existence d’un « compte d’opérations » ouvert par le Trésor français aux trois instituts d’émission africains et malgache qui y déposaient leurs réserves. Le compte d’opérations peut en principe devenir débiteur de façon illimitée. Aujourd’hui les réserves sont égales à 50 % de leurs avoirs extérieurs net.
Le Sénégal n’est pas prêt à avoir une monnaie nationale
Les avoirs extérieurs net que les pays de l’UEMOA ont dans le compte d’Operations sont de 3019 milliards de FCFA soit 4,6 milliards d’Euro ou 4,9 milliards de dollars. Cette somme équivaut au tiers du bénéfice du groupe Total, la plus grande entreprise française ou à 0,18% du PIB de la France. La contribution du Sénégal est de 519 milliards de FCFA soit 821millions d’Euro ou 883 millions de dollars. Notre pays est le deuxième contributeur de ce compte avec 17,85% derrière la Cote d’ivoire 29,55% et devant le Benin 17,56%.
La zone UEMOA a un déficit commercial de 2255 milliards de FCFA et la part du Sénégal est de 1446 milliards soit 64% du déficit commercial de la zone. Les avoirs extérieurs net du Sénégal sont de 1078 milliards et nos besoins de devises sont de 2861,2 milliards, soit un déficit de devises de 1783,2 milliards (2861,2-1078) soit 59,07% du compte d’opérations. Contrairement à la Cote d’Ivoire avec 1619,9 milliards d’excédent commercial, un pays qui n’a jamais été déficitaire de son histoire ; le Sénégal, qui a toujours été déficitaire, est le plus grand utilisateur de ce compte.
Pourquoi quitter un compte qu’on utilise plus que les autres pays membres de l’UEMOA.
Nota Bene : le compte n’est pas statique, il est dynamique, c’est un compte d’opérations.
Il faut apprendre des erreurs des autres, le Mali a eu une douloureuse expérience monétaire de 22 ans (1962-1984). A sa sortie de la zone CFA en 1962, le Mali avait mené une politique monétaire expansionniste ayant aboutie à la dévaluation en 1967 du franc malien suivie d’un coup d’État une année après. La Guinée Conakry, plus grand et plus riche en ressources naturelles que le Sénégal, a depuis 1960 sa propre monnaie, elle pèse 6 là où le Sénégal pèse 15 milliards de dollars. Quel est l’effet du franc guinéen sur son développement ? Le débat est ailleurs.
La France pèse 2422 milliards de dollars soit 1 588 727,85 milliards de FCFA. Depuis février 2015, la zone Euro applique une politique monétaire expansionniste qu’on appelle la planche à billets (the quantitative easing). Il s’agit d’injecter tous les mois 60 milliards d’Euro pendant 18 mois dans l’activité économique pour lutter contre cette baisse continue des prix depuis la fin de la crise des subprimes. La mise en place du quantitative easing sert à relancer l’activité économique en baissant les taux d’intérêts des banques qui va entrainer une augmentation de la liquidité prêtable, une hausse de la consommation et de l’investissement, une hausse de la demande qui va entrainer une hausse des prix. Cette politique justifie la baisse continue de l’Euro par rapport au Dollar, ce qu’on appelle sur le marché des changes une dépréciation de l’Euro par rapport au Dollar. En plus la Banque Centrale Européenne (BCE) a fixé le taux directeur de la zone Euro à 0,15%, juste pour dire que l’argent ne coute plus rien dans la zone Euro. Qu’est-ce que la France gagne avec nos 4,6 milliards d’Euro ?
Pourquoi nous devons snober dans le court et le moyen terme la matérialisation de la monnaie unique dans l’espace CDEAO.
L’UEMOA pèse 48097,3 milliards de FCFA soit 78,8 milliards de dollars, l’équivalant de 15,98% du PIB nigérian.
La Cote d’Ivoire qui représente 35,2% de l’économie de la zone UEMOA, n’a jamais partagé la gouvernance de la Banque Centrale. La politique monétaire de la zone répond plus au besoin de la Cote d’ivoire que le reste des pays membres de l’UEMOA. Alors qu’en sera-t-il d’une monnaie de la CEDEAO où le Nigeria représente 77,1% et les 14 pays restants pèsent 22,9% dont 2,21% pour le Sénégal ? Le Sénégal n’a pas les mêmes intérêts que le Nigeria. L’augmentation du baril du pétrole arrange le Nigeria et dérange le Sénégal et la baisse du baril permet au Sénégal de gagner au moins 1 à 2 points de croissance et fait perdre au Nigeria au moins 4 points de croissance. Cette année, on s’attend à une perte de 8 milliards de dollars du PIB nigérian soit une évolution de -2 et une hausse de 6,7% de l’économie sénégalaise. On voit nettement que ces deux pays n’ont pas les mêmes intérêts, comment ils peuvent partager la même monnaie ?
Avant de parler d’une monnaie unique de la CDEAO, il y a des préalables qu’on doit régler (le développement du commerce intra régional, la mise en place des chambres de compensations et l’étude sur l’optimalité de la zone monétaire). L’exemple de la crise de la zone Euro doit nous servir de leçon. La Grèce est en crise et cette crise a déprécié la monnaie européenne qui rend l’économie allemande très compétitive. L’Allemagne est une économie exportatrice plus l’Euro est faible plus son économie se porte bien et la crise grecque rend l’Euro faible, pourquoi l’Allemagne doit sauver la Grèce si la crise l’arrange ?
Dans la zone UEMOA, la stabilité monétaire est une réalité, l’inflation a toujours été maitrisée depuis la dévaluation du FCFA de 1994, contrairement aux autres pays de la CDEAO (Nigeria, Ghana…) qui connaissent des inflations de plus de 10%. Cette stabilité monétaire a permis à notre pays de mettre en place une politique économique dans le long terme appelée Plan Sénégal Emergent (PSE) avec un faible décalage entre les scenarios pessimistes et optimistes. Le Sénégal, depuis 1994, a connu 10 ans de croissance économique (1995-2005) et depuis 2011 ce pays est rentré dans une dynamique de croissance soutenue encore plus intéressante, alors pourquoi quitter une zone stable qui nous permet d’avoir une croissance économique soutenue qui avoisine les 7% au moment où l’Afrique a son taux de croissance le plus faible depuis 25 ans (1,6%) pour rejoindre une zone chroniquement instable parce que le PIB du Nigeria, qui représente 77% de l’économie de la CDEAO, dépend de 73% du pétrole. Comme le pétrole est très volatile et l’économie nigériane ne dépend que de cette ressource naturelle, on doit attendre à une monnaie très instable pour les pays de la CDEAO. Comment réussir notre PSE avec une telle instabilité monétaire ?
Bien que la monnaie puisse être considérée comme un instrument de développement, le ciblage d’inflation reste, par expérience, la stratégie de politique monétaire dominante ce qu’on appelle la mission hiérarchique, seule la réserve fédérale américaine (FED) a une mission duale à savoir stabiliser les prix et chercher la croissance économique. La zone UEMOA est la zone monétaire la plus stable au monde. Le Sénégal a plutôt besoin de mettre en place une économie de transformation de nos ressources en améliorant le climat des affaires pour créer davantage de valeur ajoutée et lutter, par conséquent, contre le chômage.
Dr Khadim Bamba Diagne
Libreville 20 et 21 décembre 2016
Le débat sur le franc CFA est régulièrement remis au goût du jour soit par les hommes politiques soit par les intellectuels du continent. Cette monnaie suscite des débats passionnés, des proclamations politiques aussi simplistes que péremptoires. De quoi s’agit-il lorsqu’on parle du franc CFA ?
Lorsque les Etats africains accédèrent à l’indépendance, il fut nécessaire de définir leurs relations monétaires entre eux, avec la France et avec le reste du monde : à l’exception de la Guinée puis du Mali, qui choisirent d’avoir une monnaie totalement indépendante, les relations monétaires des autres Etats furent issues directement de la situation antérieure et prolongeaient l’existence de trois monnaies émises respectivement en Afrique de l’Ouest, de l’Est et du Madagascar. Elles constituaient le système de change des Etats indépendants de la zone franc. Mais la zone n’est pas seulement un système de change, elle est aussi une zone de coopération économique (UEMOA, CEMAC).
Le système de change des pays africains de la zone franc comportait traditionnellement trois caractères :
– Le premier avait trait au régime de convertibilité : entre les pays de la zone franc, le principe était celui d’une totale liberté des changes, tandis qu’à l’égard de l’extérieur la réglementation des changes était identique ;
– Le taux de change entre la France et les pays de la zone franc était fixe ; autrement dit le taux de change des pays membres de la zone à l’égard du reste du monde était défini par l’intermédiaire du taux de change du franc français ;
– Pour assurer la fixité du change et la convertibilité, les réserves monétaires étaient « mises en commun » ; les pays africains devaient détenir leurs réserves monétaires en francs et la France garantissait la valeur des monnaies africaines par rapport au franc. Ce caractère se concrétisait par l’existence d’un « compte d’opérations » ouvert par le Trésor français aux trois instituts d’émission africains et malgache qui y déposaient leurs réserves. Le compte d’opérations peut en principe devenir débiteur de façon illimitée. Aujourd’hui les réserves sont égales à 50 % de leurs avoirs extérieurs net.
Le Sénégal n’est pas prêt à avoir une monnaie nationale
Les avoirs extérieurs net que les pays de l’UEMOA ont dans le compte d’Operations sont de 3019 milliards de FCFA soit 4,6 milliards d’Euro ou 4,9 milliards de dollars. Cette somme équivaut au tiers du bénéfice du groupe Total, la plus grande entreprise française ou à 0,18% du PIB de la France. La contribution du Sénégal est de 519 milliards de FCFA soit 821millions d’Euro ou 883 millions de dollars. Notre pays est le deuxième contributeur de ce compte avec 17,85% derrière la Cote d’ivoire 29,55% et devant le Benin 17,56%.
La zone UEMOA a un déficit commercial de 2255 milliards de FCFA et la part du Sénégal est de 1446 milliards soit 64% du déficit commercial de la zone. Les avoirs extérieurs net du Sénégal sont de 1078 milliards et nos besoins de devises sont de 2861,2 milliards, soit un déficit de devises de 1783,2 milliards (2861,2-1078) soit 59,07% du compte d’opérations. Contrairement à la Cote d’Ivoire avec 1619,9 milliards d’excédent commercial, un pays qui n’a jamais été déficitaire de son histoire ; le Sénégal, qui a toujours été déficitaire, est le plus grand utilisateur de ce compte.
Pourquoi quitter un compte qu’on utilise plus que les autres pays membres de l’UEMOA.
Nota Bene : le compte n’est pas statique, il est dynamique, c’est un compte d’opérations.
Il faut apprendre des erreurs des autres, le Mali a eu une douloureuse expérience monétaire de 22 ans (1962-1984). A sa sortie de la zone CFA en 1962, le Mali avait mené une politique monétaire expansionniste ayant aboutie à la dévaluation en 1967 du franc malien suivie d’un coup d’État une année après. La Guinée Conakry, plus grand et plus riche en ressources naturelles que le Sénégal, a depuis 1960 sa propre monnaie, elle pèse 6 là où le Sénégal pèse 15 milliards de dollars. Quel est l’effet du franc guinéen sur son développement ? Le débat est ailleurs.
La France pèse 2422 milliards de dollars soit 1 588 727,85 milliards de FCFA. Depuis février 2015, la zone Euro applique une politique monétaire expansionniste qu’on appelle la planche à billets (the quantitative easing). Il s’agit d’injecter tous les mois 60 milliards d’Euro pendant 18 mois dans l’activité économique pour lutter contre cette baisse continue des prix depuis la fin de la crise des subprimes. La mise en place du quantitative easing sert à relancer l’activité économique en baissant les taux d’intérêts des banques qui va entrainer une augmentation de la liquidité prêtable, une hausse de la consommation et de l’investissement, une hausse de la demande qui va entrainer une hausse des prix. Cette politique justifie la baisse continue de l’Euro par rapport au Dollar, ce qu’on appelle sur le marché des changes une dépréciation de l’Euro par rapport au Dollar. En plus la Banque Centrale Européenne (BCE) a fixé le taux directeur de la zone Euro à 0,15%, juste pour dire que l’argent ne coute plus rien dans la zone Euro. Qu’est-ce que la France gagne avec nos 4,6 milliards d’Euro ?
Pourquoi nous devons snober dans le court et le moyen terme la matérialisation de la monnaie unique dans l’espace CDEAO.
L’UEMOA pèse 48097,3 milliards de FCFA soit 78,8 milliards de dollars, l’équivalant de 15,98% du PIB nigérian.
La Cote d’Ivoire qui représente 35,2% de l’économie de la zone UEMOA, n’a jamais partagé la gouvernance de la Banque Centrale. La politique monétaire de la zone répond plus au besoin de la Cote d’ivoire que le reste des pays membres de l’UEMOA. Alors qu’en sera-t-il d’une monnaie de la CEDEAO où le Nigeria représente 77,1% et les 14 pays restants pèsent 22,9% dont 2,21% pour le Sénégal ? Le Sénégal n’a pas les mêmes intérêts que le Nigeria. L’augmentation du baril du pétrole arrange le Nigeria et dérange le Sénégal et la baisse du baril permet au Sénégal de gagner au moins 1 à 2 points de croissance et fait perdre au Nigeria au moins 4 points de croissance. Cette année, on s’attend à une perte de 8 milliards de dollars du PIB nigérian soit une évolution de -2 et une hausse de 6,7% de l’économie sénégalaise. On voit nettement que ces deux pays n’ont pas les mêmes intérêts, comment ils peuvent partager la même monnaie ?
Avant de parler d’une monnaie unique de la CDEAO, il y a des préalables qu’on doit régler (le développement du commerce intra régional, la mise en place des chambres de compensations et l’étude sur l’optimalité de la zone monétaire). L’exemple de la crise de la zone Euro doit nous servir de leçon. La Grèce est en crise et cette crise a déprécié la monnaie européenne qui rend l’économie allemande très compétitive. L’Allemagne est une économie exportatrice plus l’Euro est faible plus son économie se porte bien et la crise grecque rend l’Euro faible, pourquoi l’Allemagne doit sauver la Grèce si la crise l’arrange ?
Dans la zone UEMOA, la stabilité monétaire est une réalité, l’inflation a toujours été maitrisée depuis la dévaluation du FCFA de 1994, contrairement aux autres pays de la CDEAO (Nigeria, Ghana…) qui connaissent des inflations de plus de 10%. Cette stabilité monétaire a permis à notre pays de mettre en place une politique économique dans le long terme appelée Plan Sénégal Emergent (PSE) avec un faible décalage entre les scenarios pessimistes et optimistes. Le Sénégal, depuis 1994, a connu 10 ans de croissance économique (1995-2005) et depuis 2011 ce pays est rentré dans une dynamique de croissance soutenue encore plus intéressante, alors pourquoi quitter une zone stable qui nous permet d’avoir une croissance économique soutenue qui avoisine les 7% au moment où l’Afrique a son taux de croissance le plus faible depuis 25 ans (1,6%) pour rejoindre une zone chroniquement instable parce que le PIB du Nigeria, qui représente 77% de l’économie de la CDEAO, dépend de 73% du pétrole. Comme le pétrole est très volatile et l’économie nigériane ne dépend que de cette ressource naturelle, on doit attendre à une monnaie très instable pour les pays de la CDEAO. Comment réussir notre PSE avec une telle instabilité monétaire ?
Bien que la monnaie puisse être considérée comme un instrument de développement, le ciblage d’inflation reste, par expérience, la stratégie de politique monétaire dominante ce qu’on appelle la mission hiérarchique, seule la réserve fédérale américaine (FED) a une mission duale à savoir stabiliser les prix et chercher la croissance économique. La zone UEMOA est la zone monétaire la plus stable au monde. Le Sénégal a plutôt besoin de mettre en place une économie de transformation de nos ressources en améliorant le climat des affaires pour créer davantage de valeur ajoutée et lutter, par conséquent, contre le chômage.
Dr Khadim Bamba Diagne
Libreville 20 et 21 décembre 2016