Le Sénégal sous la tutelle du Fonds monétaire international ! (Par Demba Moussa Dembélé, Economiste)

Mercredi 31 Mai 2023

Au terme d’une mission au Sénégal, du 27 avril au 11 mai, le Fonds monétaire international (FMI) a conclu un accord avec les autorités sénégalaises d’une durée de trois ans, accompagné d’une promesse de financement à hauteur de 1150 milliards de francs CFA. Cet accord met le Sénégal sous la tutelle de cette institution. On a bien un programme d’ajustement qui ne dit pas son nom.


Moustapha Bâ (ministre sénégalais des Finances et du Budget, d) et Edward Gemayel (chef de mission du FMI) à Dakar le 11 mai 2023
 
L'économiste sénégalais Demba Moussa Dembélé

Comment en est-on arrivé là ?
 
Depuis 2014, le président Macky Sall n’a cessé de parler « d’émergence » après l’adoption du Plan Sénégal « émergent » (PSE). Depuis lors, les gouvernements successifs ont exhibé des taux de croissance dont ils disaient qu’ils étaient parmi les plus élevés en Afrique, voire dans le monde. Et on nous disait qu’avec l’exploitation du gaz et du pétrole, prévue cette année, le Sénégal allait avoir des taux de croissance à deux chiffres, qui allaient le propulser définitivement dans le camp des pays « émergents » ! Et voilà que ces prévisions se heurtent à la dure réalité d’une grave crise économique entraînant un appel au « secours » du FMI! Que s’est-il donc passé pour dérailler les plans de Macky Sall et de son gouvernement ?
 
Selon le communiqué publié par la mission du FMI, l’accord découle de la détérioration des indicateurs économiques du Sénégal due principalement aux facteurs exogènes. Parmi ceux-ci les effets de la guerre en Ukraine, la hausse des taux d’intérêt dans la zone euro et aux Etats-Unis et les risques de récession mondiale.
 
Selon le communiqué du FMI : « en 2022, une confluence de chocs externes liés en grande partie à la guerre en Ukraine a pesé sur la reprise post Covid-19, affecté les finances publiques, creusé le déficit des comptes courants extérieurs, augmenté les niveaux d'endettement et érodé les réserves internationales de change de la région (UEMOA). Pour 2023, le ralentissement de l'économie mondiale et le durcissement des conditions financières pèseront sur la reprise attendue de l'activité économique. » Pour une économie extravertie, comme celle du Sénégal, c’est sûr que les facteurs exogènes ont un poids prépondérant dans la genèse et l’aggravation de la crise. Surtout quand on y ajoute l’utilisation d’une monnaie étrangère comme le franc CFA. Cependant, les facteurs exogènes ne sont pas seuls en cause. Une gestion calamiteuse des finances publiques, des gouvernements pléthoriques, un train de vie dispendieux de l’Etat, des scandales de corruption et de détournement à répétition, ont contribué à planter les germes de la crise ’économique et sociale du pays.
 
Les engagements du Sénégal
 
En contrepartie de la promesse de financement du FMI, le Sénégal a pris un certain nombre d’engagements, qui se résument ainsi :
 
1). le renforcement de la gestion des finances publiques ;
 
2). le renforcement de la gouvernance financière et l’amélioration du dispositif anti-blanchiment des capitaux et la lutte contre le financement du terrorisme ;
 
3). la réalisation d’une économie plus résiliente et inclusive ;
 
4). le renforcement de la résilience aux changements climatiques.
 
L’application de ces engagements va durement affecter les conditions de vie des populations.
En effet, en matière de finances publiques, l’Etat est sommé de réduire les dépenses publiques pour à la fois réduire le déficit budgétaire et l’encours de la dette publique extérieure. Dans cette perspective, une baisse drastique des subventions est attendue dès cette année, notamment pour le secteur de l’énergie. En effet, le communique du FMI souligne que « … les efforts de rationalisation des subventions seront poursuivis durant le nouveau programme. Celles-ci passeront déjà pour le secteur de l’énergie de près de 1 000 milliards en 2022 à 450 milliards en 2023. »
 
Une baisse aussi brutale va affecter durement certains segments de la population. En particulier, ce qu’on appelle « la classe moyenne » va subir de plein fouet les effets de cette baisse avec la probable hausse des prix de l’électricité et de l’essence. Cette réduction des subventions va également toucher certains produits de grande consommation, quoiqu’en disent les pouvoirs publics.
 
Un autre engagement en matière de finances publiques est le « renforcement de la mobilisation des recettes fiscales en vue d’atteindre au moins un taux de pression fiscale de 20% à l’horizon 2025, pour permettre d’atteindre une cible de déficit budgétaire communautaire de 3% à cette échéance. ».
 
Ramener le déficit budgétaire, qui a atteint 9,7% en 2022 à 3¨% du PIB en 2025 demandera un effort considérable de la part du gouvernement du Sénégal. Cet engagement va probablement entraîner une hausse de l’impôt sur le revenu des personnes physiques et des taxes indirectes, comme la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui, comme on le sait, affecte plus lourdement les revenus modestes.
 
L’effort de mobilisation des ressources internes est destiné à compenser en partie les énormes cadeaux qui seront faits aux investisseurs étrangers. En effet, selon encore le communiqué du FMI : « s’agissant du renforcement de la résilience et de l’inclusive de l’économie, il s’agira d’une part, de poursuivre les efforts d’amélioration de l’environnement des affaires et de l’attractivité de la destination Sénégal, à travers notamment l’adoption d’un nouveau code des investissements. »
 
Pour rendre le Sénégal « attractif » le gouvernement va offrir d’énormes cadeaux fiscaux et d’autres formes d’incitations aux investisseurs étrangers. Et pourtant, depuis des décennies, le Sénégal ne fait que cela, apparemment sans grand succès. Quand Macky Sall a pris le pouvoir, il avait baissé l’impôt sur les bénéfices des sociétés. Actuellement, cet impôt nominal est de 30%. Mais ce pourcentage est théorique. En réalité, par des fraudes et exemptions fiscales, les entreprises étrangères paient peu d’impôts et ont une faible contribution au développement du pays.
 
Prenons l’exemple du secteur minier contrôlé par les multinationales. Le rapport 2021 de l’ITIE montre une très faible contribution de ce secteur à l’économie du pays, tant en matière de contribution au budget de l’Etat qu’en matière d’emploi. Selon ce rapport, le secteur extractif, qui représente 38% des exportations du pays, a contribué à environ 5% au produit intérieur brut (PIB), à moins de 7% au revenu du budget de l’Etat et à…0,23% à la main-d’œuvre active du pays !
 
Même en ce qui concerne le « contenu local » les multinationales ont fait la part belle aux…fournisseurs étrangers, toujours selon le même rapport ! Donc, le Sénégal semble perdre au change dans sa politique visant à attirer les investisseurs étrangers. Une politique que le FMI lui demande pourtant de « renforcer » !
 
De sombres perspectives pour les populations
 
La mise en œuvre des engagements pris par le gouvernement va se traduire par des politiques d’austérité, qui vont affecter durement la vie de millions de Sénégalaises et de Sénégalais, déjà confrontés à la cherté du coût de la vie malgré les mesures prises par le gouvernement. En effet, l’exigence de réduction du déficit budgétaire signifie des coupes drastiques dans les dépenses publiques.
 
Comme c’est peu probable que le train de vie de l’Etat diminue, ce sont les dépenses sociales qui seront les principales victimes de ces coupes. Ce qui se traduira par la détérioration des conditions de vie des couches les plus vulnérables. Avec l’aggravation de la pauvreté au bout du compte. D’ailleurs, cette perspective semble clairement ressortir de ce passage du communiqué du FMI : « D’autre part, en matière de protection sociale, la base des bénéficiaires de bourse de sécurité familiale sera portée à un (1) million de ménages contre 316.000 actuellement et le montant de cette bourse, relevé à 35 000 FCFA contre 25.000 FCFA le trimestre présentement. » ! Autrement dit, le nombre de pauvres va tripler !
 
Des risques d’explosions sociales sont donc à prévoir. C’est peut-être en prévision de ces risques que la mission du FMI, en plus du président Macky Sall et de son Premier ministre, a rendu des visites inhabituelles à certains départements ministériels, comme ceux des Forces armées, de l’Intérieur et de la Justice.
On ajoutera à cette liste, les milieux d’affaires, « la société civile », etc.
 
Ces rencontres au plus haut niveau de l’Etat ainsi que les autres visites ne sont certainement pas des « visites de courtoisie ». C’est probablement pour alerter sur les politiques d’austérité très dures à venir qui nécessiteront des mesures pour y faire face. C’est-à-dire, se préparer à mettre en place un arsenal répressif pour contenir la colère de la population. D’autant plus que lors du Conseil des ministres du mercredi 17 mai 2023, le président Macky Sall a invité le gouvernement à faire respecter tous les engagements pris auprès du FMI.
 
La fin de l’illusion sur « l’émergence »!
 
Les sombres perspectives qui attendent les populations sénégalaises vont contribuer à la détérioration des indicateurs de développement du pays. Déjà, le Sénégal est parmi ceux ayant un indice de développement humain le plus faible. Selon le classement du PNUD de 2021, le Sénégal occupe le 170e rang sur 191. Il est derrière des pays comme le Togo, le Rwanda, le Bénin et même Haïti, un pays martyrisé par les gangs ! Le Sénégal ne dépasse que des pays en guerre dans notre sous-région (Burkina Faso, Mali, Niger) ou dans d’autres régions du continent, comme la Centrafrique, la RDC, le Tchad), les deux Soudans, etc. !
 
Ce classement peu enviable du Sénégal est le résultat des dévastations causées par les programmes d’ajustement structurel dans les années 1980 et 1990. Après avoir été parmi les « meilleurs élèves » de la Banque mondiale et du FMI pendant deux décennies, le Sénégal avait rejoint en 2001 le groupe des pays « les moins avancés » (PMA). Il y est toujours et sa sortie n’est pas pour demain. Selon le Comité de développement des Nations-Unies, le Sénégal a rempli les critères de reclassement pour la première fois en 2021. Or, il faut remplir ces critères deux fois pour fixer la date de reclassement. Le Sénégal figure sur la liste des 16 pays retenus pour être reclassés dans le cadre du Programme de Doha pour les PMA, durant la période 2022-2031!
 
Donc, « l’émergence » dont parle Macky Sall depuis 2014 est une chimère, une illusion. C’est un slogan destiné à impressionner une partie de l’opinion nationale ou à « vendre » le pays à certains investisseurs étrangers. Un pays émergent n’appelle pas au secours le FMI ou la Banque mondiale. Ce sont des pays en grande difficulté qui demandent le « secours » de ces institutions au service du capitalisme mondialisé.
 
Conclusion
 
L’accord conclu avec le FMI témoigne de l’échec des politiques économiques de Macky Sall, à quelques mois de la fin de son second et dernier mandat, Certes, la conjoncture internationale a joué un important rôle dans cet échec Mais les facteurs internes y ont également joué un grand rôle certain. L’absence d’une stratégie cohérente et la politisation des structures chargées des politiques de la jeunesse ont abouti à l’incapacité du régime à trouver une solution au problème du chômage des jeunes, en dépit des engagements répétés de la part du président.
 
L’aggravation de la corruption et du népotisme a contribué à plomber les politiques d’investissement dans plusieurs secteurs. Enfin, l’échec des politiques agricoles a contribué à renforcer la dépendance alimentaire du pays, dont l’ampleur et les conséquences ont été révélées pendant la pandémie du coronavirus et la guerre en cours entre la Russie et l’OTAN en Ukraine.
Demba Moussa Dembélé
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