La démocratie sénégalaise: une pyramide de Maslow inversée

Lundi 12 Novembre 2018

Dans la pyramide qui porte son nom, le psychologue américain Abraham Maslow hiérarchise les besoins humains. A la base se trouvent les besoins physiologiques (nourriture, eau, habitat, etc.), suivis des besoins de sécurité. C’est seulement après avoir satisfait ces besoins basiques que l’individu peut aspirer à des besoins spirituels comme ceux d’appartenance à un groupe, d’estime de soi et d’accomplissement.

A l’échelle d’un peuple, on peut dire que, de nos jours, la démocratie libérale pourrait représenter le sommet de la pyramide. La démocratie étant comprise, entre autres, comme le libre concours des citoyens à l’exercice du pouvoir, l’expression des libertés individuelles et collectives, la séparation des pouvoirs, etc.

Ces principes devraient à terme assurer l’égalité des citoyens et leur permettre une pleine jouissance de leurs droits civiques, politiques et économiques.

Or, pour un pays pauvre englué dans des défis existentiels, ces idéaux sont un luxe. Il est illusoire de penser que quelques alternances au sommet de l’Etat ainsi qu’une liberté d’expression suffisent à hisser un pays au rang des démocraties matures.

Au Sénégal, les convictions politiques se font rares, les idéologies sont mortes de leur belle mort, les alliances et les ralliements se font sur la base d’intérêts crypto-personnels. Ce qui fait que les alternances changent le roi, mais, pour l’essentiel, les courtisans manœuvrent pour rester dans le cercle du pouvoir et continuer à jouir de prébendes.

Rien n’est plus caractéristique de cette « démocratie alimentaire » que la « transhumance », cette pratique typique de la politique sénégalaise. On change de couleur politique au gré des intérêts du moment. Le virulent opposant d’hier,  par une pirouette incroyable,  retourne sa veste et se retrouve fervent laudateur du Président.

L’opportunisme et le clientélisme font loi. Le citoyen, croyant encore en la toute puissance de sa carte d’électeur, se voit maître du jeu. Hélas, une oligarchie est déjà en place, s’est saisie de l’appareil d’Etat, a appris et assimilé les règles du jeu qu’elle manipule à sa guise. Gouvernants et opposants sont formatés par le même système, abreuvés à la même sève, et mus par des intérêts communs. Entre le « socialiste », le « libéral » et le « maoïste »…. il s’agit tout simplement de choisir entre le bonnet blanc ou le blanc bonnet.

Comment expliquer dans un si petit pays cette pléthore de 300 partis ? Et ces mouvements politiques à n’en plus finir ? Et ces 80 ministres, ministres d’Etat, ministres-conseillers au gouvernement ? Comment expliquer que l’on continue à voir des têtes qui ont servi sous tous les régimes depuis l’indépendance?
 
La réponse est toute simple. Dans un pays mal nourri, mal soigné et mal scolarisé, le jeu démocratique est vicié par l’instinct de survie.

La démocratie n’est pas une fin en soi. Ça devrait être un moyen de réaliser une justice sociale par une meilleure répartition des richesses et des ressources. La démocratie vraie est d’abord sociale et économique avant d’être politique et institutionnelle.

La démocratie vraie suppose, en premier, que les besoins existentiels soient satisfaits, que le peuple soit instruit et soigné, que la sécurité soit assurée. Alors, seulement le citoyen peut aspirer, comme dans la pyramide de Maslow, à des besoins de réalisation personnelle, de recherche de connaissances ou de promotion de valeurs.
           
Dr. Cheikh Mbacké Diop
Enseignant/Ecrivain
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