LEGISLATIVES 2017 : la roublardise des uns, le cynisme des autres

Jeudi 24 Aout 2017

Les cadres unitaires larges et puissants sont devenus incontournables pour ceux qui veulent vraiment gagner. Des franges de l’opposition viennent de payer le prix de leurs divisions en perdant des bastions comme Dakar. A contrario, Macky Sall a tout fait pour maintenir Benno Bokk Yaakaar dans son giron. Mais en 2019, il devra faire preuve de beaucoup plus d’imagination pour éviter un second tour qui ne serait pas forcément à son avantage. Un constat sorti des urnes au soir du 30 juillet dernier, après des législatives inédites dans notre pays.


Pour l’élection présidentielle de février-mars 2019, des signaux de taille ont été entraperçus au cours de ces législatives très contestées et contestables du 30 juillet 2017. La victoire à la Pyrrhus arrachée par le Président de la République et la coalition Benno Bokk Yaakaar (BBY) au détriment de leurs principaux rivaux de Wattù Senegaal et Manko Taxawu Senegaal est l’illustration d’une véritable guerre de tranchées avec des risques réels contre la stabilité du pays.
 
Le premier enseignement à tirer de ces scrutins chaotiques est qu’il faut être d’une grande probité politique, morale et intellectuelle pour être un Ministre de l’Intérieur à la fois militant du parti au pouvoir et acceptable pour la classe politique. A ce titre, il est plus qu’évident qu’Abdoulaye Daouda Diallo, le chef de poste, n’a plus aucune once de crédibilité pour présider encore la tenue d’élections dans notre pays.
 
Sa faillite retentissante sur tous les segments de l’organisation, des inscriptions aux votes en passant par la distribution des cartes d’identité biométriques et d’électeur, mérite de figurer dans la version noire des annales écrites de la démocratie sénégalaise. Son départ est une nécessité démocratique de premier ordre. S’il devait poursuivre sa «mission» à la tête du ministère de l’Intérieur, ce serait un gros pied de nez du chef de l’Etat à la transparence et à l’efficacité du processus électoral. Une personnalité consensuelle et compétente doit absolument l’y remplacer.
 
A défaut d’être toujours génial dans le sens de l’intérêt général, Macky Sall a réussi tout de même un vrai coup de maître personnel: avoir maintenu pendant plus de cinq ans – et cela va continuer - ses principaux alliés dans le giron présidentiel. Après la chute d’Abdoulaye Wade en 2012, rien ne présageait en effet que le Ps, l’Afp, le Pit, la Ld et les autres formations de BBY accompagneraient le nouvel élu durant toute cette période.
 
Leurs divergences en certains points étaient profondes. Les ambitions politiques non encore ravalées d’Ousmane Tanor Dieng et de Moustapha Niasse, la nature possiblement incontrôlable du Pit et de la Ld, ainsi que les postures d’émancipation propres à l’Apr, présageaient d’une cohabitation compliquée entre ceux qui avaient «gagné ensemble» et voulaient «gouverner ensemble». Mais la «menace» que constituait Abdoulaye Wade et l’inexpérience du nouveau chef de l’Etat, entre autres facteurs, ont été des facteurs déterminants dans la préservation de BBY.
 
Cette capacité stratégique du Président de la République à maintenir un cadre politique unitaire – au prix de sacrifices importants en termes de privilèges octroyés à ses alliés - avec ses insuffisances dont l’absence de dialogue permanent, est le soubassement politique de sa «victoire» du 30 juillet. Sans le Ps, l’Afp, le Pit et la Ld, Macky Sall aurait été balayé en deux temps trois mouvements car l’Apr, son parti, est encore un conglomérat sans épaisseur.
 
Aujourd’hui, si Niasse a déjà déposé les baluchons présidentiels de l’Afp au pied du maquis Sall, rien ne dit que le Parti socialiste en ferait autant. Et cela, c’est une vraie question. A côté, la Ligue démocratique est entrée elle aussi en crise… en attendant sa scission.
 
Une autre vraie question qui devrait préoccuper sérieusement le Président de la République, c’est la représentativité fragile et hasardeuse dont il peut se targuer. Si Benno Bokk Yaakaar est politiquement dominant, les élections législatives du 30 juillet ont démontré que Macky Sall est sociologiquement minoritaire dans le pays. Et cela, ses experts électoraux et lui-même ne peuvent l’ignorer.
 
Bby est en dessous de la barre des 50% au sortir de scrutins chaotiques en grande partie emportés grâce à l’appui «technique» consenti par l’administration d’Etat. Sa «majorité» de 49,48% qui lui donne un stock de 125 députés sur 165 ressemble à un cadeau empoisonné offert par un système majoritaire impitoyable, anti-démocratique, injuste.
 
Pour le régime, avoir mis autant de moyens (financiers, politiques, institutionnels, judiciaires…) pour gagner des législatives face à des oppositions victimes de politiques d’affaiblissement ininterrompues depuis 2012, et être finalement à ce niveau d’adhésion devrait inquiétant fondamentalement. Le vote populaire n’a pas basculé en sa faveur. Un vrai souci pour 2019.
 
 De là, découle le quatrième enseignement de ces législatives inédites: la posture des opposants. Au regard des résultats publiés par les organes compétents, les coalitions organisées d’Abdoulaye Wade et de Khalifa Sall doivent se mordre les doigts de ne pas avoir transformé l’ex Manko en un cadre électoral. Dans de nombreuses circonscriptions électorales comme Dakar, il n’y aurait pas eu bataille tant la puissance présumée de l’axe Wade-Sall aurait pu ébranler davantage la coalition présidentielle.
 
Au-delà du choc psychologique positif dont il aurait été porteur, ce cadre unitaire aurait pu également repousser ses frontières partisanes en élargissant ses horizons de sympathies. Mais les calculs des uns et des autres ainsi que les perspectives attachées à la présidentielle et aux locales de 2019 ne l’ont pas rendu possible. Le cynisme de tous l’a emporté.
 
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