La France face au "point d'interrogation" des Etats-Unis en Syrie

Mardi 29 Octobre 2019

Jean Ives Le Drian, chef de la diplomatie française
PARIS (Reuters) - Deux jours après l'opération américaine qui a conduit à la mort du chef de l'Etat islamique Abou Bakr al Baghdadi, la question de la présence militaire américaine en Syrie reste entière et plonge dans l'incertitude ses alliés de la coalition contre Daech, au premier rang desquels la France qui espère une clarification rapide de Washington.
 
"Il va y avoir un vrai enjeu, celui de savoir comment on opère dans ce contexte dans le nord-est syrien", souligne une source française. "Tout va dépendre du maintien ou non par les Américains de leur dispositif et l'année qui vient de passer montre que c'est une question avec un point d'interrogation qui va demeurer permanent."
 
"Il faut que les Américains clarifient là où ils vont rester et ce qu'ils vont faire, jusqu'où, avec qui... Il y a beaucoup de questions qui sont ouvertes à ce stade", a ajouté cette source, espérant obtenir des réponses lors de la prochaine réunion de la coalition le 14 novembre à Washington. "Si les Etats-Unis plient bagage, la donne change."
 
Présents en Syrie depuis septembre 2014 - date des premières frappes contre l'Etat islamique - les Etats-Unis ont annoncé début octobre le retrait d'une partie de leurs troupes, le président Donald Trump estimant depuis plusieurs mois que le combat contre Daech était terminé.
 
Le locataire de la Maison blanche a depuis fait savoir qu'un "petit nombre de soldats" américains resteraient en Syrie, "dans les zones où il y a du pétrole" pour protéger les gisements de la province orientale de Daïr az Zour, sans préciser l'ampleur du dispositif prévu. Une source occidentale a confirmé lundi que des convois américains avaient été aperçus depuis ce week-end revenant d'Irak vers la zone de Daïr az Zour.
 
COALITION FRAGILISÉE ?
 
Le changement de pied de Washington, qui passe d'une stratégie sécuritaire de lutte contre une organisation djihadiste à une opération de protection des champs pétroliers - qualifiée de "banditisme" par Moscou - , pourrait fragiliser la coalition, en tout cas réduire ses marges de manoeuvre.
 
Comme nombre de ses alliés, Paris, qui comptait jusqu'alors des forces spéciales en Syrie et qui dépendait pour leur protection du soutien aérien et du renseignement américains, voit sa stratégie et son agenda sécuritaire bousculés.
 
"Comment maintenir un dispositif sans la protection des Américains sur un théâtre mouvant? Ça pose des questions, et les moyens d'action du détachement français seront forcément réduits", estime Elie Tenenbaum, chercheur à l'Institut français des relations internationales (Ifri).
 
Par ailleurs, si le mandat américain au sein de la coalition reste la lutte contre le terrorisme, cette question semble être passée au second plan derrière "les enjeux stratégiques du long terme" et cela créé "du brouillage entre les alliés" sur l'ordre de priorités, ajoute-t-il.
 
Or, la France, cible d'attentats depuis 2015 dont une partie a été fomenté depuis la zone irako-syrienne, a fait de la lutte contre l'EI une de ses priorités et s'inquiète depuis plusieurs semaines d'un risque de résurgence de Daech et d'un possible retour des combattants sur le sol européen - et français.
 
"La vraie question pour nous aujourd'hui, c'est comment on va poursuivre le combat contre Daech", confirme la source française. Les Kurdes syriens - alliés clefs contre l'EI - "vont avoir à se préoccuper de leur propre sécurité" face aux offensives turques et dans le même temps, les Etats-Unis "ont pour l'instant décidé de rester mais on ne sait pas pour combien de temps", note-t-elle. "Cela pose donc la question de nos propres efforts".
 
A l'état-major des Armées, on souligne que l'opération Chammal n'est pas "remise en question pour le moment". "Les Rafale basés aux Emirats arabes unis et en Jordanie poursuivent leurs actions. Notre engagement auprès de l'armée irakienne continue."
 
Au-delà du théâtre irako-syrien, la question qui se pose, relève un diplomate, "est de savoir ce que l'Otan fait pour lutter contre la résurgence du terrorisme. Comment fait-on du contre-terrorisme dans un pays hostile?"
 
La question, ajoute-t-il, vaut aussi pour l'Afghanistan, où la France n'est plus présente sur le terrain depuis 2014, dans la perspective d'un désengagement américain.
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