LIBYE: Sarkozy perd face à Mediapart

Mardi 2 Aout 2016

L’authenticité du document officiel libyen révélé en 2012 par Mediapart et attestant d’un accord de financement de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007, à hauteur de 50 millions d’euros, n’est pas contestée par la justice française. C’est le sens de l'ordonnance de non-lieu rendue, le 30 mai, au bénéfice de Mediapart par les magistrats chargés d’instruire la plainte de l’ancien président pour faux et usage de faux.

Au bout de quatre ans d’investigations, auditions et expertises, d’abord sous la forme d’une enquête préliminaire diligentée par le parquet de Paris, puis dans le cadre d’une instruction judiciaire confiée aux magistrats René Cros et Emmanuelle Legrand, la justice nous donne raison : rien ne permet de douter de l’authenticité du document libyen révélé par Mediapart, sous les signatures de Fabrice Arfi et Karl Laske, le 28 avril 2012.
 
Ce non-lieu ordonné en notre faveur des chefs de faux, recel de faux, usage de faux et diffusion de fausses nouvelles conclut une ordonnance de quarante-six pages dont l’extrême minutie prouve que tout a été tenté pour essayer de nous mettre en difficulté. En vain.
« L’ensemble des investigations, écrivent les juges d’instruction, visant à déterminer si le document publié par Mediapart était un faux matériel c’est-à-dire, indépendamment de son contenu, un support fabriqué par montage ou tout autre moyen, ou altéré par des falsifications de toutes natures, n’a pas permis de l’établir. » La diversion tentée par Nicolas Sarkozy, au mépris du droit de la presse puisqu’il ne nous a jamais poursuivis pour diffamation, aura donc fait long feu : pour la justice, après quatre ans de vérifications tous azimuts, rien ne permet de contester l’authenticité de ce document officiel, signé par Moussa Koussa, l’un des plus proches collaborateurs de Kadhafi, alors chef des services secrets extérieurs libyens.
 
Désormais, l’ancien président de la République, qui a dix jours à compter de sa notification pour faire appel de cette ordonnance, devra donc faire face aux faits eux-mêmes. Datée du 10 décembre 2006, cette note sauvée des archives de la dictature libyenne après sa chute, en 2011, atteste d’un « accord portant sur le soutien à la campagne électorale du candidat aux élections présidentielles Monsieur Nicolas Sarkozy pour un montant de 50 millions d’euros ». Cet « accord de principe », poursuit le document, ressort du « procès-verbal » d’une réunion tenue le 6 octobre 2006 en présence, côté français, de Brice Hortefeux et de Ziad Takieddine, durant laquelle « il a été convenu du montant et des modalités de versement ».
 
Ces faits font l’objet d’une instruction judiciaire distincte confiée au juge parisien Serge Tournaire, fondée sur les informations dévoilées par Mediapart. Ouverte pour des faits de corruption active et passive, trafic d’influence, abus de biens sociaux, blanchiment, complicité et recel de ces délits, elle est toujours en cours et documente, dans le plus grand secret, les liens étroits noués à partir de 2005 par Nicolas Sarkozy et son entourage proche avec le régime dictatorial du colonel Kadhafi.
 
La révélation de ce document libyen parachevait plusieurs mois d’enquête de Mediapart sur ces relations occultes, aux enjeux financiers manifestes, dont la découverte des archives de l’intermédiaire Ziad Takieddine avait été le point de départ. Nous avons toujours défendu son authenticité face aux doutes exprimés par certains médias, dans la foulée des déclarations de Nicolas Sarkozy, le qualifiant de « faux grossier ». Les contredisant explicitement, l’ordonnance de non-lieu des juges Cros et Legrand affirme que cette note signée Moussa Koussa a toutes les caractéristiques « d’un document officiel libyen ».

« Ont été entendus de nombreux témoins, résument les deux magistrats, qui, du fait des fonctions qu’ils ont exercées, notamment en Libye, étaient susceptibles d’apporter, au-delà d’un avis personnel, une appréciation éclairée sur la forme du document argué de faux au regard des documents de l’administration libyenne, au sens large, dont ils avaient pu avoir connaissance.
« Il résulte de la plupart de ces auditions que le document argué de faux présente les apparences caractéristiques d’un document officiel libyen par la couleur verte de l’en-tête, le logo typique de la “Jamahirya”, sa typographie, le vocabulaire employé, la présence de tournures spécifiquement arabes, la formule d’appel contenant le terme “frère” typiquement libyenne. Selon plusieurs témoins, parmi ceux pratiquant l’arabe, à l’exception d’un, le texte est écrit en bon arabe par un arabophone dans un arabe littéral de caractère administratif.

« Selon l’un des témoins, les deux dates figurant sur le document argué de faux, l’une selon le calendrier grégorien et l’autre selon le calendrier, imposé par le colonel Kadhafi, propre à la Libye sont concordantes et cohérentes, alors que le calendrier en vigueur en Libye a changé à quatre reprises sous le régime du colonel Kadhafi, rendant difficile pour un non-Libyen de faire concorder a posteriori les deux dates. En ce qui concerne un tel compte-rendu de réunion, sans se prononcer sur son contenu, il est décrit par les témoins comme typique des habitudes bureaucratiques de l’administration libyenne. »
 
Les deux questions posées par ce scandale libyen
Outre ces témoignages d’experts connaissant parfaitement la Libye sous la dictature de Kadhafi, parmi lesquels des diplomates, des militaires et des agents secrets français, l’ordonnance de non-lieu confirme l’authenticité de la signature de Moussa Koussa, entendu par les juges au Qatar où il s’est réfugié après la chute de la dictature. Au passage, les juges soulignent que ni Nicolas Sarkozy, ni Brice Hortefeux qui s’est joint à la plainte de son mentor, n’ont sollicité de contre-expertise quand « le collège d’experts désigné a conclu, en comparant la signature que M. Moussa Koussa a apposée sur chacune des treize pages du procès-verbal de son audition du 5 août 2014, au Qatar, à celle figurant sur le tirage papier du document argué de faux, que la signature figurant sur ce dernier document était de la main de M. Moussa Koussa ».
 
De même, l’ordonnance de non-lieu ridiculise quelque peu Ziad Takieddine qui, lors de son audition, avait contesté la graphie arabe de son propre nom de famille telle qu’elle figure dans la note libyenne. « Un rapport d’expertise et un rapport de contre-expertise, écrivent les deux magistrats, ont conclu que l’orthographe du nom de famille Takieddine en arabe ne pouvait s’écrire comme l’indiquait M. Takieddine, que l’orthographe correcte en langue arabe était bien celle figurant dans le corps de la note arguée de faux et qu’il s’agissait de la seule et unique manière d’écrire ce nom en arabe. »
 
Enfin, les juges ont eu recours à une expertise technique très poussée du fichier informatique contenant le document tel qu’il fut mis en ligne par Mediapart. Or elle « n’a détecté aucune trace d’altération ni de falsification volontaire », soulignent les juges. « Selon l’expert, résument-ils, tout laisse à penser que l’image numérique a été initialement le résultat d’un processus de numérisation d’un document physique, vraisemblablement papier, qui présentait des caractéristiques physiques classiques et symptomatiques d’un tel objet, soit un certain niveau d’usure, voire de vieillissement. » Quant à l’hypothèse d’une « fabrication numérique »« l’expert considère qu’elle est peu probable eu égard à la technicité qu’il aurait fallu mettre en œuvre pour résister à l’analyse mathématique approfondie qu’il a utilisée ».
 
Parachevant leur démonstration pour réduire à néant tout soupçon de faux, les juges envisagent aussi l’hypothèse d’un « faux intellectuel », c’est-à-dire d’un document libyen authentique fabriqué pour donner crédit à une contrevérité. Cette piste purement théorique part d’une incertitude sur la date de la réunion mentionnée dans la note libyenne, Brice Hortefeux, alors ministre délégué aux collectivités locales, affirmant avoir été à Clermont-Ferrand le jour mentionné, soit le 6 octobre 2006. Or les juges ferment aussi cette porte, affirmant que « ces incertitudes ne permettent pas de conclure formellement à l’impossibilité d’une telle réunion ».

Pour terminer, les magistrats instructeurs font litière du soupçon absurde à notre endroit de « recel et usage de faux » qui supposerait que nous aurions révélé un tel document en ayant conscience qu’il n’aurait pas été authentique. Pour accréditer cette légende, Nicolas Sarkozy et Brice Hortefeux se sont appuyés sur un faux témoin libyen, Djomode Elie Guetty, qui prétendait nous avoir alertés, avant sa publication, sur une prétendue inauthenticité du document. Fabrice Arfi et Karl Laske ont démonté, point par point, ce faux témoignage durant l’instruction. Leur démonstration fut si implacable que Djomode Elie Getty a refusé la confrontation avec nos deux journalistes que lui ont proposée les deux magistrats instructeurs.

Toujours est-il que, dans leur ordonnance de non-lieu, les juges Cros et Legrand ruinent, non sans ironie sous le sérieux apparent, ce faux témoignage : « N’ont pas été réunies de charges suffisantes établissant que [les journalistes] savaient qu’ils détenaient un faux ou faisaient usage d’un faux, d’autant, au demeurant, que le caractère contrefait ou falsifié du document n’a pu être établi de façon formelle. »
 
Il aura donc fallu quatre années à la justice française pour donner acte à des journalistes du sérieux de leur travail, tout en acceptant, sous la pression d’un responsable politique ayant occupé les plus hautes fonctions dans la République, de piétiner le droit de la presse.

L’ordonnance de non-lieu rendue en faveur de Mediapart fut précédée, deux semaines auparavant, d’un mémoire de nos avocats, Mes Jean-Pierre Mignard et Emmanuel Tordjman, remis aux juges le 17 mai. Avant de démontrer l’authenticité de la note révélée par Mediapart, il leur faisait d’emblée remarquer que Nicolas Sarkozy, pour se défendre, avait « recours à des procédés contraires au régime protecteur de la liberté de l’information et du droit de la presse, garanti par nos principes constitutionnels et protégé par la loi du 29 juillet 1881 ».
 
Le mémoire de nos avocats se concluait ainsi : « Quatre expertises judiciaires aux conclusions conformes, de nombreux témoignages de spécialistes incontestables du régime de Kadhafi soulignant la véracité des mentions, couleurs et signes figurant dans la note comme l’absence de crédibilité et de sincérité des déclarations d’un seul témoignage, confirment, au-delà de ce qui est nécessaire, que la note publiée le 28 avril 2012 par Mediapart présente toutes les caractéristiques de l’authenticité. » L’ordonnance de non-lieu rendue le 30 mai ne dit pas autre chose.
 
Reste maintenant à Nicolas Sarkozy – et, au-delà de sa personne, à la République – la lourde charge d’affronter les vérités dérangeantes révélées par notre enquête : les relations affairistes, aux enjeux financiers, nouées par l’entourage d’un futur président de la République avec un régime dictatorial dont, par la suite, il précipitera la chute.

Nous ne saurions croire que la justice française ne se donne pas les moyens de répondre aux deux questions posées par ce scandale libyen : le régime libyen de Mouammar Kadhafi a-t-il financé la campagne électorale de Nicolas Sarkozy afin d’être élu président en 2007 ? Le régime français de Nicolas Sarkozy a-t-il contribué à la chute de ce dictateur afin d’effacer les traces de cette compromission ? 
Mediapart.fr
 
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