LETTRE D’AMERIQUE - L’autre Dialogue TransAtlantique…

Lundi 7 Novembre 2016

Par Adama Gaye
 
En quoi, l’Afrique, donc le Senegal, peut se sentir concernée par l’élection présidentielle américaine prévue ce mardi 8 novembre 2016? Quelle différence avec celle d’il y a huit-ans! Aucun Africain ne se posait alors une telle question: parce que le fils d’un éminent africain était dans la course, en la personne de Barack Obama Junior. Le continent entier avait veillé pour connaitre le résultat du duel qui l’opposait au Sénateur, considéré  par beaucoup comme un héros de la guerre du Vietnam, John McCain. 

Sa victoire, célébrée autant Outre-Atlantique que dans les chaumières africaines, fut pour tous les Africains une éclatante revanche sur le destin. 
 
Un moment expiatoire inoubliable quand l’esclavage et le colonialisme venaient d’un seul coup d’être définitivement sanctionnés par le sourire rayonnant d’un jeune premier, un noir, qui transfixait la planète par ses dons oratoires et l’optimisme qu’il redonnait à une Amérique alors prise dans la tourmente de la plus grave financière depuis celle de 1929. 
 
Voir par la magie électorale un descendant d’une race naguère classée dans une catégorie sous-humaine prendre le leadership de la nation la plus puissante du monde avait de la gueule. Les premiers migrants arrivés à Boston en 1607 pour y vivre leur puritanisme et conquérir cette nouvelle frontière du développement n’auraient jamais pu imaginer ce qui venait de se passer en cette soirée du 8 Novembre 2000. Eux qui avaient déclaré l’Amérique ’terre de Dieu’, en affirmant que le ’ciel et la terre’ se sont mis d’accord pour ’en faire le meilleur endroit pour vivre’, ont dû se retourner dans leurs tombes en voyant combien les foules multiraciales s’extasiaient en communion devant le triomphe du nouvel-élu.
 
Même si des rêves fous traversaient la tête de beaucoup d’Africains, eux-aussi dans l’attente d’un grand soir, les plus lucides savaient que Barack Obama, fils d’un illustre Kenyan mort dans un accident de circulation et tombé dans l’oubli dans son propre pays, ne pouvait pas tout faire. Sa victoire suffisait néanmoins pour ceux qui savent lire les signes sur les murs de l’histoire en mouvement.
 
Huit-ans plus tard, alors que l’automne continue d’offrir à la vue les feuilles jaunâtres des arbres, et que souffle un vent frais sur le pays, revoici donc les Etats-Unis sur la route d’un nouveau rendez-vous électoral pour désigner celle ou celui qui va prendre la place de l’Africain-Américain dans le bureau Ovale de la Maison Blanche.
 
Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis lors. La crise financière a été largement contenue. Sur les industries de pointes, du savoir, portée par la révolution digitale, et celle des services, l’Amérique est loin en tête. Signe des temps: nulle part dans la capitale fédérale peut-on voir, comme naguère, les gens lisant avec gourmandise le journal éponyme de la ville, le Washington Post. Le virtuel est passé par là aussi. Cette révolution s’étend jusque dans l’attitude désintéressée des électeurs face aux politiciens, que l’on sent, comme ailleurs, en fin de course, en perte de vitesse.
 
Ce qui rend cette élection spéciale, c’est le fait que tout le monde sait que le choix électoral se décide entre deux...escrocs! La honte. Les oracles en sont réduits à guetter la surprise d’Octobre, voire celle de Novembre, puisqu’à tout moment ce scrutin peut basculer dans un camp ou dans un autre. Le charme de la démocratie, c’est l’indécision.
 
Entre Hillary Clinton, la première femme à occuper le poste de Président des USA, ou Donald Trump, l’homme d’affaires truculent qui rêve de l’en empêcher, bien malin est celui qui peut prédire à ce stade la victoire finale.

En quoi nous autres Africains devons-nous alors nous intéresser au scrutin d’un pays qui a réussi le tour de force de se retrouver avec deux médiocres candidats pour le gouverner? Surtout qu’un des dogmes de la politique américaine, c’est que la politique s’arrête aux bordures des deux océans, l’Atlantique et le Pacifique qui le couvent.
 
Une raison simple l’explique: ayant suffisamment d’atouts pour devenir un des continents déterminants du 21ème siècle, l’Afrique se doit d’engager avec la nation essentielle, épicentre de la géopolitique et de l’économie mondiale, ce dialogue TransAtlantique que celui entre l’Amérique et l’Europe, du fait des contingences de la guerre froide, a éclipsé, au détriment de l’Afrique.
 
Parce que les deux parties ont beaucoup à faire ensemble, que l'Afrique peut apprendre beaucoup des Etats-Unis dans sa quête d'émergence authentique, et que leurs destins, à travers l'esclavage et Obama, sont liés par le sang, en plus d'un voisinage géographique et d'une communauté d'intérêts économiques, sécuritaires, migratoires et politiques, il ne fait aucun doute qu'au soir du 8 Novembre 2016 une stratégie de 'reset', la même relance voulue par l'Administration Obama en divers lieux du monde, apparaitra, plus que jamais, impérative avec l’Afrique.

Les deux ont tout à y gagner à la condition que rigueur et sérieux gouvernent cette nouvelle relation, revisitée. Les bases sont déjà jetées. Hillary ou Donald ne pourront que les conforter...si l'Afrique s'organise pour que le Dialogue TransAtlantique Amérique-Afrique ne se perde dans les méandres des superficialités qui ont empêché à ce jour que le pays qui compte 12 pour cent de sa population d'origine africaine ne prenne pas au sérieux le continent qui a tous les atouts pour devenir sa nouvelle frontière du développement.
 
 
Nombre de lectures : 210 fois