L'opposition pro-UE manifeste à nouveau vendredi en Géorgie à la veille de la désignation par un collège électoral du président, un poste promis à un ex-footballeur devenu un soutien radical du parti au pouvoir, en lieu et place de la pro-occidentale Salomé Zourabichvili.
Ce pays du Caucase s'enlise dans une grave crise politique depuis les élections législatives du 26 octobre, remportées par le parti au pouvoir, Rêve géorgien, mais contestées par l'opposition pro-européenne qui les juge truquées.
Fin novembre, la décision des autorités de suspendre jusqu'en 2028 la question de l'intégration à l'UE a entraîné des manifestations émaillées de violences. Celles-ci sont entrées jeudi dans leur troisième semaine.
Dans la capitale, Tbilissi, la principale manifestation antigouvernementale, comme chaque jour devant le Parlement, devrait à nouveau se prolonger dans la nuit.
Et les tensions pourraient s'accentuer samedi, lorsque le Rêve géorgien compte faire désigner à la présidence du pays l'ex-footballeur d'extrême droite Mikheïl Kavelachvili, une figure loyale au pouvoir.
- Zourabichvili "doit rester" -
Un rassemblement est déjà annoncé pour samedi matin devant le Parlement, où un collège électoral contrôlé par le parti Rêve géorgien devra le désigner lors d'un vote boycotté par l'opposition.
La présidente actuelle, Salomé Zourabichvili, qui ne dispose que de pouvoirs limités mais est en rupture avec le gouvernement et soutient les manifestants, avait annoncé auparavant qu'elle refuserait de rendre son mandat tant que de nouvelles législatives n'auraient pas été organisées.
Salomé Zourabichvili "doit rester et, d'une manière ou d'une autre, nous guider dans cette situation très compliquée", estime Dariko Gogol, venue vendredi comme d'autres protestataires devant le Parlement demander de nouveau scrutin.
Cette femme de 53 ans croisée par l'AFP juge que Mikheïl Kavelachvili ne "peut pas représenter le pays".
Le président du Parlement Chalva Papouachvili a lui loué devant la presse un homme "dont le patriotisme ne fait aucun doute" et qui "ne tombe pas sous l'influence d'une force étrangère, comme c'est le cas de Mme Salomé" Zourabichvili.
"Nous n'avons pas quitté l'Union soviétique juste pour être dirigés par Washington, Bruxelles, Kiev, Paris, ou qui que ce soit", a abondé un homme venu dans la rue à la rencontre de l'AFP.
Lors des deux premières semaines de manifestations, la police a utilisé du gaz lacrymogène et des canons à eau pour disperser les rassemblements quotidiens réunissant des milliers de personnes. Des protestataires ont, eux, utilisé des mortiers d'artifice contre les forces de l'ordre.
Plus de 400 manifestants ont été arrêtés, selon des chiffres officiels.
De multiples cas de violences policières contre des manifestants et des journalistes ont été documentés par des ONG et l'opposition, une répression dénoncée par les États-Unis et les Européens.
Le Rêve géorgien a accusé les manifestants et l'opposition d'être responsable des violences, relevant que les rassemblements étaient depuis plusieurs jours plus calmes, alors que des descentes de police ont conduit à la saisie de quantités de feux d'artifices.
Vendredi, Washington a annoncé avoir interdit de visa une vingtaine de personnes accusées de "saper la démocratie" en Géorgie, parmi lesquelles des ministres en exercice et des parlementaires.
- Légitimité écornée -
Pas encore élu, M. Kavelachvili voit sa légitimité déjà remise en cause par des experts en droit constitutionnel, en particulier un des auteurs de la constitution géorgienne, Vakhtang Khmaladzé.
Car le Parlement a ratifié les mandats des élus, en contravention de la loi qui exigeait d'attendre la décision de justice concernant la demande de Salomé Zourabichvili d'annuler les résultats du scrutin d'octobre.
"La Géorgie est confrontée à une crise constitutionnelle sans précédent", a déclaré Vakhtang Khmaladzé à l'AFP, ajoutant que "le pays se retrouve sans parlement ni pouvoir exécutif légitimes. Et le prochain président sera tout aussi illégitime".
La Géorgie est "sortie du système constitutionnel (...). Des lois sont adoptées qui ciblent directement nos droits et libertés", a déploré auprès de l'AFP Ketty Makharashvili, directrice de l'association des cabinets d'avocats du pays, lors d'une manifestation vendredi devant la Cour suprême.
Pour ces manifestants, l'élection de samedi ne changera rien. Mikheïl Kavelachvili "sera élu, et nous manifesterons encore", affirme Mariam Kevlishvili, 28 ans, sifflet rose et drapeau géorgien autour du cou.
Pour cette femme, "la violence ne vient que du gouvernement", qui sera "tenu responsable de tout ce qui se passe dehors". [AFP]