LE « SYSTEME », selon Ousmane Sonko (Par Malick Diagne, Sociologue)

Mardi 9 Mai 2023

 
A défaut d’être le premier acteur politique sénégalais à avoir explicitement théorisé et conceptualisé le « système » comme une doctrine de positionnement politique, Ousmane Sonko lui a incontestablement donné ses lettres de noblesse dans le paysage politique sénégalais.
 
Historiquement, on peut situer l’origine du « système » dont parle Ousmane Sonko, au lendemain de la rupture « brutale »entre Léopold Sédar Senghor et Mamadou Dia, une période charnière qui a ouvert la voie à un  déplorable changement de cap vers la patrimonialisation de l’Etat. En effet, comme le souligne Cheikh Hamidou Kane dans un de ses textes, « cette rupture entre Senghor et Mamadou Dia, qui fut la conséquence de querelles politiciennes et de guerres de clans subalternes, a eu des conséquences déplorables pour le sort du Sénégal ».
 
Dans le raisonnement de Ousmane Sonko, le « système » est défini comme des pratiques institutionnalisées, fondées sur l’instrumentalisation des institutions et le contournement des procédures, des lois, règlements et règles d’éthique, visant à accorder des passe-droits, des privilèges indus, des promotions politiques et professionnelles généralement imméritées ou injustifiées, des moyens et opportunités d’enrichissement sans cause, une impunité judiciaire, à des acteurs ou des groupes d’acteurs parce qu’ils sont favorables au Parti-Etat, lui rendent des services ou sont détenteurs d’un type de capital (politique, social, économique, financier, etc.) qui lui est profitable dans sa stratégie de maintien au pouvoir.
 
Tous les acteurs ou groupes d’acteurs qui tirent profit de ce cercle vicieux et contribuent volontairement, par leurs agissements, à son fonctionnement et sa perpétuation sont du « système ».
 
Le « système » peut demeurer pendant que ses acteurs changent et se renouvellent au gré des changements de pouvoir politique. Ses protagonistes du moment ne sont pas ceux qui l’incarnaient hier et peuvent ne plus en être les acteurs demain.
 
Le « système » est composé de deux (2) catégories d’acteurs qui sont certes à des niveaux et degrés d’implication différents, mais inextricablement liées par des échanges de bons procédés, structurés autour de la sauvegarde d’intérêts communs, généralement antagoniques à l’intérêt général et aux aspirations du peuple à un mieux-être partagé.
 
La première catégorie regroupe les gens qui bénéficient du « système » sans être des acteurs politiques dans le sens militant du terme, ni des fonctionnaires de l’Etat. Ils peuvent être des hommes/femmes d’affaires, chefs d’entreprises, patrons de presse, acteurs religieux, personnalités publiques ou influentes de la société civile, etc. Les membres de cette première catégorie peuvent être coptés par le Parti-Etat, principalement en vertu de leurs capacités d’influence, de nuisance ou à lui rendre divers services. Le « système » peut également recycler dans cette catégorie, des personnalités rescapées des précédents « systèmes », pour mieux asseoir son implantation, ce qui est, au Sénégal par exemple, à l’origine du phénomène de multipositionnalité des gens du « système » désignée sous différents vocables dans le jargon politique : « entrisme », « transhumance », « coalition/majorité au pouvoir », etc.
 
Dans la seconde catégorie, on retrouve les animateurs du système, essentiellement composés de politiques et/ou de fonctionnaires affiliés au Parti-Etat. Nichés au cœur des institutions, notamment au sein des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, ainsi que dans l’administration, ce sont ceux-là qui tirent doublement profit du « système », accumulant à la fois gains politiques et avantages matériels et pécuniaires. Toutefois, un fonctionnaire, même officiant dans le sanctuaire de l’administration, n’est pas forcément un acteur du « système », s’il n’est pas pris dans les filets de la politisation de l’administration et s’il se limite exclusivement à exécuter ses missions dans le respect scrupuleux de la déontologie et de l’éthique professionnelle. Egalement, un ancien du « système » n’est forcément la cible idéale pour quelqu’un qui cherche à combattre un « système » en cours, surtout lorsqu’il peut l’instrumentaliser à cette fin.
 
L’une des caractéristiques majeures du » système » est qu’il est « scandalogène », c’est-à-dire une machine à produire des scandales en lien avec les ressources et deniers publics. Pour cause, le système ne peut pas prospérer sans le piétinement institutionnalisé des lois et des règles d’éthique, notamment celles régissant les marchés publics, le système des impôts et taxes, l’exploitation des ressources, l’accès au foncier, à l’emploi, aux financements, etc. C’est à partir de ces procédés délictuels, guidés en grande partie par une volonté d’enrichissement illicite préjudiciable au progrès économique et social du pays, donc potentiellement générateurs de scandales, que les animateurs du système trouvent les ressources nécessaires à la survie du « système ».
 
Loin d’être des résultantes d’actions individuelles isolées, les scandales sont donc inhérents à une méthode de gouvernance patrimonialiste, caractéristique du système, donc voulue et entretenue. C’est la raison pour laquelle les scandales ne sont généralement pas perçus par les animateurs du « système » comme des délits ou des fautes professionnelles, mais plutôt comme des dommages collatéraux, des pavés de l’ours, qui découlent initialement d’une volonté de rendre service au « système ». C’est la raison pour laquelle, également, les scandales révélés par les organes de contrôle de l’Etat ne sont presque jamais sanctionnés ou ne le sont que facticement en sauvetage au « système », face à une opinion publique temporairement scandalisée et indignée. Dans la plupart des cas, les scandales donnent au contraire droit à des promotions, pour récompenser de bons et loyaux services rendus au « système » parce que le récipiendaire aura su bien s’illustrer dans le détournement des ressources publiques et leur réinvestissement dans la consolidation du « système ».
 
Pour se fortifier, le « système » entre en alliance avec d’autres systèmes au niveau national (religieux, médiatique, patronal, etc.) et supranational (parrains occidentaux et lobbys influents à l’international). Dans sa stratégie d’accumulation des ressources, le « système » s’ouvre aussi à une caste d’affairistes étrangers dans l’optique de mieux faire émerger une bourgeoisie compradore encartée, laquelle s’enrichit de rétro-commissions issues d’activités de courtage en affaires, de délits d’initié et de surfacturations de marchés publics.
 
En Afrique, certaines Fondations de premières Dames constituent également des piliers insidieux du « système ». Leur activité principale consiste à capter les ressources du « système », notamment en provenance d’acteurs ayant bénéficié des largesses du « système » ou cherchant à être membre du « système », afin d’entrer dans les bonnes grâces de la république distributrice des richesses et des pouvoirs. A travers une approche caritative de colmatage humanitaire, une infime partie des ressources collectées par certaines Fondations de premières Dames est ensuite drainée vers les populations les plus démunies, principales victimes du « système », dans le but d’influencer leur perception, particulièrement en périodes électorales.
 
En Afrique, en pole position du « système », se trouvent les Grands Parrains que sont les Présidents de la république. Ce sont ces autorités suprêmes qui tirent les ficelles du « système » et encouragent son déploiement dans les méandres de l’administration et des institutions de la république, par leurs méthodes de gouvernance permissives et incitatives aux pratiques « systémiques ». Le système perdure parce que telle est généralement la volonté des Présidents de la république.
 
Comme le souligne à juste raison Ousmane Sonko, « le système n’est pas une affaire de personnes même si ce sont les personnes qui font les systèmes ». Changer un « système patrimonialiste et prédateur » par un « système de gouvernance sobre et vertueuse » ne nécessite pas, par conséquent, de poser des actes d’ostracisme et de vendetta contre certains acteurs bien ciblés, du fait de leurs rôles supposés ou réels dans la spoliation des ressources publiques par les « systèmes » passés. Cela demande seulement de la volonté politique sincère de changer de méthode de gouvernance, en mettant le Sénégal au-dessus de tous les intérêts individuels et partisans. Cette volonté politique, si elle est réelle, devra être lisible dans l’application des lois et des règles d’éthique communes, ainsi que dans le fonctionnement normal des institutions, des piliers à renforcer au besoin, pour la préservation de l’intérêt national. Cette volonté devra se traduire également par une rupture dans les rapports avec les forces néocoloniales et néolibérales dominatrices et prédatrices.
 
Devenu Président de la République du Sénégal, Ousmane Sonko, l’anti-système, a, par conséquent, toute la latitude de changer le système de gouvernance qui freine les véritables progrès économiques, sociaux et culturels que le pays devait normalement enregistrer, de 1970 à nos jours. Si tant est que Sonko en ait réellement la volonté, comme nous le croyons.
Malick DIAGNE
Sociologue
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