Le Sénégal au lendemain de l’élection présidentielle du 24 février.

Mercredi 6 Mars 2019

Le Sénégal vient de vivre sa onzième élection présidentielle, ce 24 février 2019, qui s'est soldée par une victoire officiellement octroyée au candidat Macky Sall, président sortant qui rempile ainsi pour son second mandat. Cette élection a été âprement disputée entre cinq candidats acceptés par le conseil constitutionnel à l’issue d’un processus de sélection de candidatures qui a permis à travers un système du parrainage de trier une trentaine de  candidats à la candidature jusqu'à un groupe restreint de cinq candidats.
 
Il faut noter  que ce processus électoral a été favorable au candidat président sortant depuis le départ. Il est même permis  de soupçonner une vraie manœuvre avec des appuis solides de puissants task force en ingénierie électorale pour s'assurer une victoire nette le jour du scrutin. Macky Sall a usé de la puissance exorbitante de la station de chef de l’Etat que lui confère un régime hyper présidentialiste pour gagner les élections. Lui-même qui était directeur de campagne de Me Wade en 2007 avait réussi à faire réélire son candidat dans un contexte où il était au niveau le plus bas sur l'échelle de la popularité. Il refait son coup de maître en 2019, étant conscient que l'électorat urbain ne lui est pas favorable du fait des dures critiques sur ses choix politiques, ses projets d'investissements et son attitude par rapport aux principes de l'Etat de droit et de la gouvernance juste et équitable. Sans parler des frustrations nées de la façon dont ont été mis à l'écart certains potentiels candidats comme Khalifa Sall et le candidat du Parti démocratique sénégalais, M. Karim WADE qui disposent de machines capables de menacer sérieusement ses chances de se faire réélire.
 
Disposant du pouvoir de l'Etat et de moyens financiers importants, le candidat était en avance sur ses adversaires qui pouvaient difficilement le battre dans ce contexte à travers un processus électoral taillé sur mesure. Depuis l'opération de recensement des électeurs à travers la carte d'identité CEDEAO biométrique associée à la carte d'électeur jusqu'au jour du scrutin avec l'ouverture ce même jour par décret de bureaux de votes supplémentaires pour permettre aux électeurs égarés de pouvoir voter, le système électoral a donné des opportunités au candidat au pouvoir de maximiser ses chances de remporter l'élection. Nous pouvons mieux comprendre sa ferme détermination et son assurance qui ne laissait entrevoir aucun doute à travers ses différentes déclarations dans la période pré-électorale.
 
La question est qui a aidé Monsieur Macky Sall à remporter l’élection haut la main sans que personne ne puisse trouver à redire ? Certains observateurs ont parlé de garanties que lui auraient assurées des alliés étrangers. Ma conviction est que la démocratie sénégalaise a été encore une fois victime de la captation du pouvoir par des lobbys d'argent qui se sont ligués avec le Président Sall, en l’aidant à s’assurer une victoire nette. Une lourde artillerie a certainement travaillé derrière pour manipuler le processus en sa faveur. La question est pour quel service leur doit-il  en retour ? Et à quel prix ? Où est le patriotisme dans tout cela ? Macky Sall aurait-il les coudes franches pour diriger le Sénégal dans l'intérêt exclusif des sénégalais ?
 
Le triomphe de la « démocratie » libérale…
 
Pour certains observateurs, ce résultat n'est pas une surprise, car avertis qu'ils sont que les élections sont juste un instrument de captation du pouvoir auquel on donne un semblant de crédit populaire. Le peuple pensant qu'en allant voter il choisit librement son président sans se soucier de la machine qui le manipule dernière et façonne les votes en usant de plusieurs leviers dont l'élimination de certains candidats qui ont un poids électoral, la médiatisation qui rend plus visibles certains candidats que d'autres, la manipulation du fichier électoral, et de la carte électorale, la corruption de grands électeurs, le bourrage scientifique des urnes dans certaines zones exclues de la surveillance de l’opposition,... Autant de variables qui conditionnent le résultat final du vote et prouve que l'élection est la pire des méthodes en démocratie car elle octroie un semblant de pouvoir aux citoyens qui, au final, ne sont que des pions sur l'échiquier des maîtres du jeu. Ainsi l'élection constitue un instrument puissant de la démocratie libérale qui fait de ce système l'ennemi de la véritable démocratie qui permet que les choix politiques soient véritablement dictés par les aspirations réelles du peuple.
 
En somme, les votes se sont massivement exprimés pour le maintien du système de la démocratie libérale car trois candidats libéraux et acteurs politiques depuis des décennies (Macky Sall, Idrissa Seck, Madické Niang, tous émanant du Parti démocratique sénégalais) ont pu capitaliser à eux-seuls plus de quatre-vingt pour cent (80%) des voix exprimées.
 
La brèche de Sonko dans le système ouvre-t-elle une nouvelle dynamique à l'idéal de refondation ?
 
Lors de cette élection, Ousmane Sonko, président du PASTEF-Les Patriotes, a été le candidat qui a le plus polarisé les votes de résistance  des Sénégalais qui aspirent à de véritables ruptures dans les options stratégiques et pratiques politiques au Sénégal. Son discours sur un fond de patriotisme et de souveraineté a été assez attractif pour une masse naissante de citoyens sénégalais de plus en plus conscients des enjeux géostratégiques et des tenants d'une économie mondialisée qui maintient l'essentiel de nos populations dans la pauvreté et la précarité. Il a su s'allier naturellement avec les cercles intellectuels et politiques qui  théorisent la Refondation de la République, les milieux activistes anti-impérialistes, une partie de la  jeunesse qui rêve d'un avenir éclairci devant autant d’incertitudes sur les opportunités d'emplois et d'une vie sociale décente, mais surtout la diaspora vivant dans le contexte occidental capable d'avoir le pool de la crise occidentale et nourrissant l'espoir d'un digne retour au pays.
 
De par sa trajectoire politique inédite faite de refus et de courage dans ses prises de position, mais également de martyr vivant de la lutte pour la mal gouvernance, suite à sa radiation de la fonction publique, il est perçu comme le candidat du refus qui revendique ouvertement sa posture  antisystème, se démarquant également du club des politiciens. L'intérêt analytique de la candidature de Sonko est donc dans l'épreuve qu'elle permet de faire du discours de la rupture et de l'alternative souveraine à travers un mécanisme opérant de la démocratie représentative.
 
Au-delà du vote affectif qu'il a su gagner dans son fief au Sud du Sénégal, le score très honorable d'Ousmane Sonko dans plusieurs localités du pays permet l’espoir que le discours de rupture a des chances de prospérer à force de persévérance. Reste à voir si ce vote  est celui d'une masse critique en formation ou de l'espérance d'une  jeunesse en quête d'avenir meilleur, voire les deux. Cependant il est évident que le maintien de cette tendance dépendra de l'attitude de Monsieur Ousmane Sonko qui porte l'étiquette du politique antisystème et de sa capacité à assumer un leadership conséquent à la dynamique qu'il a su impulser dans le terrain politique sénégalais. Cela dépendra également de l'effet boule de neige que pourra avoir son succès retentissant à travers les milieux intellectuels et mouvements sociaux au Sénégal.
 
Quel Sénégal dans le prochain quinquennat ?
 
La déclaration du Président de la République réélu peut laisser présager d’une posture d’humilité et d’une volonté d’ouvrir une nouvelle page. En proclamant qu’ « il n’y a ni vainqueur, ni vaincu », Monsieur Macky Sall a certainement fini de faire son introspection quant à cette élection de laquelle il préfère tirer gloire à la place du triomphalisme. Il a aussi certainement apprécié l’attitude du peuple sénégalais qui a démontré sa grandeur à la classe politique en se mobilisant massivement pour voter dans le tout en refuser de suivre les mots d’ordre de sabotage du scrutin et les appels à la résurrection de certains camps de l’opposition. Il faut dire que durant ces élections, la tyrannie s’est manifestée dans tous les camps, gagnant aussi une partie de l’élite même dans les milieux de la presse et de la « société civile ». Si tout le monde accepte de battre sa coulpe, nous pouvons pardonner sans oublier pour regarder devant nous.
 
Deux défis majeurs semblent cruciaux pour le Sénégal pour ces cinq années à venir. Il s’agit de la stabilité du pays  et de la gouvernance des ressources naturelles. Au vu des questions sécuritaires, cette dernière a un lien étroit avec le premier défi.  La stabilité est surtout liée à la façon dont le tournant post-électoral sera négocié entre le vainqueur et les vaincus, à travers l’ouverture d’un dialogue politique large sur les questions essentielles concernant le pays. Dans la continuité annoncée par le Président réélu, le Gouvernement du Sénégal va poursuivre l’exploiter les ressources naturelles.
 
Cependant la stratégie de l’Etat du Sénégal est de positionner le secteur privé comme acteur clé de la politique minière. Sa capacité à bénéficier des retombées de l’extraction minière dépend donc de la nature des contrats signés avec les entreprises multinationales exploitantes, mais surtout des moyens que l’Etat se donnera pour maximiser sa part de rente au profit des sénégalais tout en minimisant les externalités négatives sur la structure économique et sur l’environnement. Cette question est donc très liée à la stabilité compte tenu du caractère stratégique et sensible des ressources naturelles dans le monde. Le pétrole n’aime pas le bruit, disent les initiés du domaine, et une quasi corrélation est faite entre les pays riches en ressources naturelles et les régimes totalitaires ou encore les crises civiles. Mais le principal risque demeure la désillusion populaire quand il s’avérera cinq ans plus tard que les résultats sont très loin des espérances suscitées par les récentes découvertes de pétrole et de gaz. Le président semble lui-même en être conscient car durant sa campagne, il a promis de renégocier certains contrats déjà signés.
 
Cette élection a également été le théâtre de beaucoup d’émotions et de manifestations de violences dans l’opinion. Ce ressenti constitue un foyer ardent d’une braise capable de s’attiser à tout moment. Toutefois nos compatriotes qui ont du mal à accepter la victoire officielle du Président Sall, devront apprendre à transformer leur  rage  en force de transformation. Ils devront être plus rigoureux dans l’élaboration de stratégies  intelligentes  et mobilisatrices. Elles doivent être basées sur le savoir et la créativité et  portées par un leadership responsable, courageux, perspicace, et averti que seuls des femmes et hommes qui ont de la hauteur et de l'envergure peuvent assurer. La première faiblesse des mouvements alternatifs c'est l'absence d'organisation et de solidarité sincère. C'est aussi et surtout l'égoïste et le culte de la personnalité. Pour s’emmurer contre les pouvoirs d’argent qui disposent de machines électorales et d’autres moyens de dissuasion de toute volonté de souveraineté, il faudra penser à régler la question de la représentation et de l'organisation du pouvoir.
 
Cette élection a été très riche en enseignements dans l’analyse des comportements des différents protagonistes et des citoyens. Elle a pu révéler pas mal de nos défauts et faiblesses. Notre véritable problème n'est pas d'enlever un président pour mettre un autre du même vivier en gardant intact son pouvoir exécutif, il s'agit de construire une nouvelle conscience dans les masses. La  conscience de la liberté, la conscience de la souveraineté. Le reste coulera de source...
 
Elimane KANE Dialagui.
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