La fausse crise qui finit en tragédie !

Vendredi 2 Février 2024

Après tous les soubresauts meurtriers des années 2021 à 2023 marquées par la mort violente de plusieurs dizaines de personnes victimes pour l’essentiel d’une répression inédite dans notre pays, les Sénégalais étaient en droit d’espérer aller en toute tranquillité dans le vif de l’élection présidentielle du 25 février 2024. Mais voilà que surgit, dans la foulée de la publication définitive des candidats retenus pour le scrutin, un gros caillou marron-beige teinté d’un épi jaune-bleu sorti de nulle part et apparemment programmé pour gripper le processus électoral. La manoeuvre, de par sa grossièreté manifeste et son timing, détonne par son audace et son cynisme. Elle prend les allures d’un coup d’Etat politique et institutionnel majeur qui finit par annuler le scrutin du 25 février prochain.   

 

Le Parti démocratique sénégalais (PDS) a peut-être raison de vouloir débusquer les conditions dans lesquelles son candidat, Karim Wade, a été exclu des joutes présidentielles. Mais le fait-il en respectant l’esprit et la lettre dans lesquels devraient fonctionner les institutions ? Que peut-il reprocher au Conseil constitutionnel si, en déposant son dossier de candidature, Karim Wade était encore de nationalité française en plus d'avoir sciemment menti aux juges ? Que cherche l’Alliance pour la République (APR) en s’érigeant comme parrain opportuniste d’un processus brutal de mise en veilleuse de la présidentielle, étant entendu qu'il y a peu de chance que les juges reviennent sur leurs décisions ? 

 

Il y a bien crise politique au Sénégal. Mais la crise de l’instant, patente, que des manoeuvriers ombrageux veulent voir prospérer est surtout circonscrite aux plate-bandes du parti-Etat, entité dominante exposée à une perspective solide de perdre le pouvoir, néanmoins décidée à jouer des subterfuges pour déstabiliser les institutions de la République à travers des actes potentiellement attentatoires au processus électoral. La brèche ouverte par le PDS et opportunément exploitée par l'APR a fini par être la carte traîtresse par laquelle le régime a eu la peau de notre démocratie en annulant repoussant l'élection présidentielle. 

 

La réalité politique présente est que c’est l’APR qui se confronte á l’APR, générant des lignes de fracture béantes dans l’éléphantesque coalition Benno Bokk Yaakaar. Cette crise découle du « choix éclairé » du président Macky Sall de désigner candidat de sa coalition un premier ministre - Amadou Ba - contesté. Mais les libéraux savent s'entraider même dans le...hasard des événements. L'initiative du PDS d'infliger un coup d'arrêt au processus électoral, mise en oeuvre par Macky Sall dans son discours catastrophique du 3 février 2024, devient pour le parti-Etat une bouée de sauvetage, l'occasion "inespérée" de rebattre le jeu électoral. Et Karim Wade pourrait revenir dans la compétition...quand d'autres candidats pourraient en être exclus. 
 

Il serait incongru de penser un seul instant que le chef de l’Etat puisse être étranger autant aux raids du PDS contre le Conseil constitutionnel qu’á la mise en place ultra express d’une « Commission d’enquête parlementaire » dédiée à l’audit des délibérations des 7 « Sages ». Toute l’histoire des douze ans de gouvernance du régime ne démontre qu’un seul constat: l’implacable maitrise du palais sur ses députés. 

 

A ce titre, si la fausse crise actuelle persiste, le président de la République en est le premier responsable car la séparation des pouvoirs est une fiction quotidienne. Il a failli dans son rôle de ''gardien" de la Constitution. Il a échoué dans son serment de protéger les institutions de la République pour la stabilité du pays. Il a dézingué son honneur en trahissant ses promesses. 

Que lui reste-t-il à faire à la tête de ce pays autres avoir accumulé des impairs aussi lourds sur son CV ? 
 

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